Michel Tirabosco, « Méditation [et ?] flûte de Pan » (Bayard)

Première du disque

C’est assez rare pour être souligné : nous entamons l’écoute de ce disque, une réédition de 2012 tirée du catalogue VDE-Gallo, avec un mélange de doute et d’appréhension. D’ordinaire, nous guident plutôt

  • la confiance dans le répertoire,
  • l’envie d’être ébaubi par des artistes,
  • la joie de découvrir ou de redécouvrir des œuvres mettant en appétit pour des raisons diverses.

Cette fois, nous devons à l’honnêteté de douter de la capacité à nous envoler du produit repackagé pour se conformer à collection « Méditation » de Bayard. En effet, nous ne sommes pas

  • familier de la méditation,
  • enclin à allumer une jolie bougie en écoutant sur YouTube une heure de pluie pour nous aider à accéder à la slow life,
  • féru de vieux idiolectes new wave associant
    • pleine conscience,
    • reconnexion à son vrai soi en tant que tel, et autres
    • cheminements intérieurs à suivre
      • chez soi,
      • dans le métro grâce aux podcasts prévus à cet effet (n’oubliez pas de vous abonner, ça fait toujours plaisir), ou
      • en retraite collective avec pratique du jeûne chamanique moyennant un virement de 250 € au gourou à la petite semaine autoproclamé
        • psychopraticien,
        • coach de bien-être ou
        • guide spirituel.

Voilà pour les clichés. Néanmoins, en dépit d’une première de couverture où l’absence d’accent circonflexe sur la flûte (voulue puisque répétée pour les autres disques avec flûte de la collection) nous excite autant que l’aurait fait une punchline en écriture inclusive, le disque nous a été envoyé avec le livre du flûtiste, chroniqué ce 10 octobre 2025, et nous imaginons que si l’attaché de presse – qui nous connaît un peu – nous l’a envoyé, c’est que la galette fait résonner le témoignage de l’artiste. Aussi avons-nous choisi de nous secouer les puces et de remiser un temps les histoires

  • de toucher,
  • d’attaque et
  • de petits marteaux

pour nous risquer dans un concept annonçant des miscellanées pour le moins variées… et malheureusement dépourvus de toute précision

  • (idée directrice du disque,
  • raison des choix ayant conduit à substituer la flûte de Pan aux instruments originellement prévus,
  • nom des arrangeurs,
  • dates et lieux des captations,
  • détail de la composition de l’orgue incriminé dans trois adaptations, etc.).

En clair, rien pour les mélomanes curieux. Le disque est pensé par Bayard comme un truc pour regarder fumer un bâtonnet d’encens encore plus cancérigène qu’un voyage dans le tunnel horripilant conduisant de La Chapelle à gare du Nord – ce qui n’est pas une mince performance, si l’on en croit les indicateurs qui existaient avant que, vu leurs résultats, plus d’indicateurs. Cela change la manière d’écouter le travail d’un musicien qui ne manque pourtant pas de références académiques et concertantes. Le disque promet

  • de la douceur avec des instruments pas trop bruyants
    • (harpe,
    • guitare,
    • orgue pour des mouvements lents) mais aussi
  • un passage orchestral, placé en ouverture de bal et
  • un trio dont l’instrumentarium est tacet – ô suce-pince ! quand tu nous tiens !

La « Vocalise » de Sergueï Rachmaninov ouvre la liste des tubes ou des scies, selon le point de lassitude. Michel Tirabosco la joue droit, avec la précision et la retenue de vibrato qui signalent un musicien de goût, ce qui n’empêche pas les deguelendi peut-être inévitables mais assez cuisants comme à 1’28 ou à 3’15. Le Volgograd Philharmonic Orchestra dirigé par Emmanuel Siffert fait le travail sans excès

  • de poésie,
  • de précision ni
  • de justesse parmi les pupitres graves.

Timing presque similaire : en 1879, quarante ans avant la vocalise sans parole, Gabriel Fauré draguait sur une barcarolle en si bémol mineur Alice Boissonnet avec la musication d’un poème de Sully Prudhomme où le monde se distingue en deux masses : les femmes qui pleurent et les hommes que les horizons leurrent. La flûte octavie la ligne de la soprano. Attentive, Nathalie Chatelain accompagne avec justesse et sensibilité un soliste qui

  • a du souffle et sait l’éteindre (2’10),
  • joue juste mais sait glisser (2’23),
  • n’est pas voix mais raconte.

L’arrangement de « La Romanesca », air hérité du quinzième siècle, formalisé par Fernando Sor et réarrangé par on ne sait qui dans une tonalité convenant au grave de la flûte de Pan, fait entrer l’excellent Antonio Dominguez à la guitare. On note notamment

  • un effort de nuance (un truc qui doit être foufou pour le soliste),
  • de respiration commune,
  • de caractérisation des sonorités de chaque instrument (chaleur de la guitare, évanescence de la flûte), ainsi que
  • des contrastes
    • d’intensité,
    • de couleur et
    • de registres pour le soliste.

« Aqua e Vinho » (curieusement orthographié avec un « y » au lieu du « e ») rappelle l’album éponyme du guitariste brésilien Egberto Gismonti, publié en 1972. L’arrangement non signé pour

  • flûte,
  • piano,
  • violoncelle et (l’arrangeur n’y est pour rien)
  • surmix lourdissime de la basse du piano façon contrebasse superfétatoire quand il accompagne

traîne un spleen qui n’hésite pas à se détremper pour se diffracter. Le trop bref solo du pianiste libère le propos avant que la convention ne reprenne le lead. Du travail d’ascenseur bien fait mais sans guère d’intérêt.
L’accompagnement guitaristique de la « mélodie traditionnelle écossaise » intitulée « Annie Laurie » est confié à Sophie Blanchart. Ce duo met en valeur

  • la réverbération détestable ajoutée par le mastering de François Terrazoni,
  • la capacité de Michel Tirabosco à jouer en autoduo avec lui-même, et
  • le plaisir que l’on peut goûter malgré tout à la nostalgie.

André Luy prend l’orgue pour le largo d’une Sonate en Fa de Georg Friedrich Telemann. Extrait de son contexte, le mouvement souffre d’une flûte hyperréverbérée. Certes, il est

  • joué avec sérieux,
  • joliment ornementé (exclusivement par le soliste) et
  • mené à bon port sans trop de ralenti à la fin,

mais il nous oblige à constater que nous risquons de décrocher car, de cette succession de propositions de bon aloi, nous ne percevons ni la cohérence, ni la dynamique.
Avant d’abandonner, risquons-nous au moins dans la cinquième des sept Chansons populaires de Manuel de Falla, dont la partie de piano est confiée à la guitare immédiatement reconnaissable et saisissante d’Antonio Dominguez. Michel Tirabosco donne des airs presque mauresques à la berceuse avec

  • ses ornements,
  • ses glissements,
  • ses mutations d’intensité dans les tenues, et
  • ses libertés pour placer les notes selon un profond feeling, par opposition à la rigueur presque métronomique de l’accompagnement.

C’est malin.
Le finale en harmoniques nous séduit assez pour que nous poussions jusqu’à la « Méditation » du deuxième acte de Thaïs de Jules Massenet, accompagnée par la harpiste Nathalie Chatelain. Le flûtiste y trouve une sobriété bienvenue en dépit de quelques glissements dont l’appréciation sera laissée à chacun (0’44, reprise du thème, par ex.). La partition a été çà et là aménagée (réécriture et octaviation à 1’16, par ex.) car, même large, la tessiture d’une flûte de Pan reste moindre que celle d’un violon.
En soi, rien de choquant, mais il est certain que le passage « animé » perd beaucoup de la passion progressive dont l’injection est demandée par le compositeur quand, à mi-course, la phrase doit redescendre à la cave en pleine émotion. De même, le choix de prendre l’avant-dernière note à l’octave inférieur permet certes de donner l’impression d’un aboutissement sur l’ultime ré, mais fait perdre en partie l’idée de calme retrouvé que Jules Massenet suggérait en proposant une dernière note plus grave que l’avant-dernière. Ces réserves étant posées, l’on se doit aussi de ne pas vétiller (et hop) plus que de raison, afin de gûter

  • le souffle,
  • le phrasé, et
  • la sonorité

de la flûte que Nathalie Chatelain suit avec

  • attention,
  • précision et
  • énergie

pour ne pas faire de cet extrait, indispensable au vu du titre dont est affublé le disque, une scie soporifique. Popularisé par Gheorghe Zamfir, la « Cintec din Ardeal » (« chanson de Transylvanie ») est ici présenyée en version guitare-flûte. Sur un accompagnement au temps qui s’enrichit d’un contrechant à la reprise, Michel Tirabosco évoque une jolie nostalgie à travers

  • un legato confortable,
  • des ornements bien troussés, et
  • un calme communicatif.

À ce stade, impossible de ne pas pousser jusqu’à la transcription de la cavatine « Casta diva », qui décapsule l’acte premier de Norma de Vincenzo Bellini. En effet, le disque se répartit entre

  • mélodies,
  • chants traditionnels,
  • musique instrumentale et, donc,
  • grandes arias.

« Casta diva » est idoine pour le projet méditatif car il s’agit de prier la « chaste déesse » du titre afin qu’elle répande sur Terre la paix qu’elle fait régner au ciel. Nathalie Chatelain reprend sa harpe pour l’occasion, offrant une lecture

  • claire,
  • incisive,
  • nette,

qui sait se colorer de douceur quand son instrument accompagne. En dépit de stridences qu’une soprano rendrait sans doute plus étincelante qu’une flûte de Pan (4’49), le plaisir d’écouter un tube joliment soufflé n’évacue pas tout à fait la question du « pourquoi diable ? » qu’un livret aurait peut-être contribué à rendre inopérante. Nous nous permettons donc de filer directement à la Cinquième danse hongroise de Johannes Brahms, laquelle conclut la set-list.
En lieu et place de deux pianistes, nous retrouvons Michel Tirabosco à la double flûte avec la guitariste Sophie Blanchart. En dépit de la qualité des musiciens, on imagine le grand effet que produirait cette version dans une salle des fêtes pour un repas de fin d’année offert aux personnes âgées à la veille d’une année électorale. C’est

  • dansant,
  • connu,
  • simple,

avec

  • des glissendi,
  • des déguelendi et
  • des breaks

aussi cocasses que réussis… et inattendus dans le genre « méditatif » ! En conclusion, un beau travail que les mélomanes pourront néanmoins éviter : ils ne sont pas le public ciblé par cette mosaïque plus divertissante que

  • troublante,
  • poignante ou
  • galvanisante

pour l’oreille et le cœur. Mais, après tout, Claude Debussy en personne ne disait-il pas que la musique est là, avant tout, pour faire plaisir à celui qui l’écoute ?


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