
La seconde partie du concert de Gérald Genty au forum Léo Ferré (le lieu qu’il s’appelle pucomeça mais que tout le monde il continue de l’appeler de la sorte, un peu comme Bercy versus Nanani Nanana Arena), s’ouvre sur la problématique ultracommerciale de la vente de la peau de l’ours (avec ou sans l’appeau). Fin marketteur, le chanteur déconseille de pratiquer cet exercice par temps de canicule et suggère de se simplifier l’existence en laissant vivre l’ours – ce qui, on l’admettra, clôt assez fermement le débat.
Un joli duo entre gratte et ploum-ploum fait circuler la chanson sur scène avant l’arrivée d’une chanson majeure de l’artiste, éloge des « fa dièses » qui retombent sur le sol… bémol. Entre tube pop (feat. une boîte à rythme) et suicide musical, cette « chanson triste » et normande déploie une mélancolie astucieuse, que l’humour solfégique allège et irise délicatement puisqu’il s’agit de tomber des fa dièses d’Étretat pour retomber sur le sol bémol. Chut !
Désormais familier de ses spectateurs, Gérald Genty n’a plus besoin de terminer ses phrases. Aussi admet-il à la fois apprécier le camping-car (notamment sa cuisine fonctionnelle où, quand on ouvre un tiroir et qu’on n’est pas nul, on a découvert), même s’il préfère le camping car. Nomade de nature, il aime manger des pâtes devant des huitres ou des huitres devant des (ça marche moins bien si on lance hauts les ronds avec sa marraine, bien sûr). Libre comme Max, il finit sa chanson dans une ambiance à la Daft Punk acoustique, et ça fonctionne.
La fredonnerie suivante a aussi un goût d’inachevé puisqu’elle conte l’histoire d’un chanteur qui prend la poussière sur son piano depuis qu’il est mort en attendant d’être des fourchettes. Voilà, découvert. Derrière l’humour, la mort et l’échec flottent toujours, qui justifient la musique, cage de Faraday provisoire contre l’inéluctable.

Pour survivre, Gérald Genty dégaine ses mots qui claudiquent et ses stratégies pour passer l’épreuve du temps, quand il se sent un p’tit puzzle ou un p’tit peu seul, perdu dans le cycle de la vie. Planeur plus que planant, papa Gérald survole les genres et mélange avec un talent malin le style de chansons. Ce faisant il précipite le spectateur dans un vertige artistique qui saisit. Nous sommes Gérald quand, avec ses accords, il demande à son corps de résister encore (yo). Nous sommes lui quand il invite à marcher sur Mars puisque tout février fait vriller, vocoder assez étrange pour être intéressant à l’appui. Nous sommes lui quand il révèle l’instabilité des mots que nous avons appris à oublier.
Pourtant, malgré nous, constate-t-il en bis, sa carrière n’a pas décollé comme il l’eût espéré. Aussi, à la manière d’un Wally, se lance-t-il dans la chanson courte, narrant son rendez-vous raté avec un agent immobilier (« i’m’a oublié »), le moment drrrramtique où il plonge un habit de longue date dans un gouffre abyssal ou ses problèmes de fric quand il n’a plus assez pour réparer sa dent (« quelqu’un aurait implant ? »).
Emporté par la foudre, il raccourcit les chansons qui, elles, ont cartonné, bestofisant Michel Fugain (« fais comme l’oiseau, pan ») ou narrant la visite de Piaf chez l’ostéo (« tu me fais tourner la tête, crac »). Le voici bientôt proposant un pot-pourri de ses succès. Il visite Baccarat avec Rebecca, va faire du yoyo dans l’Ohio, propose de signer le cahier des spectateurs car il n’est pas très connu (pour l’instant), veut s’éloigner des paysans car ce sera dépaysant, et convoque distorsion et batterie play-back pour célébrer Picsou, le jazz et ceux qui sont plus rares que les Gérard. Puis il nous déconseille d’habiter en Vendée (« faut pas y aller, c’est nul ») : quand l’amour est desservi, il faut savoir vider les lieux, surtout quand ça n’a rien à voir avec la pêche. Comme quand on aime le son, l’affaire finit sur une balance, c’soir. Et la vedette de saluer son pianiste avant de rappeler qu’au chant, c’est un supermarché.

Maîtrisé, fantasque, joyeux : Gérald Genty à son meilleur.


