Saluts à la fin de « Tout est un possible ». Claudio Zaretti, Jann Halexander, Pierre-Marie Bonafos et son bonnet, Sébastyén « le clown » Defiolle et son chapeau, Bertrand Ferrier au théâtre du Gouvernail(Paris 19) le 19 mai 2025. Photo : Rozenn Douerin.
Parfois, on met en ligne des extraits de concert en pensant : « Bon, ça s’est bien passé. » Parfois, on met en ligne des extraits de concert en pensant : « J’aurais pu être meilleur, mais quelque chose se passait, tant pis pour les bafouillages et les problèmes de son. » Dans les deux cas, on partage
des souvenirs,
des instantanés,
des histoires,
et on assume de reporter la perfection à une autre fois. Voici donc l’histoire partagée à la fin de la set-list principale de Tout est un possible, tour de chant donné au théâtre du Gouvernail le 19 mai 2025.
Il est des souvenirs tristes qui charrient avec eux des souvenirs heureux – et réciproquement. Ceux dont parle, ceux que l’on tait. Ceux que l’on évoque, ceux que l’on refoule. Au milieu coulent des chansons, dont celle-ci, fredonnée le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19), lors de la première de Tout est un possible.
Pierre-Marie Bonafos le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.
Au cours du spectacle Tout est un possible, fomenté le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail, la chanson elle-même était sur la sellette. Pourquoi. Comment. Pour qui. Il n’y avait pas de réponses. Juste des manières différentes d’aborder les questions qui montaient. Et quelques featurings pour nourrir la méditation.
Parmi ceux-ci, Pierre-Marie Bonafos est venu poser quelques notes sur une nouvelle chanson intitulée « La vieille chanson ». Ça n’est pas resté longtemps un paradoxe : une fois chantée, la tune était en effet devenue une vieille chanson en regard de celles qui commençaient déjà à pointer le bout de leurs fredonneries. Voici donc la première apparition publique d’une chanson âgée, ancestrale, vintage dès son inauguration !
Jann Halexander en juillet 2018. Photo : Bertrand Ferrier.
J’ai toujours détesté les featurings. Notamment
ceux, obligatoires, chez les grandes stars, pour promouvoir un autre poulain produit par le même fumeur de cigare ; et notamment aussi
ceux, obligatoires, chez les petits chanteurs, pour qu’il y ait au moins une personne dans l’assistance, ou, top of the top, une personne qui attire une autre personne, même si tu dois l’inviter pour qu’elle économise dix putain d’euros.
En revanche, comme l’expliquait Dio, j’ai toujours aimé quand la musique solo se jouait à plusieurs, que ça devenait « you against the world ». J’aime me produire – au sens pécuniaire du terme – avec des acolytes choisis (j’avais écrit « des membres choisis », par la grâce de Dieu je me suis relu), qui acceptent de venir pour pas cher parce qu’ils savent que pas de budget, mais qui viennent parce que, ensemble, on raconte une histoire qui est à la fois un non-sens économique, ce qui est un oui-sens dans un monde ultralibéral, et un oui-projet artistique. Travailler avec Jann Halexander comme avec tous les zozos, quel que soit
leur sexe,
leur couleur de chemisette ou
leur diplôme en licornisme,
qui, euphémisme, acceptent malgré leur talent et l’estime que je leur porte, de rogner sur leur valeur numéraire officielle pour embarquer dans une galère joyeuse, ressortit pleinement de ma phobie de l’hypocrisie de l’exercice. Avec Jann, je suis tranquille, je suis peinard, j’suis même accoudé au comptoir. Jann ne m’a jamais engagé comme pianiste parce que ses spectateurs seraient venus pour me voir (il est plus malin que moi mais pas assez con pour ça, vous êtes foufous) ; et je ne l’ai jamais invité parce que, à l’abri des Grands Médias, le zozo trace sa route dans le monde de la chanson cabaret
en remplissant des salles,
en tentant des trucs différents,
en refusant de cliver ses projets artistiques-et-pas-que si différents les uns des autres
parce que nous sommes multiples, bordel, nous-sommes-mul-tiples ! De sorte que, pour la première de mon nouveau tour de chant, fomenté fin mai au théâtre du Gouvernail, j’avais envie d’inventer un duo avec lui qui soit un vrai duo. Ç’a donné ce remix de « C’était mieux avant » ; et comme Jann sait que je n’aime pas que mes invités scéniques fassent mon truc et s’exilent en coulisse (j’suis prétentieux mais pas assez pour ça), il a accepté de fredonner un de ses tubes enseguida. Bien sûr,
c’est capté avec les moyens du bord, qui portent bien leur substantif ;
c’est donné en one-shot sans résidence subventionnée par les milieux motorisés ;
mais c’est de la chanson en direct, pour et avec les gens.
Ce sera sans doute plus perfectionniste à l’Olympia. Qui sait ?
Le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.
L’avantage – ou l’inconvénient – de prendre de l’âge pour ne pas mourir tout de suite est de se poser des questions en grande partie inaccessibles à la jeunesse. Par exemple ?
Grandit-on jamais ou se contente-t-on de vieillir ?
Faut-il renoncer à devenir pour se résoudre à être ?
Quand cesse-t-on de se confronter à ce que l’on pourrait être pour se contenter de regretter ce que l’on aurait pu être ?
Voilà quelques-unes des pistes explorées à l’occasion du tour de chant Tout est un possible, fomenté le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail. Et l’une des réponses, concoctée avec l’aide de Claudio « Il Professore » Zaretti, était, ce jour-là, celle qui frétille ci-dessous.
Le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19), pour le tour de chant « Tout est un possible ». Photo : Rozenn Douerin.
Depuis que j’ai admis que je ne serai pas Georges Brassens, l’espace des possibles chansonniques s’est ouvert. Pop ? Check. Chanson longue d’atmosphère ? Et pourquoi pas ? Assisté par le groove inventif de Sébastyén Defiolle, j’ai profité du tour de chant Tout est un possible pour propulser « Ou si peu ». Une histoire
Le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19), pour le tour de chant « Tout est un possible ». Photo : Rozenn Douerin.
Il y a un moment déjà que, à mon corps défendant, j’ai renoncé à être Georges Brassens. Avant, j’aimais produire des chansons dont j’estimais, avec cette modestie qui anime parfois les chanteurs,
la mécanique huilée,
le développement sémillant,
la progression diégétique convaincante et
la chute royale, même quand ça ne parlait pas de cul (c’est arrivé).
Depuis, sans être toujours moins prétentieux, mais
en « sortant de ma zone de confort »,
en « exportant le logiciel hors silo »,
en « redessinant un cap pour faire projet ensemble »,
ce genre de conneries, j’essaye d’explorer d’autres aspects de la chanson à texte et à musique. Dans mon univers plus policé qu’éthylique d’ex-chanteur de bar, j’envoie infuser
de la pop,
de la musique,
de l’interstice.
Alors, pour l’ouverture du tour de chant que j’ai créé en mai au Gouvernail, contre moi-même donc avec, j’ai choisi une chanson presque exclusivement pop, avec
texte pas compliqué et pas long,
riffs voulant accrocher les portugaises, et
coda instrumentale
parce que j’aime bien ce type de chansons aussi. Et ça a donné ça.
Pour la visite du jour, votre serviteur (jusqu’à un certain point) Bertrand Ferrier propose une chanson tekielskiste. Une chanson extraite d’un disque que, selon l’artiste, les gens lui balançaient à la gueule à l’issue de ses rares concerts de l’époque en lui disant que c’était de la merde. Une chanson forte, tonifiante, résonante. Allons enfants de là, pas tristes, allons-y sur nos fols espoirs
Bertrand Ferrier et un extrait de Claudio Zaretti à la librairie Publico (Paris 11). Photographe inconnu.
C’est un cri déchirant, sans doute le plus beau nocturne de Béatrice Tekielski, dite Mama Béa. Une histoire
de frontière,
de limes,
de rupture,
mais aussi d’embrasement comme la mort façon « Oncle Archibald » de tonton Georges B., où le mort part « bras d’sus bras d’sous » avec « la belle qui ne semblait pas si féro-o-ceuh, si féro-o-ceuh ». L’accompagnement délicat et ductile de Claudio Zaretti est une merveille. Le reste est proposition, sachant que Mme Tekielski m’a dit qu’elle adooooorait ce que je pouvais fomenter au clavier – dont je ne joue pas ici – mais qu’elle trouvait que ma façon de chanter était « de la merde ». Donc ne la jugez pas sur ce machin, même si je crois que, à sa façon, ça se tient, sinon ce ne serait pas là, mais à l’aune de sa version créatrice !
Bertrand Ferrier et un extrait de Claudio Zaretti à la librairie Publico (Paris 11). Photographe inconnu.
La lobotomie était une idée de malade mental pourvu d’une blouse et d’un scalpel qui consistait à trifouiller de la substance blanche dans le cerveau – surtout celle des femmes, apparemment – en perforant le crâne des deux côtés. Cette pratique désormais interdite continue d’inspirer maints entrepreneurs, publicitaires et influenceurs (entre autres) tentant de s’insinuer dans notre machine à réfléchir pour la mettre hors d’état de nuire, donc pour nous nuire. C’est en substance (blanche) ce que constatait Mama Béa Tekielski, au point de lui inspirer la chanson revisitée ci-d’sous à l’occasion d’un concert à la librairie Publico (Paris 11).