
Après un récital plus dense que danse (Rameau, Liszt, Fauré, Greif), Jonathan Benichou-Rabinovitch a choisi de claquer le Deuxième concerto pour piano en sol mineur destiné (et non dédié, comme le suggéra l’artiste) par Camille Saint-Saëns à Arthur Rubinstein. C’est un tour de chauffe pour les prochains concerts prévus avec orchestre dans sa chère Moldavie. Ce 19 juin 2025, l’orchestre est remplacé par les dix doigts de Nathalia Romanenko, armés d’un piano droit (il existe aussi une transcription pour piano seul de Georges Bizet…). L’interprète présente le concerto comme une œuvre
- « très classique,
- très hybride,
- très saint-saënsique ».
Elle se décapsule sur un solo virtuose quoique marqué « Andante sostenuto ». Derrière son aisance technique que l’instrumentiste a la délicatesse de ne jamais surligner par des postures ou des mimiques façon Stabylo mélodramatique, Jonathan Benichou-Rabinovitch communique son plaisir
- de la fluidité digitale,
- de la percussivité pianistique et
- des effets d’attente (dont un délicat rubato).
Quand l’orchestre de Nathalia Romanenko entre en lice, c’est la douche froide. Non seulement les pianos ne sont pas accordés, mais ils ne sont pas non plus accordés entre eux.
- Notes fausses,
- mécanique perfectible,
- dissonances entre les deux boîtes à marteaux :
l’effet cymbalum est hélas assuré, qui dénote un manque de considération choquant, sinon scandaleux, à l’endroit des musiciens comme des spectateurs. En dépit du brio du soliste et de son accompagnatrice, il faut un gros effort pour rester sur place et essayer d’imaginer ce que la chose pourrait donner si elle ne sonnait pas aussi faux. Alors, on tente de se concentrer sur la partition, à travers laquelle Camille Saint-Saëns semble dessiner un paysage
- contrasté,
- palpitant,
- traversé
- de foucades,
- de cavalcades effrénées mais aussi
- de plages de contemplation.
L’effort de synchronisation entre les deux musiciens porte des fruits savoureux. À la fin du premier mouvement, pas d’inquiétude : peu importent
- octaves enchaînées,
- palanquées de triples croches et
- breaks en tout genre,
le soliste semble prêt pour son début d’été moldave ! Après les applauses de mélomanes peu au fait des usages ou dotés de cerveaux ensuqués par la touffeur, l’Allegro scherzando à 6/8 s’élance
- sur un rythme dansant,
- suivant une ligne virevoltante qui claque
- au gré du fourmillement digital.
Bien que l’on soit passé de sol mineur à Mi bémol, la partition n’hésite pas à se voiler par moments, tamisant l’euphorie d’une gélatine plus sombre donnant de la profondeur au propos. Malgré la fausseté des instruments, l’on parvient presque à se réjouir
- des beaux dialogues entre les deux pianos,
- de la netteté des contours,
- de l’art des mutations chromatiques et
- de la science musicale qui donne un relief habilement contrasté aux moments intenses en
- sonorité,
- vitesse ou
- demi-teinte.
Les musiciens ne jouent pas les notes, ils racontent
- une histoire,
- un espace,
- un flux.
Entre
- modulations,
- changements de registres et
- sursauts rythmiques groovy,
l’effet de séduction est assuré… même si les deux trentenaires évoqués dans la première partie de cette recension, ayant eu leur contant de selfies, en profitent (enfin !) pour s’enfuir pendant les applauses. Le presto en sol mineur, entre mesure à deux temps et à 12/8, précipite les pianistes dans une ferveur renouvelée.
- Motorisme,
- hâte sans précipitation,
- variation des nuances et
- dynamisme de l’écriture
- (ornements,
- rythmes pointés,
- contretemps,
- frottement entre binaire et ternaire…)
font tourbillonner les ors de la salle des mariages où se déroule le concert. Les interprètes savent aussi suspendre leur vol pour redécoller aussitôt après. Ce mouvement mouvementé (si, si) se transforme en houle, laissant déferler une série de grandes vagues contre la digue où elles éclatent en gouttelettes scintillantes. (Je sais, en écrivant ça, moi aussi, j’ai tiqué, mais, sur le moment, cette expression me paraissait claire comme de l’eau de roche, alors je la tente quand même.) Si l’on croit déceler subrepticement quelques menus décalages qui humanisent cette proposition, il n’y a certes pas de quoi érafler
- le brio,
- l’énergie et
- la polychromie rutilante
des interprètes. Le récital, qui aurait pu s’arrêter avant le concerto, pourrait se briser après lui. Croire cela, c’est mal connaître Jonathan Benichou-Rabinovitch. Il faudra bien un cinquième épisode à cette tétralogie pour en rendre compte. À suivre, donc !