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Bien accompagné 36 : église Sainte-Marguerite (Paris 11)

Il Professore en l’église Sainte-Marguerite (Paris 11), le 19 septembre 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

Il est arrivé en croquant un radis, sa vieille sacoche au cuir usé au bout de la patte nous proposant un légume croquant de la famille des Brassicacées, renouant avec une tradition désormais bien établie : depuis le 9 juin 2019 à la collégiale de Montmorency, Sleepy & Partners sont peu ou prou considérés comme les spécialistes de la granularité sonore notamment en matière organistique (« parfois même organique », tient à stipuler un membre de la confrérie avec ce sens du mystère qui rend la guilde si troublante). Pour leur trente-sixième mission presque au grand jour, la smala a envoyé Il Professore – l’un des plus récents experts à avoir rejoint la bande – expertiser l’orgue Stolz de Sainte-Marguerite.

L’essspertise organistoloyique – parfois même organique – esssiche oune sens dé l’observatsionné, oune coultoure dé la historia dé notre amico l’organo, i oune sennessibilita artistique qu’elle donne, per la mousiqua, dé la profondeur métaphysique à cé qui, sans céla, né sérait qu’artisanat

nous a-t-il soufflé avec son accent très spécifique. Nous avons obtenu partiellement le droit de l’observer observer. En observant l’observateur, nous avons subodoré que, pour lui, l’orgue était avant tout

  • un reconstructeur d’intemporalité,
  • une plateforme pluridimensionnelle désymptomisant le réel en le nouménisant, en quelque sorte (la simplification est un peu hasardeuse, mais, n’en déplaise aux plus grands kantologues, elle s’impose dans le cadre restreint de ce compte-rendu), donc
  • un outil vibratoire associant, si nous avons bien feint de comprendre,
    • la pragmaticité de la matière,
    • l’acousticité dans la profération, et
    • la transcendance visée par l’ensemble des process mis en œuvre dans la substance du projet organistologique, parfois même organique.

C’est un peu l’inconvénient, avec les experts spécialistes sachants : on a beau comprendre, on se rend compte que l’on ne peut pas comprendre, en tout cas pas autant qu’il le faudrait pour être compris dans la compréhension, bien sûr.

 

Il Professore en l’église Sainte-Marguerite (Paris 11), le 19 septembre 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Les conclusions qu’Il Professore a tirées de son examen minutieux sont hélas couvertes par le secret professionnel le plus strict, ainsi que l’expert l’a martelé lorsque nous avons tâché avec quelque insistance de connaître le verdict. Ce nonobstant, Il Professore a accepté de nous confier quelques éléments de réponse préalablement cryptés :

Pour oune orgue, cé n’est point tant l’étendoue – yé dirais la massivité – dé l’obyet mais l’obyet de la massivité, si yé pouis mé permettre cé chiasme. C’est-à-dire qu’il convienne d’étalonner lé dimensionnément de l’émission, d’un point dé voue à la fois qualitatif, historique et fonctionnel, en le comparant à la pratique dé l’instroumenneto dé oune point de voue coultouel, coultourel i patrimonial.

Quand nous avons essayé d’en savoir plus afin de distinguer le sens derrière le galimatias, notre interlocuteur a levé une patte pour rappeler qu’il était tenu au plus strict secret professionnel. Puis il a ajouté, patelin :

L’orgue est oune domaine qu’il né faut pas croire dominer, sous peine dé repousser la questionne au lieu d’y répondre. Comme l’écrivait Yoryes Vigarellllllllo, « oune terre youyée touyours plous dominée fait naître dé nouveaux lointains »(c’est dans « Oune histoire de lointains. Entrée réel et imaginaire », qué Lé Seuil il vienne dé rééditer en poche – dé mémoire, vous trouverez la citatsionné à la paye 203, yé crois). Pour oune essspert, innevenneter des lointains est oune prétesssto pour né pas esssaminer lé proche, lé donné, l’obyet même de son essspertise. Chez Sleepy & Partners, cé type dé faux-fuyant est frappé d’oune nonne négativissimo. Nous né nous dérobons yamais, au grand YAMAIS, au momènneto dé cerner la granoularité sonore.

Nous avons voulu en profiter pour obtenir enfin une définition de ladite granularité sonore, pierre angulaire du prisme organistologique – et parfois même organique – de la confrérie. Peine perdue : Il Professore nous a proposé un radis, en a croqué un autre et, saisissant sa vieille sacoche au cuir usé, est reparti en fredonnant : « Pom, pom, pom. » Une prochaine fois, peut-être ?


Retrouvez les aventures de Sleepy & Partners…

  1. … aux grandes orgues de la collégiale de Montmorency.
  2. … à l’église Saint-Marcel (Paris 13).
  3. … à l’église Sainte-Marie-Madeleine de Domont.
  4. … à l’église Saint-Martin de Groslay.
  5. … à l’église Saint-Louis de Vincennes.
  6. … à l’église Saint-Joseph d’Enghien-les-Bains.
  7. … sur l’orgue provisoire loué par Notre-Dame de Vincennes.
  8. … aux grandes orgues de la cathédrale de Gap.
  9. … aux grandes orgues de Sainte-Julienne de Namur puis de la cathédrale de Namur.
  10. … à l’église Notre-Dame de Beauchamp.
  11. … sur l’harmonium du temple protestant du Saint-Esprit (Paris 8).
  12. … à l’église de Taverny et à l’église de Bessancourt.
  13. … à l’église du Raincy.
  14. … à l’église de Notre-Dame du Rosaire.
  15. … aux grandes orgues de l’église Sainte-Marie des Batignolles (Paris 17).
  16. … aux grandes orgues de la chapelle du Val-de-Grâce (Paris 5).
  17. … aux grandes orgues de la basilique d’Argenteuil.
  18. … sur l’orgue Cattin de Notre-Dame de Vincennes.
  19. … sur l’orgue Mutin-Cavaillé-Coll de Saint-Georges de la Villette (Paris 19).
  20. … sur l’orgue Merklin de Saint-Dominique (Paris 14), une fois ou deux.
  21. … sur l’orgue Delmotte de Saint-André de l’Europe (Paris 8).
  22. … aux grandes orgues de la collégiale Saint-Jean de Pézenas.
  23. … aux orgues de l’Immaculée Conception (Paris 12).
  24. … sur l’orgue de l’église Sainte-Claire (Paris 19).
  25. … sur l’orgue de l’église Saint-Denis de Gerstheim.
  26. … sur l’orgue de l’église Saint-Saturnin de Nogent-sur-Marne.
  27. … sur l’orgue de Bécon-les-Bruyères.
  28. … sur l’orgue de Saint-Serge d’Angers.
  29. … sur l’orgue de la chapelle Ozanam (Paris 17).
  30. … sur l’orgue de la collégiale Notre-Dame de Vernon.
  31. … sur l’orgue du temple du Saint-Esprit (Paris 8).
  32. … aux deux orgues de la Madeleine (Paris 8).
  33. … sur l’orgue de la basilique Notre-Dame du Perpétuel Secours (Paris 11).
  34. … sur l’orgue de Saint-Eugène-Sainte-Cécile (Paris 9).
  35. … sur l’orgue de Saint-Albert le Grand (Paris 13).

Éclats de rires divins, deuxième série : le rire qui console – 1/4

Collégiale de Montmorency à la nuit tombante, le 21 juin 2025. Photo : Rozenn Douerin.

Pour conclure le récital sur Le Rire de Dieu, donné en la collégiale de Montmorency le 21 juin 2025, j’avais choisi d’improviser une symphonie bigarrée « autour de quatre rires de Dieu ». Le premier mouvement, intitulé « Le rire qui console », évoque une « note sur le rire » de Marcel Pagnol, selon laquelle « Dieu a donné aux hommes le rire pour les consoler d’être intelligents ». Bien que cette consolation ne soit guère utile à une grande partie de l’humanité, la punchline explore avantageusement le désarroi lié à la lucidité et l’abîme qu’il ouvre dans l’esprit de celui qui le vit. J’aime bien l’idée

  • que le rire n’est pas réductible à la joie ;
  • qu’une métaphysique du rire est nécessaire, d’autant plus que « métaphysique du rire » ressemble à un oxymoron tant le rire, aussi bienfaiteur soit-il, est souvent lié à l’éphémère et au futile, pas au transcendantal – or, un oxymoron, c’est rigolo ;
  • que le rire est moins un cadeau de Dieu qu’une compensation offerte par le mythique big boss à sa créature afin de pallier les inconvénients de sa capacité à réfléchir, même si moult individus semblent avoir de la peine à se souvenir de ce superpouvoir.

L’improvisation s’ouvre donc sur une claudication qui évoque le désarroi métaphysique considéré ab initio non comme un gouffre abyssal mais comme

  • un petit truc qui cloche,
  • une écorchure dans l’évidence,
  • une très frêle fêlure relevée sur le mur des certitudes.

Cette découverte

  • résonne,
  • se déforme,
  • revient à la charge

façon envie de gratter une croûte qui fait mal : on sait que ça va saigner, mais impossible de s’en empêcher. La petite musique du doute et de l’incompréhension

  • s’harmonise,
  • se colore différemment,
  • s’amplifie peu à peu puis
  • semble, ô folie, chercher une explication à la bizarrerie du monde.

Résultat ? La question posée par l’observation devient obsédante, façon sparadrap du capitaine Haddock. Aucun angle, aucun plan sonore de l’orgue ne semble en mesure d’apaiser l’angoisse qui monte.

  • Les saccades liminaires deviennent les éclats d’un rire nerveux.
  • Les rares interstices plus calmes ne sont qu’attente du prochain éclat dont l’intelligence a besoin.
  • L’explosion finale laisse entendre un rire puissant dont la vocation consolatrice n’épuise pas la féroce inquiétude que l’intelligence sait souvent distiller.

Laissons cette inquiétude aux gens intelligents, s’ils existent, et, pour eux comme pour les autres, ainsi que chantait Ben Sidran, let’s turn to the music !

 

 

Éclats de rires divins, première série : la joie obligatoire – 5/5

Détail d’un vitrail de la collégiale Saint-Martin de Montmorency (Val-d’Oise), le 21 juin 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

La Suite fantasque improvisée autour de cinq rires de Dieu ouvrait mon récital du 21 juin en la collégiale Saint-Martin de Montmorency, et s’achevait sur une improvisation autour de l’injonction christique :

Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse !

L’injonction lâchée par Jésus dans l’évangile selon saint Matthieu, au chapitre V, verset 12, est doublement paradoxale. « Réjouissez-vous ! », déjà, est un ordre curieux. Se réjouit-on sur demande ou par obligation ? Mais ce n’est pas tout ! L’impératif surgit après une série de déclarations contradictoires, décrivant des béatitudes où

  • les larmes,
  • les persécutions (par deux fois),
  • les insultes et
  • les calomnies

sont censées rendre « heureux » ceux qui les affrontent ou, moins fiers-à-bras, les subissent. Pour le dernier épisode de cette Suite fantasque improvisée autour de cinq rires de Dieu, je voulais terminer avec une réflexion musicale autour de cette tension propre à la jubilation en général et au rire en particulier, autour de constats simples :

  • le rire porte ceux qui rient et horripile ceux qui ne rient pas ;
  • si le rire allège les rieurs, il engonce et agace les autres ;
  • le rire transforme le réel mais pour quelques secondes seulement.

L’improvisation part donc de l’injonction de réjouissance en la transformant en mantra. Le ressassement du « Réjouissez-vous ! » sature le discours moins par insincérité que par conviction que de la répétition de l’injonction naîtra l’allégresse exigée. Dès lors, l’obligation

  • de la bonne humeur,
  • de l’optimisme,
  • de la conformité au rythme des gens épanouis

envahit peu à peu les registres donc se teinte d’inquiétude : comment garder ce joyeux principe dans le biotope hostile de la vraie vie ? Sur le métal du rire, l’obligation agit comme une corrosion galopante. La joie rieuse devient fake et envahit tout, désarticulant le projet même de joie. Désormais, semble glisser Jésus, il faut se réjouir de ses avanies (et framboises), alors allons-y. Le tambourin devient

  • marche militaire,
  • procession funèbre, voire
  • requiem décadent.

Dans de derniers éclats de rire, le monde explose. Et alors ? Réjouissons-nous, soyons dans l’allégresse ! Qui sait si notre récompense ne sera pas grande dans les Cieux ?

 

Éclats de rires divins, première série : face à l’ennemi – 4/5

Collégiale Saint-Martin de Montmorency (détail) rosie par le soleil d’été, le 21 juin 2025. Photo : Rozenn Douerin.

Ce 21 juin 2025, en la collégiale Saint-Martin de Montmorency (Val-d’Oise), j’ai donné un récital autour des rires divins. Il s’ouvrait par une Suite fantasque improvisée autour de cinq rires de Dieu. Vient de résonner la troisième improvisation où le rire de Dieu se moque des hommes qui aspirent à se libérer de leur Créateur. J’ai décidé de prolonger ce rire qui préfigure le châtiment divin en le rapprochant du rire que ses ennemis inspirent à Dieu, et qui résonne régulièrement dans l’Ancien Testament. Pour cela, j’ai réutilisé plusieurs éléments impliqués dans la précédente improvisation tout en les modifiant plus ou moins légèrement :

  • le cornet résonne dès les premières secondes, mais il est inclus dans un plein jeu plus solennel ;
  • le motif que l’explicit de la troisième improvisation martelait est à nouveau impliqué, mais réharmonisé de façon multiple ;
  • le développement utilise peu à peu les quatre plans sonores (trois claviers + un pédalier), comme dans la dernière partie de la troisième improvisation, mais, cette fois, ceux-ci n’offrent que de légères différences d’intensité et de couleur.

La similitude entre l’impro 3 et l’impro 4, ici racontée, évoque la continuité du rire d’un Dieu pour qui les ennemis et les insolents ne sont que fétus de paille « car son jour arrive », comme le stipule le psaume 36, verset 13 ; les différences poursuivent la narration et évoquent d’autres aspects du rire divin.

  • En tournoyant obsessionnellement autour d’un motif, l’improvisation fait résonner la pérennité de la rhétorique du rire moqueur divin dans les textes vétérotestamentaires.
  • En corrompant petit à petit le leitmotiv, l’orgue tâche d’évoquer le moment où Dieu passe du mépris presque amusé à l’éclat de colère dévastateur – à nous,
    • dissonances,
    • claudications,
    • accélérations et
    • foucades.
  • En proposant une dernière partie plus déchiquetée, la musique évoque les essais et erreurs de l’homme pour se concilier Dieu ou se réconcilier avec lui.

La coda, explosive, propose un raccommodage triomphal : celui qu’a inventé le big boss et qu’a résumé saint Fulgence de Ruspe, dans une lettre lue pendant l’office du cinquième vendredi de Carême :

Quand nous étions encore ses ennemis, Dieu nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils.

Parce qu’elle associe le Nouveau Testament à l’Ancien, la Bible transforme la rhétorique très récurrente de l’ennemi de Dieu en une apologétique paradoxale de l’amour divin pour l’homme, au sens où le créateur pourrait détruire sa créature – il l’a démontré – mais choisit de lui offrir une voie de salut. En ce sens, le rire est la préfiguration de la résurrection autant qu’il a pu être décrit comme le prélude du châtiment. Telle est la réflexion – résolument

  • plus songeuse que rigoureuse,
  • plus pointilliste que scientifique,
  • plus onirique que théologique –

autour de laquelle

  • volette,
  • musarde et
  • butine

la quatrième improvisation de la Suite fantasque, dont voici un souvenir.

 

Éclats de rires divins, première série : le rire des Cieux – 3/5

Collégiale Saint-Martin de Montmorency, côté sacristie (détail), dorée par le soleil d’été, le 21 juin 2025. Photo : Rozenn Douerin.

Le 21 juin, en la collégiale de Montmorency (Val-d’Oise), la nuit des églises était l’occasion de glisser un récital autour des rires de Dieu. La troisième improvisation de la Suite fantasque improvisée autour de cinq rires de Dieu s’enfilochait autour du quatrième verset du deuxième psaume, traduit

  • çà « Celui règne dans les cieux s’en amuse »,
  • là « Celui qui siège dans les cieux rit ».

Cette double proposition est signifiante car le deuxième psaume est résolument ambigu. Il a

  • un côté « vanité des vanités, tout est vanité », façon l’Ecclésiaste, où la finitude humaine est un assommoir poussant à la soumission désenchantée ; mais il a aussi
  • un côté « tout est foutu, donc carpe diem », poussant à la YOLO attitude et à la revendication d’une forme d’interdiction d’interdire.

Au début du texte est l’amusement insouciant. Double, l’amusement :

  • celui des hommes qui rêvent de vivre sans entrave ; et
  • celui de Dieu qui les regarde faire, bonhomme et gentiment moqueur.

L’orgue en rend brièvement compte, entre

  • rebonds toniques,
  • légèreté ornementée et
  • libération de la gravité.

Puis une première anicroche musicale laisse entendre que le carnaval risque de claudiquer un tantinet. Le ver est dans la pomme. Il grignote. Parfois à bas bruit, parfois comme une évidence dont il devient compliqué de dissimuler les dissonances. Le doute

  • s’insinue,
  • devient inquiétude,
  • contamine l’insouciance plus enfantine qu’infantile de l’incipit.

Le motif liminaire s’effiloche mais demeure reconnaissable, écho nostalgique d’un désir de libération et d’ivresse. Les cornets de l’instrument tentent de redonner de la vigueur à ce cri de ralliement des festoyeurs. Cependant, des secondes dissonantes semblent subir les vibrations du rire moqueur de Dieu.

Un bourdon de pédale, sourd, installé dans le tréfonds des grave évoque cette déstabilisation inquiétante, d’autant qu’il apparaît comme le seul élément stable dans cet épisode où

  • tournoiement vain,
  • ressassement obstiné et
  • entraînements grégaires

dessinent, en modifiant le tempo, un espoir désormais désespéré d’échapper à la pesanteur et à la fatalité humaines. Comme en écho au rire liminaire, j’ai volontairement laissé la fin de l’histoire doublement en suspens :

  • en fragmentant la coda et
  • en évitant de la résoudre.

L’efficience du rire divin est à la fois manifeste et contenue. Certes, elle a renversé l’insouciance et la révolte. Certes, elle a vaincu l’autodétermination anthropique et la volonté de démissionner les Cieux. Toutefois, elle ne l’a pas annulé. Le motif liminaire reste dans la tête. Il faudra

  • rire,
  • rire encore,
  • rire toujours,

mais ça ne suffira pas à dompter les créatures. Dieu ne s’y trompe pas. Après le quatrième verset du psaume, qui a inspiré cette improvisation, l’heure est

  • à la fracasse,
  • à l’humiliation,
  • à la brisure.

Dieu tout amour n’existe pas, s’il a jamais existé dans l’imaginaire juif. Soudain, Dieu tout lui-même parle aux hommes « avec fureur, et sa colère les épouvante ». Il enjoint à son fils de tout détruire avec son « sceptre de fer » ; il ordonne aux hommes de choisir entre se soumettre et « être perdus ». Dans la gamme du psalmiste, le rire était n’était rien de plus

  • qu’une note de passage,
  • une inquiétante bizarrerie,
  • une fausse note vite cautérisée.

Et dans le recueil vétérotestamentaire comme souvent, les meilleures blagues restent toujours les plus courtes. Ce qui paraît long, c’est le reste.

 

Éclats de rires divins, première série : Isaac – 2/5

Le fronton de la collégiale Saint-Martin de Montmorency (détail) doré par le soleil d’été, le 21 juin 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

Pour méditer en musique sur « le rire de Dieu », titre du récital que j’ai donné ce 21 juin à la collégiale Saint-Martin de Montmorency, la suite fantasque qui ouvrait le concert déployait. Après le rire créateur, évoqué sur ce site le 21 septembre, le deuxième mouvement s’inspirait d’une phrase que l’on trouve dans la Genèse (XXI, 3) : « Abraham l’appela Isaac, c’est-à-dire : il rit. » À dire vrai, le rire d’Isaac est triple.

  • D’abord, il y a le rire d’Abraham quand on lui annonce qu’il va être papa alors qu’il a presque un siècle ;
  • ensuite, il y a le rire de Sara quand les trois voyageurs annoncent à son mari qu’elle va être enceinte ;
  • enfin, il y a le rire cristallisé dans le prénom d’Isaac.

Ce triple rire porte un nom : l’incrédulité, aka la lucidité. Le rire est le signe que l’homme a pris la mesure de Dieu. Il acte une distorsion du vortex dans lequel nous avons rangé notre réalité. Ce n’est évidemment pas la seule réaction qu’évoquent la Bible quand des personnages sont placés devant l’impossibilité d’intégrer la parole ou l’acte divin dans sa cosmologie. Par exemple,

  • Marie interroge ;
  • Paul s’effondre ;
  • Pierre ne comprend goutte ;
  • Thomas se rebelle, etc.

Ce nonobstant, le rire a ceci de particulier qu’il n’est ni un mot, ni un geste. Il est une réaction incontrôlée signalant l’inadéquation entre le langage, verbal ou gestuel, et un blast qui déflagre en un instant dans le rieur. C’est

  • un mécanisme de défense,
  • un réflexe de survie,
  • une saine panique pour ne pas se laisser submerger par l’idée que l’impossible est possible.

À travers la nomination d’Isaac, j’ai cherché à réfléchir musicalement sur ce rapport entre réalité de l’homme et réalité de Dieu. Le début de l’improvisation fait entendre une dichotomie entre le réel pesant qui nous écrase sur Terre (notes répétées et graves jouées plus ou moins fort à la pédale) et les fêlures qui, à la fois, laissent passer la lumière et nous déconcertent. Petit à petit, trois pôles

  • s’articulent,
  • se confrontent,
  • se mélangent et
  • se contaminent,

dissolvant pour partie les frontières entre

  • la gravité mutante,
  • les jaillissements aux sonorités changeantes et
  • l’harmonisation modulante d’un motif de six notes, comme si l’homme essayait en quelque sorte d’ingérer l’incompréhensible.

Jusqu’à la fin en suspens, j’ai tenu à conserver une part d’incontrôlé dans l’improvisation : impossible de parler

  • de saisissement,
  • d’incompréhension,
  • de fracturation du réel

en casant tout cela dans une structure

  • facilement décodable,
  • largement structurée et
  • essentiellement prévisible.

Voici le résultat.

 

Éclats de rires divins, première série : la Création – 1/5

La carte des rires

 

9,5 éclats de rires divins étaient au programme du concert donné ce 21 juin 2025 en la collégiale Saint-Martin de Montmorency. Les rires étaient répartis en deux cycles. Le premier, intitulé « Suite fantasque », s’ouvrait par une transcription du rire de la Création tel que l’évoque le papyrus de Leyde – et non de Leude, comme indiqué fautivement par mes petits soins sur la set-list. Il s’agit d’un best of modes d’emploi, écrit en grec dans la plus haute Antiquité ou presque, pour traiter l’or, de l’argent, des pierres et des étoffes. Entre chimie et alchimie, le texte explique « la lumière parut » quand Dieu « eut éclaté de rire ». Vinrent ensuite

  • les eaux,
  • Hermès,
  • la génération,
  • le destin et
  • le temps.

« Puis, avant le septième rire, Dieu prend une grande respiration, mais il a tellement ri qu’il en pleure, et des larmes naît l’air. » C’est ce récit captivant qui a inspiré l’improvisation ci-dessous. Pour éviter tout projet de représailles, stipulons qu’aucun orgue n’a été blessé pendant le concert. Après non plus, d’ailleurs. Bref.

 

Trilogie parisienne

À Saint-André de l’Europe (Paris 8). Photo : Jacques Bon (http://www.cafcom.net/).

 

D’ordinaire, la série des « improvisations pour la sortie de la messe du samedi soir » se présente sous forme unitaire : une impro par semaine environ, comme le titre le laisse entendre. Mais pour le catholicisme, l’Un est triple. Aussi, lors du week-end du 20 juillet, j’ai enregistré une improvisation à chacune des trois messes dominicales.

 

 

La première raconte la colère de Marthe, en écho à l’Évangile du jour. On connaît l’histoire (Lc X, 38-42) : Jésus débarque chez Marthe et Marie. Marie s’asseoit à ses pieds et l’écoute dégoiser. Marthe fait le service. Voir Marie glousser aux pieds du maître sans se sortir les doigts pendant qu’elle s’échine à servir les petits fours, plus le temps passe, plus ça la hérisse. Ça tourne. C’est difficile à verbaliser. Ça se cristallise autour d’un motif. Ça ressasse. L’itération fait boule de neige. Les décibels s’agrègent à mesure que monte le ressentiment. Ça cherche le bon moment pour exploser (quelques siècles avant d’exister, Big Ben résonne même fugacement). Ça se confronte à la saturation, à la stagnation, à l’étouffement. Et ça explose enfin quand le Christ envoie bouler Marthe sur l’air du « bien fait pour toi, l’autre est moins stupide que toi ». Après l’explosion, ça n’arrive pas à s’éteindre. Ne le veut pas. Se stabilise. Perdure dans l’écho du silence. Solitaire. Définitif. Incendie perpétuel.

 

 

La deuxième raconte la joie de la Parole, en écho au verset alléluiatique du jour : « Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. » (d’après Lc VIII, 15). La musique ausculte le bonheur qui croît à mesure que la Parole porte du fruit (donc que le son s’amplifie). Elle manifeste le ressassement de la Parole, sa force qui va avec une pulsation obsédante. Elle s’aventure à évoquer l’humanité du chrétien avec d’étranges dissonances, syncopes, sursauts, derrière l’apparente sûreté de l’itération tenant lieu de foi. Enfin, elle semble aspirer à s’apaiser en Dieu en cheminant vers une coda plus sereine, jouée comme un long point d’orgue diffracté – et hop.

 

 

La troisième raconte la fulgurance du Voyageur, en écho à la première lecture du jour (Gn, XVIII, 1-10a). Classique du récit vétérotestamentaire : aux chênes de Mambré, « le Seigneur » apparaît à Abraham sous la forme de trois voyageurs. Il les invite à casser une graine, boire une chope et profiter d’un pédiluve. Les zozos acceptent, apprécient et, au moment de partir, le Voyageur promet à Abraham qu’il reviendra et que, alors, le vieux aura enfin un fiston. La musique zoome sur ce qui se joue lors du micro-instant de cette promesse. Éloge de la parole performative. Jaillissement de la fécondité du Verbe. Déchirement du rationnel et du raisonnable. Coups de boutoir dans la réalité. Insaisissabilité intellectuelle de ce qui se noue, se renverse, s’accomplit pour Abraham, pour le croyant et pour l’homme. Échos infinis et déformés de la parole de Dieu. D’un triple voyageur, en somme.

Vivre est notre ordinaire (jusqu’à nouvel ordre)

Le 6 juillet en l’église de Saint-André de l’Europe (Paris 8). Photo de Bertrand Ferrier.

 

Pour l’Église, le plus ordinaire est l’extraordinaire qui fonde la foi… mais aussi l’ordinaire qui la rythme, puisque, le « temps ordinaire » des catholiques (par opposition aux temps de l’Avent, de Noël, du Carême et de Pâques) recoupe 33 ou 34 dimanches selon les années. En ces semaines ordinaires, les fidèles sont invités à célébrer la messe dominicale en mémoire de Pâques. Le temps pascal s’étant, cette année, arrêté fin juin, le « temps ordinaire » faisait son retour le 6 juillet.
Le thème de l’improvisation inscrite dans la série des « improvisations du samedi soir » était tout trouvé. Il s’agirait du passage où Robert Charlebois affirme alors que ses fans « voudraient qu’il soit un dieu » : « Je suis qu’un gars ben ordinaire ». Le texte est le reflet (donc l’inverse) de l’existence du Christ pour les croyants. En effet, Jésus n’a eu de cesse de vivre une vie ben ordinaire pour que les hommes reconnaissent en lui le fils de Dieu. Le personnage de Robert Charlebois, lui, est divinisé mais revendique son humanité. Pour l’improvisateur, les quelques notes du thème concentrent donc la tension du temps ordinaire. L’improvisation

  • interroge cette notion d’humain ordinaire,
  • la confronte au questionnement de ce que serait une vie extraordinaire,
  • se demande où est l’extraordinaire dans l’ordinaire :
    • la gloriole et le clinquant ?
    • le bruit que l’on fait pour être entendu ?
    • les pas de côté que l’on risque pour mieux voir ou être vu davantage ?
    • la brise bienfaisante ou la tempête impressionnante ?

Et si l’extraordinaire n’était qu’une manière pour l’homme ordinaire d’accepter sa condition en se servant de l’inaccessible étoile comme d’une excuse pour se trouver tout petit ou pour essayer de grandir jusqu’à la décrocher ?

 

L’allégresse de nos cœurs

Le 21 juin 2025, en l’église Saint-André de l’Europe (Paris 8). Photo : Bertrand Ferrier.

 

« Que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs ! » clame la séquence de la Fête Dieu, rebaptisée « Fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ ». Pour ce nouvel épisode des « improvisations pour la sortie de la messe du  samedi soir », j’ai essayé de tournicoter autour de cette lapalissade en la défiant avec un triple oxymoron, si si. J’ai imaginé une musique

  • triomphante mais joyeuse,
  • statique comme un dogme mais fondée sur un mouvement perpétuel pour rappeler que même les fêtes instituées évoluent (la fête Dieu insistait sur la présence réelle du Christ, la fête du Saint-Sacrement stabylote le don d’un Dieu amour manifesté à travers les espèces),
  • très simple dans son énoncé mais avec çà des foucades et là des bizarreries pour évoquer le côté inintelligible par la raison de la transsubstantiation.

Résultat ci-d’sous.