David et Slava Guerchovitch jouent Maurice Ravel – 3/4

Première du disque

 

Nous sommes au mitan de Ma mère l’Oye et « la nuit tombe », quoique portée par des tierces montantes calées dans une mesure qui s’affole, passant de deux à trois, puis à quatre, puis à cinq temps ; et c’est parti pour une de ces horror movies dont les contes ont le secret. Voici les sept enfants du bûcheron, feat. le Petit-Poucet (graphie du compositeur) qui « émiette un morceau de pain ». Tout paraît

  • tranquille,
  • insouciant,
  • paisible

mais, en réalité, les gamins sont perdus. Slava Guerchovitch surjoue habilement le contraste entre les notes qui s’égrènent en douceur et le narratif super dramatique qui sous-tend la partition. Quand les frangins comprennent leur douleur, le Petit-Poucet les rassure en leur montrant la piste de pain qu’il a fomentée. Rassurés, ils se couchent.

 

 

Les oiseaux en profitent pour picorer le pain. Le pianiste se fait un plaisir de donner à entendre les piafs, entre

  • pépiements de joie,
  • coups de bec répétés, et
  • coucou plus vrai que nature.

Au réveil, les gamins sont fracassés de désespoir en constatant que le super plan de Petit-Poucet a fait tchoufa. Ils continuent donc, très tristes, comme un Italien quand il sait qu’il n’aura pas de femme, pas de vin. Le retour du thème liminaire accompagne leur sortie, à laquelle succède l’annonce d’une nouvelle histoire : « Laideronnette, impératrice des pagodes ». Une cadence pour harpe et célesta casse la mesure pour déployer un prélude dont l’interprète saisit avec grâce le mélange

  • d’expressivité,
  • de surgissements et
  • de substrat imitatif
    • (glissades du drapé,
    • foucades rythmiques figurant peut-être la liberté hiératique des puissants,
    • harmonies asiatisantes).

 

 

Flanquée de six dièses à l’armature, la marche de l’impératrice est lancée. Point d’inquiétude : avec Slava Guerchovitch, la marche devient

  • élégance,
  • grâce et
  • dentelle.

Le ravissement du tube est garanti

  • (évanescence du toucher,
  • netteté du phrasé,
  • pertinence des accents,
  • habileté des nuances).

Puis, brusquement tout cesse quand « paraît Laideronnette », bientôt rejointe par Serpentin-Vert l’empressé. L’interprète se délecte du contraste entre une partie A déliée et une partie B très contenue. Le retour du motif premier remet une pièce dans le juke-box. Même si, çà et là, on aimerait que ça tam-tame un peu plus, l’on se délecte

  • de la maîtrise du clavier,
  • des splendides crescendi et decrescendi, ainsi que
  • de la capacité du musicien à décliner une palette impressionnante de nuances de piano.

Une trompe de chasse secoue ce bel ordonnancement. Les oiseaux deviennent pépier. Les dièses s’évanouissent dans la nature. Dans le jardin féérique de l’apothéose conclusive, évoqué dans un trois temps « lent et grave », « entre le prince charmant, guidé par un Amour ».

 

 

Devant lui, la princesse endormie. Le piano retient son souffle en marquant nettement les premiers temps. Sans un baiser, hélas, la princesse « s’éveille en même temps que le jour se lève ». Le registre aigu offre ses charmes cristallins à l’auditeur.

  • Arpèges,
  • suspensions et
  • évidence paisible

préparent l’apothéose en

  • glissandi,
  • accords répétés et
  • timbales graves,

lesquels traduisent la bénédiction du couple par la fée Bénigne devant tous les personnages croisés depuis le début. Au terme du ballet, bilan : grand plaisir d’avoir écouté l’histoire narrée par Slava Guerchovitch. Confirmant sa dilection stylistique, l’artiste se dérobe à tout excès d’expressivité, préférant

  • aux à-coups,
  • aux flashs et
  • aux tintamarres

son univers musical résolument tourné vers

  • la vibration intérieure,
  • la suggestion intelligente et
  • le clair obscur.

Comment cette esthétique se mariera-t-elle avec l’exigence secouée de Tzigane, la « rapsodie de concert » qui conclut le programme ? Réponse dans une prochaine notule à suivre, forcément à suivre !


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Johann Sebastian Bach
Maurice Ravel 1 et 2
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