
Pour méditer en musique sur « le rire de Dieu », titre du récital que j’ai donné ce 21 juin à la collégiale Saint-Martin de Montmorency, la suite fantasque qui ouvrait le concert déployait. Après le rire créateur, évoqué sur ce site le 21 septembre, le deuxième mouvement s’inspirait d’une phrase que l’on trouve dans la Genèse (XXI, 3) : « Abraham l’appela Isaac, c’est-à-dire : il rit. » À dire vrai, le rire d’Isaac est triple.
- D’abord, il y a le rire d’Abraham quand on lui annonce qu’il va être papa alors qu’il a presque un siècle ;
- ensuite, il y a le rire de Sara quand les trois voyageurs annoncent à son mari qu’elle va être enceinte ;
- enfin, il y a le rire cristallisé dans le prénom d’Isaac.
Ce triple rire porte un nom : l’incrédulité, aka la lucidité. Le rire est le signe que l’homme a pris la mesure de Dieu. Il acte une distorsion du vortex dans lequel nous avons rangé notre réalité. Ce n’est évidemment pas la seule réaction qu’évoquent la Bible quand des personnages sont placés devant l’impossibilité d’intégrer la parole ou l’acte divin dans sa cosmologie. Par exemple,
- Marie interroge ;
- Paul s’effondre ;
- Pierre ne comprend goutte ;
- Thomas se rebelle, etc.
Ce nonobstant, le rire a ceci de particulier qu’il n’est ni un mot, ni un geste. Il est une réaction incontrôlée signalant l’inadéquation entre le langage, verbal ou gestuel, et un blast qui déflagre en un instant dans le rieur. C’est
- un mécanisme de défense,
- un réflexe de survie,
- une saine panique pour ne pas se laisser submerger par l’idée que l’impossible est possible.
À travers la nomination d’Isaac, j’ai cherché à réfléchir musicalement sur ce rapport entre réalité de l’homme et réalité de Dieu. Le début de l’improvisation fait entendre une dichotomie entre le réel pesant qui nous écrase sur Terre (notes répétées et graves jouées plus ou moins fort à la pédale) et les fêlures qui, à la fois, laissent passer la lumière et nous déconcertent. Petit à petit, trois pôles
- s’articulent,
- se confrontent,
- se mélangent et
- se contaminent,
dissolvant pour partie les frontières entre
- la gravité mutante,
- les jaillissements aux sonorités changeantes et
- l’harmonisation modulante d’un motif de six notes, comme si l’homme essayait en quelque sorte d’ingérer l’incompréhensible.
Jusqu’à la fin en suspens, j’ai tenu à conserver une part d’incontrôlé dans l’improvisation : impossible de parler
- de saisissement,
- d’incompréhension,
- de fracturation du réel
en casant tout cela dans une structure
- facilement décodable,
- largement structurée et
- essentiellement prévisible.
Voici le résultat.