Enrique Seknadje, « Dentelles de l’existant » – 1/2

Première de couverture : photo d’Enrique Seknadje

 

On avait salué Laisse-toi aller, le disque précédent d’Enrique Seknadje. C’est avec empressement que l’on laisse enfin notre mange-disque gober Dentelles de l’existant, son dernier-né à la première de couverture volontiers

  • monstrueuse,
  • chimérique et
  • effrayante.

Le titre de l’album est aussi celui du premier titre, un moment planant

  • sur des nappes de clavier,
  • des enchaînements harmoniques spécifiques qui sont du pur seknadjisme, et
  • une cohérence stylistique entre
    • paroles,
    • arrangement et
    • coda avec trompette presque vacillante.

 

 

« Qui voudra bien de moi » tranche avec sa programmation entre disco et new wave, en tout cas vintage mais pimpée par une recherche de matière sonore qui sait à la fois

  • explorer,
  • tournoyer,
  • surprendre

sans perdre le fil narratif du personnage

  • « crasseux »,
  • « monstrueux »,
  • « squameux »,
  • « plutôt lépreux »

qui s’étonne et s’escagasse de foutre la flippe aux autres.

  • Ligne mélodique déchiquetée,
  • grammaire claudicante,
  • déformation vocale,
  • transformation des sons prolongés

dessinent un univers mental tourmenté donc intéressant qui n’oublie cependant jamais  de séduire (on est dans la chanson de variété, pas dans l’expérimental !) par

  • la variété des textures,
  • l’efficacité du groove qu’agrémentent de pertinents commentaires de guitare électrique, et
  • la coda ad libitum qui va bien.

« Tu m’as sauvé » confirme la direction schizophrénique du disque. En effet, « Dentelles de l’existant » oscillait entre

  • le je « flottant comme un enfant » et
  • le « tu » qui contemple « le vieil homme (…) / éclairé du dehors » ;

« Qui voudra bien de moi ? » enrichissait les personnages en confrontant

  • un « je » horripilant,
  • un « tu » qui a « rien dans l’cœur »,
  • un « on » hélas « bien trop gentil », et
  • le « ils » des gens qui « filent des coups »,

sans que l’on soit en mesure de déterminer s’il s’agit d’un même « je » entre irisé, dissocié et diffracté, ou d’individus voire de groupes réellement distincts du narrateur.

 

 

Sous ses airs de chanson d’amour, « Tu m’as sauvé » préserve cette ambiguïté de la fracturation de l’ego. Sa longue intro avec trompette synthétique et sons eighties prépare l’entrée d’une voix d’abord doublée à l’octave, puis profitant d’un écho qui semble dialoguer avec le texte en faisant rebondir les derniers mots. Fracturation

  • du sens,
  • du son, et
  • du texte

où le narrateur se dévoile « assez blessé » comme pour mieux ressusciter à « la rivière douce » qui permet de « distancer la douleur ». On peut ainsi se demander si celui qui chante et revendique d’avoir « tant changé » voire de s’être « arrangé » (comme Enrique Seknadje, gens chanté tant changé, a « arrangé » ses chansons) est un, deux ou deux qui ne font plus qu’un. La réponse se dérobe, heureusement car elle n’aurait aucun intérêt : les questions qui crochettent les dentelles de l’existant sont plus frémissantes que les phrases qui les réduisent à des bouts de tissu.
Quatrième titre du disque, « Bande de filles » propose une intro façon « Another one bites the dust » au sens où le groove renvoie la mélodie à ses chères études. Presque dance, bousculé par un texte volontiers secoué et repoussé derrière des boucles et des surgissements de claviers (à quand un long edit du morceau ?), la chanson n’échappe pas à la question du narrateur : « Je n’avais jamais vu comme ça », commence-t-il, avant de se lancer : « T’as plus qu’à te tirer de là ». Ce balancement du « je » au « tu » et retour, en présence d’un « elles » mais aussi de « papa » et « maman », résonne avec une musique

  • protéiforme mais profondément cohérente,
  • élaborée mais savamment basique,
  • excitante mais également astucieuse.

Nous découvrirons les cinq derniers titres dans une prochaine chronique. À suivre, donc !


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