« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 3
Le wokisme est une litanie. Il n’est pas
- constat d’échecs générationnels,
- revendication politique,
- dénonciation sociologique.
Il est itération. Le wokisme modéré est un oxymoron qui n’existe pas – pas sûr qu’il soit urgent de l’inventer. Par essence, le wokisme, comme tout fascisme, est obsessionnel voire hystérique, car il espère et exige un unisson et, surtout, une uniformité dénonçant une autre uniformité supposée. Comme tout fascisme, le wokisme est fondé sur la haine de l’autre, l’autre étant le Blanc cisgenre. Ainsi, avant de se désister, l’université Grenoble Alpes a validé « une quarantaine d’inscriptions artistiques » d’Emmanuelle dite Petite Poissone proclamant, entre autres :
- « Le monde a mal. Normal, il est dirigé par des Blancs et des mâles »,
- « La Terre est monochrome comme un arc-en-ciel, le racisme est juste blanc »,
- « Aux échecs comme à la vie, les blancs ont un coup d’avance » ou
- « J’aimerais grand-remplacer le gouvernement français ».
Cette haine et cet appel à la haine sont confortés par les institutions et par le fait que la justice garantit que les éventuelles réponses virulentes des insultés seraient, elles, punies de prison : le wokisme est une couardise sous bouclier. Atout supplémentaire, ces messages peuvent s’exprimer mezza voce mais non moins intensément. Par exemple, quand, après avoir consacré deux pages sur l’avenir de la SF que serait « l’afrofuturisme », étiquette qui « libère les imaginaires » car son origine est attribuée à une « écrivaine féministe », Le Monde des livres du 16 mai 2025 sélectionne p. 4 huit livres d’auteurs présents à une vente de livres montpelliéraines. On y trouve notamment
- une dénonciation de la colonisation allemande du Cameroun (« comment peut-on se révolter contre la domination coloniale et rejeter ainsi son fils ? ») pour représenter le versant racialiste du wokisme,
- un produit racontant l’histoire d’une personne qui « se désigne au masculin la plupart du temps, pas toujours, mais est systématiquement genrée au féminin » pour s’opposer au lien entre sexe et genre,
- un objet féministe où « l’autrice, née en 1983, se fait le porte-voix de son propre corps et ceux d’autres femmes » car « l’autrice s’intéresse (…) aux ravages du patriarcat » pour poser que les hommes cisgenres sont des salauds, et
- un épigone tentant de profiter de la notoriété de Nelly Arcan, certes « femme qui écrit sur la sexualité » mais surtout « femme étouffée par les normes imposées à son genre » (à son genre, hein, pas à son sexe) pour vilipender la domination éternelle des hommes.
C’est la prévalence de ce ressassement associant communautarisme – donc haine de l’autre – et victimisation sélective qui a ému les participants du colloque livresque manifesté par Face à l’obscurantisme woke, paru aux PUF sous la direction d’Emmanuelle Hénin, de Xavier-Laurent Salvador et de Pierre Vermeren. Lequel Xavier-Laurent Salvador signe un article sur l’école « à l’heure de la dénonciation des codes de la culture dominante ». Écrit sans doute à la va-vite ou en pariant sur l’adhésion a priori du lecteur, le texte s’offre quelques moments grotesques comme cette dénonciation des « sélections dans des domaines tels que le sport, le football, la mode » même si, à titre personnel, on a un peu du mal à considérer cette farce du ballon rond comme un vrai sport, bref. L’article est une charge contre l’université qui encouragerait les doctorants à travailler « sur des thématiques cruciales telles que la race et le genre ». L’auteur bondit devant l’enseignement de l’intersectionnalité en Inspé afin de « limiter les enseignements empêchés » transformant in fine « l’appartenance ethnique, sociale ou culturelle » en « alpha et oméga de l’enseignement scolaire » à cause de l’université, la maudite université. La charge gagne en fureur polémiste ce qu’elle perd en
- clarté,
- précision et
- efficacité,
donc beaucoup, sinon tout. Moins à l’aise à en croire les formules gnangnan et souvent maladroites qu’elle dégaine, Céline Masson n’en prétend pas moins démonter « la fabrique d’une utopie et son imposition (aïe, faux sens) totalitaire ». Pour l’essentiel, elle dénonce « l’exhibition de l’intimité » afin de défendre « une cause commune qui reste hyper subjectiviste », id est la transformation du constat de sexe en libre-service du genre, l’ensemble étant enveloppé dans la menace de la stigmatisation réservée à la « LGBT-phobie » ou à l’accusation d’être « anti-trans ». La communication de la psychologue se révèle n’être qu’un plaidoyer pataud – euphémisme – pour les organismes qu’elle
- fonde,
- dirige ou
- anime
à tour de bras, au grand dam (selon elle) de « militants transaffirmatifs » ayant parfois été, crime ultime, candidats « sur une liste LFI-PC-ND ». Car le wokisme est politique, mais la politique woke est difficile à cerner. Pour éclairer cette part sombre de la question, Pierre Valentin propose d’examiner les « accords et désaccords entre le libéralisme et l’idéologie woke ». Explicitons : le wokisme étant censé caractériser « la gauche », méchante et sale, le libéralisme est l’autre nom de la droite, gentille et d’une propreté pimpante.
Selon Pierre Valentin, qui ne prend hélas guère la peine de s’appuyer sur de vivants exemples, le wokisme est une idéologie envisageant les « structures occidentales » comme des projets ayant pour but d’inférioriser l’Autre. Ainsi, le wokisme considèrerait la raison comme une fiction de Blancs visant à entériner leurs préjugés. Le résultat est la transformation d’un « individu rationnel et autonome (« Je pense donc je suis ») » par un « individu victimaire (« j’ai souffert donc j’ai raison ») » et constructiviste (« les différences entre les hommes et les femmes disparaîtront une fois le système patriarcal aboli »). Le sympathisant woke est « exceptionnellement fragile et paranoïaque », mais – ou donc – prêt à s’associer à des semblables pour « formuler une normativité commune » non plus positive, c’est-à-dire revendiquant un ensemble de réalités objectivables, mais opposées aux normes qu’il estime
- stigmatisantes,
- humiliantes et
- oppressantes.
Dans ces conditions, si le libéralisme philosophique et politique est un piètre adversaire au wokisme, selon Pierre Valentin, il connaît grâce à son adversaire ses défis : « Rebâtir l’unité perdue et apporter une réponse à la crise du sens. » Manque, dans ce balabala infécond, d’autres formules aussi creuses telles que :
- reconstruire un narratif d’inclusivité républicaine,
- refonder un cap, et
- travailler à un vivre-ensemble sincère et réellement engageant.
Ainsi imaginé, l’antiwokisme universitaire semble à l’image d’un recueil d’articles où l’analyse est souvent assez idéologique pour sombrer dans des marais
- vaseux,
- verbeux,
- vides
que l’idéologie qu’elle aspire à déminer. À suivre : le moins mauvais est peut-être à venir !