
Le spécialiste des ouh, des hampes et des zambalambïlo, a débaroulé dans la chanson française avec un humour percutant et des chansons faussement home made, réinventant la chanson d’humour en associant
- parophonie,
- absurde et
- sens imparable de la mélodie.
C’était un choc, un bonheur et un honneur de découvrir un pur hurluberlu. Cela aurait aussi pu être une prison dorée. Fort de son succès initial, Gérald Genty, contraint à voyager dans des TER minables interminables, a longtemps été cantonné au rôle du petit marrant (et non du potimarron, c’eût pu partir en courges) qui n’a jamais été uniquement le sien. Il a
- feint de bricoler ses disques,
- mis en scène son inadéquation avec la rectitude linguistique (et hop), et
- claqué quelques tubes qui lui collent encore au cœur et au corps,
notamment les titres d’ouverture de ses deux premiers disques (« Pour l’instant, j’suis pas encore très connu » et l’indispensable au titre improbable « Mon prénom, c’est Gérald, pas Gérard »).
- Efficace,
- farcesque et
- intelligent,
le grand blond avec des chaussures de sport a séduit par son allure, sa finesse et son astuce. Puis il a semblé se sentir à l’étroit dans le costume qu’il avait contribué à tailler pour lui. En 2017, après avoir salué sa foufouitude dans divers endroits, on finissait par se demander à l’Essaïon s’il ne risquait pas de tourner un popopopopopopopeu en rond. Avec la prétention du Kritike qui, bien sûr, sait tout mieux que tout le monde, on subodorait que le gaillard avait un univers assez profond pour ne pas être que le comique troupier (ce que l’on adorait) valorisé par l’excellent Sylvestre, qui n’était pas un âne à la contrebasse. Nous n’avons pas oublié leur duo Vedette à la Manufacture chanson. Un an plus tard, le chanteur nous écrivait pour nous dire en substance : « Peut-être mon nouvel album vous intéressera. »
Effectivement, le mutant a su basculer d’un humour obligé à un humour saupoudré : parfois drôle, parfois pas que, mais sans confronter les deux. On sait comment Wally s’est artistiquement effondré quand il a quitté son personnage artistique de mec drolatique pour devenir Lilian Derruau, chanteur sciemment pas drôle mais, as far as we’re concerned, pas super intéressant. Gérald Genty a évité le piège grâce à la puissance de certaines de ses « chansons pas drôles » sans, pour autant, renier son inclination pour la marrade
- finaude,
- joyeusement grotesque, voire
- profondément ancrée dans le basique efficace.
Et c’est bien ça ce qui constitue, à notre aune, l’intérêt spécifique de ses concerts, cette tension palpitante entre
- l’image liminaire et son incarnation du moment,
- le zozo lunaire et le quinqua conscious,
- le farceur invétéré et le chanteur qui, dur, dure.
Pour ce soir, après sa « tournée d’antho(n)logie », le seurfeur de la fredonnerie a opté pour une tenue de scène « pas prise par les autres chanteurs ». Partant,
- pas de cuir,
- pas de jean,
- pas de survête,
juste
- un short d’athlé,
- un T-shirt et
- une veste noirs.
De quoi se mettre en jambes pour le double défi du jour : commencer le show sans guitare, quitte à ne savoir que faire de ses mains ; et commencer la première chanson sans parler avant (raté).

Au piano, vient s’installer Julien Carton (ou Alex Lutz, difficile de le déterminer) qui, tantôt, jouait à Bercy pour soutenir Matmatah. C’est parti pour « Le métier qui sort », excellente miniature sur la déréliction du métier de chanteur avec du texte dedans. Suit une « Retraite » qui n’est ni spirituelle ni leprestique. Pourtant, le gars l’admet : « Pour un chanteur, la retraite, c’est quand on est mort. D’ailleurs, Hugues Auffray a bien anticipé. » Concrètement, tel qu’il l’imagine, la retraite, ce serait « loin comme Tahiti en ferry » ou « le Bouthan (en) train ». Peut-être sera-ce l’occasion de se mettre à la peinture moderne ou aux langues vivantes, mais pas sûr : « L’art abstrait, c’est très compliqué » et « l’arab’, c’très compliqué ». En attendant l’arthr(a)ite, le chanteur s’imagine visiter « l’monde entier avec mon dentier ». Faire rire sans coup férir, mais dire quelque chose en faisant vibrer le langage : that’s Gérald Genty for ya anyway.
À défaut de faire toucher ses étoiles – aucune allusion – à Louane, la star du soir dégaine « Petit avion » avec antisèche assumée, extrait de Là-haut. Il y lance un « Mayday » en espérant qu’on vienne « m’aider », car le pauvre a perdu les pôles contre quoi s’appuyer. Sans cracher dans la soupe, il nous prévient : « Ce vent dans l’dos qui vient d’en haut / c’est nous. » S’il n’est pas blanchi sous le harnais, le chanteur est roué et glisse sciemment très vite dans sa set-list cette chanson pas drôle, en dépit de ses parophonies consubstantielles au gentyisme. C’est une astuce bienvenue pour poser que tout ne sera pas sur la ligne d’un Hubert, l’hurluberlu. Sur un accompagnement type rag, efficace et discret, le zozo confirme son plaisir à se trouver sur la ligne de crête entre jeux de mots et chanson sérieuse.
Le voici écrivant à ce « Cher Nobil » pour prendre des nouvelles et savoir comment vont « l’irradi du jardin ». Sa nouvelle chanson avec « Vue sur mer » poursuit sa veine sérieuse zébrée de retournements sémantiques, en hommage à cette « cité balnéaire de Normandie » où il habite et où erre un SDF qui constate que les gens ont « des vies, là, dans des villas », donc « des pièces par-ci, par-là, tout comme moi ». Des gens qui, comme lui ou presque, finissent par tôt ou tard par changer de por(s)che.
Sachant qu’il nous fera la grâce de ses vieux tubes plus tard, l’audacieux olibrius claque, et l’on en est fort jouasse, une autre nouvelle chanson en hommage à une fille dont les principaux talents seraient qu’elle « fait des crêpes qui ressemblent à la Lune » et a « des étoiles dans les œufs ». Julien Carton conclut l’histoire en jouant le « Clair de crêpe » au piano – pas l’intégrale, non, mais le début, si.
« MH 370 », premier single modulant de Là-haut, imagine la vie de ceux qui « ont élu domicile » quelque part après avoir bien reçu « dans le dos missile ». L’accompagnement du pianiste est
- humble,
- précis,
- utile,
donc on aimerait parfois qu’il envoie davantage de pêches dans le panier, pour alimenter le filet (mignon) de voix du chanteur… qui craque et prend sa guitare pour postluder avec crescendo puis decrescendo – ha, les formes en (m)arche, ha ! On frétille. Un peu de musique dans ce monde de mots, youpi !
Et soudain, c’est le drame. Voilà que les messieurs sur scène tombent la veste et se pommadent pour se chauffer les muscles. Inutile de protester : le chanteur tient le compte et estime qu’ils ont « presque fait la moitié », ce qui, grosso modo, signifie qu’ils ont « joué pour 10 € ». Donnons-nous rendez-vous dans une prochaine notule pour découvrir les 10 € restants !