
En 2017, Gérard Morel gagnait l’Oscar du titre de disque le plus tarabiscoté en signant Affûtiaux cafouilleux, dont il extrait « La prunelle de ses yeux », ode à l’incipit pas très éloigné musicalement du brélique « Amsterdam » et, surtout, hommage à la femme qui « se chauffe au jazz » et le chauffe pas mal, au point qu’il tient à cette mousmé comme « à la prunelle de ses yeux ». Dans le labyrinthe de parophonies et détournements de syntagmes figés, le zozo à la bouille gourmande s’ébroue dans une tension savoureuse entre sensibilité et humour, l’humour servant à la fois de paravent pudique et d’enseigne lumineuse pour crier en lettres de néon l’amour qu’il est si difficile de dire.
D’où, sans doute, son amour pour la grasse mat’ amoureuse, qu’il chante comme « une autre spécialité de l’Ardèche, après la sieste », histoire de profiter des moments où, horizontalement bien accompagnés, on flanche, mordus, en constatant avec délices qu’il « pleut des cordes de pendu ». La stratégie du chansonneur est têtue : je t’attrape par l’humour afin de t’entraîner sur un terrain inattendu grâce à
- une mélodie,
- une écriture volontiers antépiphorique – si, si – qui consiste à réutiliser un groupe de mots de façon motorique (et hop),
- métaphore filée et
- érotisme alla francese.
Hommage à la pseudo sublimation de la souffrance par la chansonnette et à Bernard Joyet par l’occasion (aucun rapport), « Le tango du lumbago » se risque à confondre « Ay ay ay » avec « aïe aïe aïe » pour réfléchir, l’air de rien, sur le rôle de la chanson comme souffre-douleur – ce que des olibrius de la trempe d’un Jacques Debronckart ou d’un tonton Georges n’ont pas négligé d’aborder. Alors que l’excellent Jean-Pierre Morgand constatait qu’il y avait TCDA, Gérard Morel en propose une de plus, centrée sur les pectoraux, avec cette supplique olé-olé façon Pierre-Dominique Burgaud + Alain Chamfort :
Pour que, demain, un grand amour se forge,
Laisse-moi te rester, mon amour, en travers de la gorge.
Gérard Morel est définitivement un chanteur du désir. Loin d’être confit en contemplation, il s’expose en homme gourmand. Libidineux ? Ben, heureusement, revendique-t-il quand, en complimentant une nana – une dame, si vous voulez, mais comme il la tutoie, c’est plutôt une nana, et Émile n’y aurait rien vu de mal – pour sa vêture, il reconnaît que tout lui va bien car l’essence donc « le nu lui va si bien ».
Le voici bientôt hésitant entre le lit de Natacha et le chat de Nathalie dans « Le dit du chat de Nathalie », comme Pierre Louki hésitait entre baiser Charlotte et embrasser Sarah. Pour se décider, il se résout à passer à la vitesse supérieure : après les chansons d’amour, les chansons de la déclaration de l’amour. En l’espèce, une formule redoutable, très inconnue, toujours affûtiale, toujours cafouilleuse, qui résume vachement bien de quoi ça cause : « Je t’aime très beaucoup », autrement dit « de Charybde en Scylla ». Juliettique (et certes pas que par sa relation avec Bernard Joyet), Gérard Morel propose – avec une intro courte, souligne-t-il – un festin façon Philippe Chasseloup draguant Amandine pour rappeler que la bonne bouffe à deux n’est pas forcément qu’une question de plat – la courbe nous va si bien.
L’artiste a si bien réussi à séduire le public en passant de la tonne bouffe à la bonne touffe qu’il est contraint de dégainer ses favourite encores : le sacré « Cantique en toque », la très intime « Chanson à la con » et, après que des gens réclament des nouvelles de son beauf, son hénaurmité à lui : « Les goûts d’Olga », son tube éternel.
- Du métier,
- de la singularité,
- de la présence :
une belle soirée de chanson
- finaude,
- joyeuse et
- bien m’née.
Respect, môssieur Gérard Morel !