Herbert du Plessis, INJA (Paris 7), 16 mai 2025 – 3/4

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Herbert du Plessis – en vision nocturne – le 16 mai 2025 à l’INJA (Paris 7). Photo : Rozenn Douerin.

 

Contrairement aux deux fois douze études de Frédéric Chopin, dont nous avons tantôt évoqué l’exécution du second cahier par Herbert du Plessis, ce 16 mai 2025, les treize nocturnes de Gabriel Fauré ne forment pas un bloc. Au contraire, certains sachants – quasiment des gens qui sachent, donc, par opposition aux gens qui savent et sont quasiment ce que l’on appelle des savants – les considèrent comme un fil rouge courant le long de l’existence du compositeur. L’interprète a donc toute légitimité à picorer dans cette mangeoire pour en retirer les grains qui nourriront leur public, et agencer ce que le musicologie ou presque Jean-Jacques Goldman appelait des « petits bouts de petits rien » en fonction du récital qu’ils

  • complètent,
  • confortent et
  • structurent à la fois.

Après l’exubérance qui bat dans nombre d’études de l’opus 25, le nocturne opus 74, septième de cette longue série discontinue, tranche par son intériorité que figurent par exemple

  • une tonalité mineure, donc assombrie,
  • l’étrangeté de l’espace offert par une mesure à 18/8, et
  • les ondulations qui associent
    • descente vers les abysses,
    • sursauts refusant l’enlisement et
    • irisations cherchant la lumière dans les miroitements.

Herbert du Plessis semble donner vie à l’association fluctuante entre

  • ternaire et contretemps, puis entre
  • ternaire et binaire, mais aussi entre
  • stabilité et foucades discrètes
    • (modulation,
    • changement de tempo,
    • retour aux premières caractéristiques).

Plus que la dimension méditative ou rhapsodique, le pianiste paraît traduire la puissance d’une inspiration qui se dérobe au carcan d’un développement prévisible mais accepte

  • d’osciller,
  • de faseyer,
  • de privilégier le souffle du moment à la sagesse du définitif.

Sauf sur les morts (et encore, pas sur tous, à en croire certains), la nuit ne tombe jamais pour toujours. Fidèle à ce principe, ce 16 mai 2025, le nocturne s’empare

  • des ombres,
  • des grisés,
  • des mouvements enténébrés

pour vibrer sans se laisser ensuquer dans d’immuables ténèbres.

  • Les tonalités changent,
  • la mesure sursaute,
  • la célérité du discours fluctue,

et cependant la musique parvient à greffer les charmes de l’exploration un rien inquiétante sur le réconfort de motifs qui

  • se développent brièvement,
  • se résolvent,
  • se répètent,
  • se modifient,
  • s’emportent,
  • se dégonflent,
  • disparaissent derrière de nouveaux venus puis
  • réapparaissent dans l’espace sonore ainsi suscité,

jusqu’à la transmutation sereine et presque fougueuse du do dièse mineur initial en Ré bémol (en gros, do dièse et ré bémol, c’est la même note mais l’accord liminaire est dark alors que l’accord final est plus lumineux). Avec

  • sa science musicale,
  • son savoir-faire technique et
  • son intuition artistique,

Herbert du Plessis parvient à trouver l’équilibre entre les deux grands défis offerts au musicien par cette œuvre :

  • avoir de la suite dans les idées, et
  • se laisser aller au plaisir de l’inattendu.

Le sixième nocturne op. 63 s’affiche en Ré bémol et doublement ternaire. En effet, ses mesures associent trois blanches et six séries de triolets de croches – on est à nouveau pour partie en 18/8, le rapprochement entre les deux pièces résonne donc immédiatement. Dès l’adagio liminaire, Herbert du Plessis en situe néanmoins la spécificité avec une précision saisissante : ce nocturne-ci est

  • plus lyrique mais non moins intérieur,
  • plus expressif mais non moins énigmatique,
  • plus lisible mais non moins imprévisible.

Certes, il utilise la mutation que l’on vient d’entendre (Ré bémol majeur devient do dièse mineur), mais il travaille aussi des mutations discrètes comme le passage de 3/2 en 3/4 avec la simplification de la pulsation ternaire. Surtout, il n’oppose nullement récurrences structurantes (j’entends par cette expression le fait de reconnaître un motif au gré de ses réexpositions) et foucades

  • de rythme,
  • de vitesse ou
  • de tonalité.

Avec une maîtrise confondante du texte et de son articulation, Herbert du Plessis excelle à laisser scintiller ces aspirations (qui ne sont contradictoires qu’en apparence)

  • au mobile et à l’itératif,
  • au varié et au récurrent,
  • à la rupture et à l’unitaire.

Nourrissant l’imaginaire des auditeurs,

  • l’étagement élégant des voix,
  • la palette astucieuse des nuances et
  • l’aisance digitale dont fait montre l’interprète

dessinent un monde nocturne où la sensibilité d’Herbert du Plessis gomme allègrement la complexité du texte. En n’en conservant que la poésie en clair-obscur, il plonge le spectateur dans tout un monde pas si lointain. Après quoi, deux rhapsodies hongroises de Franz Liszt – la soirée est produite pour une association magyar – promettent une conclusion pimpante, dont nous rendrons compte dans une dernière notule sur ce concert, si vie nous est prêtée peu ou prou jusque-là.