Irakly Avaliani joue Franz Schubert – 1/4

Première de couverture

 

En juin 2010, Irakly Avaliani se posait devant les micros de Sébastien Noly et derrière un Steinway D réglé par Pierre Malbos pour capter 1 h 10 de Franz Schubert, offrant ainsi un regard singulier sur une œuvre vaste et souvent géniale. C’est pourtant par un andante sans titre, que certains soupçonnent d’avoir été un projet de mouvement pour une sonate jamais écrite, que le pianiste commence son voyage. De la sorte, d’emblée, il annonce la couleur : il jouera son Schubert, pas forcément le plus célébré mais celui que l’interprète ressent comme essentiel. L’andante en La D.604 est en théorie un 6/8 (six croches par mesure), mais Franz a décidé de le malmener :

  • triolets de doubles,
  • mesures enjambées et
  • contretemps,

associés à un attrait pour le chromatisme, font groover le projet. Le choix du morceau pour ouvrir la traversée est malin car la partition a des allures de prélude. L’oreille goûte notamment

  • la régularité de la métrique,
  • la délicatesse du toucher,
  • l’étagement des voix, et
  • l’art de la respiration durant juste le temps qu’il faut pour aérer le discours sans le sous-titrer lourdement.

 

 

Tout est clair. Chaque note est pesée au trébuchet. Loin du Schubert sombre ou étincelant, Irakly Avaliani introduit à un Franz agréable (ce n’est pas une insulte, on finit parfois par l’oublier), courtois, dont on a hâte de boire les prochaines paroles – en l’espèce les trois pièces pour piano D.946, rassemblées par Johannes Brahms dans un recueil mais non destinées à former un cycle en tant que tel. Là encore, le choix de ces pièces publiées à titre posthume est significatif :

  • pas de grande sonate sous les doigts du Franco-Géorgien ;
  • pas de grosse machinerie ronflante ;
  • pas de titre affriolant.

Non, on entre dans ce disque Schubert par l’intime, le discret, le ressenti. Après un andante, voici trois « pièces pour piano », à commencer par un allegro assai écrit dans cette tonalité vicieuse de mi bémol mineur. Le tuilage avec l’andante est astucieux : le premier faux impromptu contraste par sa tonalité, son allure et sa battue à deux temps avec le premier morceau. Cependant, Franz Schubert déjoue la caricature du deux temps comme il déjouait la caricature du 6/8 en secouant la boîte à notes. Ici, la mesure est certes à 2/4, mais aussi à 6/8, et le compositeur ne va pas se priver de frotter le silex du binaire à celui du ternaire. Nous voici happé par

  • la variété des attaques,
  • l’amplitude des nuances et
  • l’art de profiter des disruptions
    • (modulations,
    • silences,
    • changements de tempo

sans abandonner l’auditeur dans un monde décousu.

 

 

Irakly Avaliani sait raconter une histoire en ménageant

  • du mystère,
  • de l’évanescent,
  • de l’espace pour l’imaginaire,

ce qui est indispensable pour encaisser les reprises dont était féru Franz Schubert (un peu trop à notre pas humble goût). Dans ce contexte, le retour du motif initial – plus vaste qu’attendu – met en évidence

  • la maîtrise du triple piano,
  • l’aisance technique et
  • la hauteur de vue musicale

qui animent l’interprète. De quoi donner rendez-vous avec gourmandise pour une prochaine chronique qui évoquera les deux autres « klavierstücke ». À suivre !


Pour écouter le disque (pas forcément dans l’ordre et avec des erreurs dans le référencement), cliquer ici.

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