
« Après une lecture de Dante » alors que l’on vient d’entendre du Rameau, est-ce bien raisonnable ? Dans la touffeur de juin, nul doute que Jonathan Benichou-Rabinovitch n’a cure des bienséances compassées. Il vient, il crée, il pose, grand bien fasse à ceux qui ne le suivent pas. Il a, plus que son intégrité, sa vision artistique. En dépit de sa présentation très intériorisée, il ne veut pas de spectateurs timorés. Son discours incite à jouir
- des abymes,
- des contrastes d’éclairage,
- du goût lisztien pour la narrativité,
- de l’inclination du compositeur pour les foucades de la fantaisie plutôt qu’aux contraintes contrites de la quasi sonate.
La proposition saisit. On goûte la gestion
- du temps
- (régulier,
- suspendu,
- bousculé),
- des décibels
- (ampleur spectrale des nuances,
- confrontations brutales,
- progressions maîtrisées), et
- des couleurs
- (dramatiques,
- lyriques,
- stroboscopiques).
Après Rameau, c’est ultra-efficace, d’autant que Jonathan Benichou-Rabinovitch ne joue pas un Liszt de concours. En effet,
- pas d’effets wow, malgré la virtuosité patente,
- pas de « t’as vu c’que je sais faire » en dépit du défi technique,
- pas de côté joueur de bonneteau, à base de : « Regarde mes mains, tu les vois, tu les vois plus, tu les revois, hop, elles ne sont plus ici, tiens, elles sont là ».
Son Franz L. est
- moins écorché vif ou démonstratif qu’ultra expressif,
- moins à fleur de peau qu’enserré puissamment dans une intimité tourmentée,
- moins pyrotechnique qu’électrique au sens où il est secoué d’éruptions énergisantes et que l’on pressent néanmoins dangereuses.
On fantasme ou devine un long compagnonnage de l’interprète avec la partition tant l’exécution se plaît à révéler certains plis secrets de l’œuvre
- (valorisation d’une note en particulier,
- choix d’un tempo,
- caractérisation de l’atmosphère par l’usage généreux ou resserré de la pédalisation…).
Cette approche conduit le pianiste à presque gommer l’aspect acrobatique et show-off consubstantiel des grandes pièces lisztiennes. Le résultat est une fantaisie qui se défend de toute tentation rhapsodique :
- les contrastes n’estompent pas la ligne directrice,
- la variété des motifs tourbillonne autour d’une unité narrative,
- les mutations thymiques laissent apparaître une unité d’intention.
L’œuvre y gagne en intériorité ce qu’elle perd en explosivité, trouvant un juste équilibre entre les similitudes avec la forme sonate et le tumulte bouillonnant de la fantaisie profondément impétueuse. Aussi y puise-t-on
- de la musique plus que des sons,
- de l’intensité plus que du spectaculaire,
- des respirations plus que du silence, et
- de remarquables entre-deux
- (tuilage,
- coupure,
- étincelles du changement),
dont la maîtrise est essentielle pour faire sonner cette partition. En somme, Jonathan Benichou-Rabinovitch claque une proposition
- remarquable,
- intelligente et (néanmoins)
- fort sapide,
qui renvoie aux oubliettes certaines versions plus ancrées dans les stéréotypes censés « faire Liszt ». Comment le sixième nocturne de Gabriel Fauré va-t-il résonner après la fougue lisztienne ? Voyons cela dans une prochaine notule, voulez-vous ? À suivre, donc !