Monica Leone et Michele Campanella jouent Schubert (Odradek) – 1/9

Première du disque

 

Jouer ensemble (« insieme ») : voilà le projet, guère original, de cet ample parcours de l’œuvre pour quatre mains de Franz Schubert, une formation qui inspirait particulièrement le compositeur. Bien que le disque soit paru tout récemment chez Odradek (livret en anglais et en italien), c’est en juillet 2008 que, armés d’un Steinway 1892 et des micros de Valter Neri, Monica Leone et Michele Campanella entamaient l’ascension des montagnes schubertiennes par la face D.940, celle de la fantaisie en fa mineur opus 103 de 1828, distribuée en quatre mouvements. L’allegro molto moderato, tube inusable, distribue clairement les genres : au piano II (Michele Campanella),

  • la rythmique,
  • le groove et
  • l’harmonisation ;

au piano I (Monica Leone), la ligne mélodique éventuellement doublée à l’octave inférieure. Le swing naît de l’assemblage entre le balancement du piano II et les déséquilibres du piano I :

  • rythmes pointés,
  • appogiatures,
  • légèreté du toucher et des intensités contrastant avec la tension ou la nostalgie ici diffusée par le mode mineur.

L’inversion des rôles nourrit la tentation de passer au mode majeur : d’abord penchant vers le La bémol, soit la gamme relative de fa mineur, elle bascule ensuite en Fa, soit la même tonalité qu’au début mais dans un mode différent. Les pianistes transforment ces considérations ascétiques en musique par

  • la délicatesse de leurs touchers qui écrête les arêtes en préservant leur réjouissante âpreté,
  • leur capacité à unifier le son sur l’ensemble des registres sans aplatir les contrastes nécessaires aux dynamiques, et
  • leur sens du rythme qui donne de l’épaisseur mais aussi du mystère à leurs respirations et aux silences.

Des accents forte et des triolets entêtés marquent le retour en fa mineur mais pas la fin des modulations. Le calme semble revenir quand le motif liminaire revient avec sa guirlande d’arpèges en triolets ; puis une mutation en majeur suggère une résolution solaire que fait trembler l’arrivée du largo en fa dièse mineur. L’ambiance martiale est propulsée avec énergie par Monica Leone et Michele Campanella grâce

  • à des accords staccato descendants auxquels répondent des octaves ascendantes du piano II,
  • à des rythmes doublement pointés, et
  • à la rugosité des sforzandi.

On apprécie

  • l’instabilité tonale,
  • les variations de couleurs,
  • les échanges entre les pianos et
  • le temps laissé aux suspensions du discours

qui jouent pleinement la carte de l’interlude, comme improvisé avant le retour d’un tempo énergique.

 

 

L’allegro vivace, ternaire, travaille la complémentarité entre

  • accents sur le premier temps,
  • délié des croches et
  • efficacité des possibles variés offerts par le duo
    • (de deux à quatre mains,
    • avec un accompagnateur en I ou en II,
    • possibles effets d’entraînement mutuel).

Monica Leone et Michele Campanella se distinguent par

  • la précision de leurs effets,
  • leur absence d’affèterie et
  • la légèreté d’un toucher conférant un supplément de paillettes à la danse.

Le passage « con delicatezza » en Ré n’échappe pas à cette esthétique qui sait

  • se parer de grâce,
  • s’enivrer d’élégance mais aussi
  • se tendre brusquement lorsque le texte l’exige.

Après le retour de la partie A, une jolie transition revient au tempo primo avec sa tonalité de fa mineur et son thème dont on ne sait s’il est

  • nonchalant,
  • nostalgique ou
  • empreint d’une ensuquante lassitude

mais dont la douceur et l’amertume nous saisissent pour notre plus grand délassement. Désormais,

  • ses hésitations tant modales que tonales,
  • ses contrastes de caractère et
  • son allant paradoxal avec
    • rythmes pointés,
    • friction du ternaire contre le binaire,
    • accents excitants

nous sont familiers et se parent cependant de nouvelles vêtures – ainsi de ce fugato qui

  • nourrit le propos sans l’enflammer,
  • fait circuler le thème sans l’estomper derrière une polyphonie massive, et
  • ajoute un pli à l’éventail du développement créatif indispensable à la « fantaisie » sans, pour autant, opter pour la veine rhapsodique.

Coda méditative incluse, dans cette interprétation, il y a

  • de la rigueur,
  • de l’honnêteté,
  • de la variété
  • de la sensibilité et
  • de la finesse.

Une aguichante porte d’entrée pour aborder les cent dix-neuf minutes qui sont au programme !


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