Olivier Greif, le concert des 25 ans, Temple du foyer de l’âme (Paris 11), 21 mai 2025 – 1/2

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François Salque au temple du foyer de l’âme (Paris 11), le 21 mai 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Olivier Greif n’est pas « juste » un des plus puissants compositeurs de la seconde moitié du vingtième siècle : c’est, proportionnellement à la force de sa musique, l’un des plus méconnus, peut-être parce que, d’une part, il n’a guère mis en scène son travail, ce qui était l’essentiel de beaucoup de zozos à cette époque, et parce que, d’autre part, pour ses admirateurs, il est une telle évidence qu’il n’incite pas au prosélytisme et à l’évangélisation des mélomanes qui ignoreraient encore cette œuvre. Peut-être existe-t-il une raison complémentaire. En effet, Olivier Greif a un défaut structurel : loin de se cantonner à une griffe immédiatement reconnaissable, façon Pierre Soulages, il n’a jamais copié-collé son art d’une œuvre à l’autre… et même à l’intérieur d’une œuvre ! Au contraire, il a brodé une idée de la musique qui n’oppose pas

  • tonal et atonal,
  • cohérent et rhapsodique,
  • multiple et charpenté.

L’association qui honore sa mémoire proposait, ce 21 mai un concert pour célébrer son travail, un quart de siècle après sa mort. Curieusement, le récital commence par trois extraits des suites de Johann Sebastian Bach pour violoncelle. La raison de cet insert nous échappe voire nous agace a priori : on a mille autres occasions d’entendre ces pièces, ce qui n’est pas le cas avec les pièces d’Olivier Greif ! Heureusement, François Salque dissout ce mouvement d’humeur en éclaboussant le temple de son art. Sa sarabande en ut mineur, extraite de la cinquième suite, hypnotise d’emblée :

  • le son est envoûtant,
  • la danse retenue le dispute au méditatif,
  • la majesté du silence – oui, même moi, en me relisant, j’ai sursauté, mais, en direct, c’est bien ce syntagme que m’évoquait l’interprétation, alors bon – sait nettoyer l’acoustique pour éviter que les notes ne se chevauchent et ne s’emberlificotent.

Avec la sarabande en Ut, extraite de la troisième suite, le violoncelliste

  • fait rayonner le mode majeur,
  • égrène les accords dans une parfaite dynamique et
  • manie avec gourmandise la diérèse du son (je pose l’archet puis je fais sonner).

Oxymoriquement, l’affaire se conclut par le prélude en Sol qui décapsule la première suite, comme si le musicien, malin, voulait fondre sa trilogie en ouverture. Le tube est pris avec

  • allant,
  • franchise et
  • souci de laisser onduler les nuances plutôt que de les opposer les unes aux autres.

On n’était pas venu pour ça, mais force est de reconnaître que l’on s’est régaliloulé, et hop. Notre plaisir contraste avec l’entrée de Jonathan Benichou, mine grave et concentration maximale. Pénétré de l’importance de ce qu’il va jouer, le pianiste n’est pas là pour faire risette au public, d’autant qu’il commence par un extrait de la sonate Le Rêve du monde, intitulé « Wagon plombé pour Auschwitz ». Olivier Greif, dont le père a été déporté, y développe une rhétorique

  • de la brisure,
  • du surgissement et
  • de la tension entre
    • indicible et lyrisme,
    • profondeur aspirante des graves et pulsion mélodique,
    • désarroi et évocation de la transcendance esquissée par le sample d’un chant sacré juif.

L’interprète tisse cette tapisserie comme une toile d’araignée où l’oreille, une fois captée, se débat sans possibilité d’échappatoire – ni dans

  • les balancements,
  • les suraigus,
  • les notes répétées ou
  • le silence.

Jonathan Benichou – qui va publier en juin l’enregistrement des trois sonates d’Olivier Greif – insiste : « Ce n’est pas un concert, c’est une communion. » Une redécouverte, aussi, du jeune compositeur qui, à vingt ans, claquait Paradisiac Memories, suite étrange de trois miniatures plus un rondo. Le pianiste caractérise les trois premiers feuillets, faisant scintiller

  • le drame dans « The Mourning Brew »,
  • la danse inquiète et parfois brillante de « The Aegyptian Mathematician », et
  • le fantasme fantomatique et finement pédalisé de « Stars! Stars! » dédié à la mémoire de Marilyn Monroe.

Le « Rondo 42nd Street » s’élance sur des accents gershwiniens.

  • Groove,
  • swing et
  • virtuosité tant digitale qu’harmonique

n’empêchent nullement Jonathan Benichou de déployer une musicalité astucieuse

  • (coloration spécifique à chaque segment,
  • pédalisation floutant certains contours sans avaler la musique,
  • éclairage différent apporté lors des réexpositions de certains motifs).

L’écriture d’Olivier Greif, magnifiée il y a une dizaine d’années par Bertrand Giraud, déploie ici

  • sa fascinante inclination à la rhapsodie,
  • sa poésie de la fragmentation et
  • sa formidable diversité.

Passé le choc, le triomphe qui suit la dernière note traduit l’effet que l’interprète et cette musique elle-même produisent sur les spectateurs… ainsi que notre hâte de découvrir la suite, laquelle fera l’objet – ô suspense ! ô cliffhanger ! – d’une prochaine notule.