Olivier Greif, le concert des 25 ans, Temple du foyer de l’âme (Paris 11), 21 mai 2025 – 2/2

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Presque Aline Piboule au temple du foyer de l’âme (Paris 11), le 21 mai 2025. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Banlieusard immigré à la capitale voulant passer pour un Parisien de souche, nous râlions tantôt comme un Parisien – avant de ravaler notre chique, certes – parce que le concert marquant le quart de siècle ayant suivi la mort d’Olivier Greif commençait par un quart d’heure Bach quand nous eussions aimé n’ouïr que du Greif, pour une fois ! Renouant avec notre veine ronchonchonnante, ce 21 mai 2025, nous découvrons avec une stupeur qui confine à l’évanouissement que nous n’entendrons pas en entier l’hénaurme sonate de la bataille d’Agincourt, composée en 1996 pour deux violoncelles. Seuls les deux mouvements extrêmes ont été retenus. Pourtant, la raison en paraît simple. L’objectif du concert est de privilégier

  • le dense sur l’intégral,
  • le multiple sur le snob,
  • la mosaïque sur l’à-plat,

et il faudrait bien du snobisme pour feindre de ne pas comprendre le bienfondé d’une telle posture. Le premier épisode est un molto lento siglé « quasi cadenza ». François Salque et Aurélien Pascal, tous deux dotés d’une sonorité à la fois

  • fascinante,
  • très distincte et
  • parfaitement complémentaire,

y brillent par

  • leurs tenues,
  • leurs pianissimi et
  • leur explosivité.

La partition déroule aux interprètes d’exception un tapis rouge sur lequel ils se roulent sans façon.

  • Graves,
  • harmoniques,
  • amplitude du registre

évoquent par moments un néo-Chostakovitch. L’auditeur est happé. Tout séduit – on n’est payé par personne pour écrire cette chronique, rappelons-le, c’est au contraire nous qui laissons un billet dans la sébile en sortant du temple – dans l’œuvre et son exécution, notamment

  • la liberté de la cadence,
  • l’ambition du temps long,
  • le groove des échos et
  • l’efficacité des crescendi.

Olivier Greif a saisi tout le suc qu’il pouvait tirer d’un duo dont la potentialité dramatique n’était pourtant pas une évidence a priori. Voici les parties partagées entre

  • dialogues,
  • confrontations,
  • stimulations,
  • unissons,
  • passations de relais et tutti quanti.

Un moment d’une grande vibration qui se poursuit avec le dernier mouvement de la sonate, le « rondo de la belle dame sans merci », avec ses harmonies sciemment préhistoriques (environ) que secouent

  • percussivité,
  • accents et
  • contrastes d’intensité.

Impossible de ne pas être soufflé comme un pop-corn par

  • l’engagement des interprètes,
  • les mutations de style et, cependant,
  • les synchronisations d’intention.

Les interprètes témoignent d’une sérénité aguichante face à une partition qui ne lésine pas sur

  • la virtuosité,
  • les cahots harmoniques et
  • les contrastes entre
    • célérité et nappes,
    • sons nets et transformés,
    • couleurs précises et aquarelles harmoniques.

Il revient à Aline Piboule de clore la set-list officielle avec la sonate Codex Domini, écrite en 1994. L’œuvre, nous explique-t-on, s’inspire du cancer ayant frappé le compositeur. L’interprète pose avec assurance les bases quasi minimalistes sur lesquelles se déploie le premier mouvement :

  • ondulations,
  • échos,
  • répétitivité,
  • simplicité harmonique et
  • suspensions.

On entend dans son exécution l’attention portée

  • à l’articulation digitale
  • à la projection d’un son que construisent
    • toucher,
    • résonance,
    • prise en compte de l’acoustique et
    • nuances,
  • ainsi qu’à la gestion du débit
    • (tempo,
    • agogique,
    • plages silencieuses).

Aline Piboule, jadis lauréate du concours d’Orléans où elle rafla aussi le prix Olivier Greif, est ici chez elle. Elle offre à ses invités du soir

  • sa délicatesse coutumière,
  • sa palette d’attaques très différenciés et
  • son art du phrasé éclairant

déjà savourés jadis dans un répertoire complémentaire. Un changement brutal secoue le dispositif : soudain, s’interpolent

  • accords répétés,
  • fusées et
  • tenue longues.

Un choral profite pour s’insinuer parmi les petits marteaux. Il se laisser perturber par des dissonances censément autobiographiques (les grincements symboliseraient les cellules cancéreuses grignotant leurs collègues saines). Le thème semi-sacré, qui aura dialogué à distance avec un bout de chansonnette des années 1950, voit la sérénité de façade se raviner. Il se laisse fissurer en profondeur – donc galvaniser – par

  • des explosions,
  • des surprises,
  • des soubresauts et
  • des commentaires parasites.

L’auditeur ne peut être qu’éberlué par la partition et par son interprétation, laquelle sait être tendue dans la douceur et musicale dans les pétarades. Ainsi est-il loisible de savourer notamment

  • la force du retour des accords répétés,
  • l’aura de l’écho offert par la pédale,
  • la puissance des accents,
  • la saveur du prolongement d’un aigu qui retourne lentement à la poussière du silence, et
  • le charme de la lenteur méditative.

Le finale, point dénué de twists étourdissants, est joué

  • fortissimo,
  • prompt et
  • crépitant.

Après les brava sonores offerts à l’artiste par un temple plein, un bis est proposé par les quatre interprètes du soir – la présentation en est inaudible, mais nous croyons saisir qu’il s’agit d’un extrait, peut-être arrangé, de l’incomplet Office des naufragés, composé entre 1997 et 1998. Si le cycle se place sous l’égide d’une définition de l’homme comme voyageur entre cime et abyme,

  • le ressassement,
  • la gravité et
  • l’impossibilité de s’extraire de la glaive thématique

situent plutôt cet au revoir dans des profondeurs où

  • chagrin nostalgique,
  • lamento désenchanté et
  • mélancolie poisseuse

se font musique, de sorte que les itérations tendent à dissoudre la désespérance dans la méditation existentielle, figurant une coda énigmatique adaptée à une fin de concert

  • rassembleuse,
  • intériorisée et
  • émouvante,

à l’image de l’ensemble de la soirée.