Tristan Pfaff et Gaspard Dehaene, Paris 13, 29 juin 2025 – 2/2

Tristan Pfaff et Gaspard Dehaene, le 29 juin 2025 (Paris 13). Photo : Rozenn Douerin.

 

Figure attendue du concert à deux pianos, le solo est l’occasion de découvrir les personnalités musicales d’artistes qui, jusque-là, les fondaient dans un même creuset. Gaspard Dehaene est le premier à s’avancer avec deux pièces de Maurice Ravel. La « Pavane pour une infante défunte » tente de nous envoler loin des aléas du concert à domicile, en l’espèce la présence d’un enfant pénible que ses parents ne jugent pas pertinent de recadrer ou d’extraire ne serait-ce que par, soyons fouyouyous, politesse. Concentré, l’interprète dessine un lamento qui évite le mélodrame suggéré par ce que le compositeur appelait « une œuvre incomplète et sans audace ». Habité, il dégage la partition de tout risque de rengaine. Poète, il démontre un profond travail rythmique.

  • La battue est solide,
  • l’agogique est tenue,
  • les respirations sont justes.

Les redoutables « Jeux d’eau » suivent, qu’ils évoquent le « Dieu fluvial riant de l’eau qui le chatouille », comme le suggère la citation d’Henri de Régnier ouvrant la partition, ou, selon Camille Saint-Saëns, une « cacophonie ». On s’y goberge

  • de la limpidité des aigus,
  • de la netteté de l’énonciation et
  • de l’art qu’a le pianiste de faire sonner les harmonies étonnantes du tube.

À Tristan Pfaff de chauffer seul le clavier. Il opte pour « L’Isle joyeuse », inspirée à Claude Debussy par un tableau d’Antoine Watteau où jeunes femmes et masques s’embrasent dans « la gloire du soleil couchant ». Après que son collègue a valorisé les différents registres du Steinway B refait à neuf, Tristan Pfaff fait crépiter une mécanique impeccable. Profitant d’aigus cristallins et de graves profonds, il déploie un toucher intraitable

  • (trilles à la pointe sèche,
  • boucles envoûtantes,
  • arpèges affriolants)

qu’auréole une pédalisation polymorphe

  • (prolongement,
  • effet orchestral,
  • contraste avec la sécheresse excitante des traits),

idéale pour traduire la multiplicité des caractères de la musique

  • (liquide,
  • rythmique,
  • élégiaque,
  • tendue,
  • triomphante,
  • suggestive…).

 

Tristan Pfaff et Gaspard Dehaene, le 29 juin 2025 (Paris 13), après le concert. Photo : Rozenn Douerin.

 

Alors que la techno lâchée par une animation municipale place d’Italie s’insinue dans le salon, le pianiste ne daigne seulement pas s’en apercevoir. Tout à son ouvrage, il assume les codes du concert privé en dégainant la transcription qu’a tirée Grigory Ginzburg de l’aria « Largo al factotum », extraite du Barbier de Séville de Gioachino Rossini. C’est à la fois

  • du tube,
  • du concis et
  • de la pyrotechnie.

Tristan Pfaff parvient néanmoins à transcender ces conventions sympathiques pour en faire de la musique en associant

  • humeur de l’air,
  • humour de la virtuosité improbable et
  • liberté de l’exécution
    • (breaks,
    • glissades,
    • sautes thymiques)

jusqu’au feu d’artifice final. La transition est toute trouvée pour le retour du duo de pianos autour de l’impressionnante Carmen Fantasy signée Greg Anderson et Elizabeth Joy Roe. C’est le second gros morceau de la set-list, et quel gros morceau ! Sur quelques-uns des airs opératiques les plus connus, Gaspard Dehaene et Tristan Pfaff ravissent les spectateurs par

  • leur virtuosité sans afféterie,
  • l’évidence de leur connexion et
  • l’élégance de leur interprétation
    • (nuances,
    • contrastes,
    • étagement des voix,
    • caractérisation des atmosphères,
    • plaisir de la percussivité,
    • habileté de leurs vingt petites saucisses et de leurs ripatons à pédales).

Pas de bon récital sans bis – ô tradition quand tu nous tiens ! Voici donc une brève danse d’Alexander Tsfasman, dernière occasion d’admirer

  • le groove des zozos,
  • leur coordination précise et
  • le souci qu’ils apportent aux finitions,

ce dont témoignent par exemple les multiples présentations du thème dont ils varient l’intensité percussive. Ainsi Tristan Pfaff et Gaspard Dehaene rappellent-ils que, pour des artistes dignes de cette étiquette, il n’y a pas de petit concert, il n’y a que des rendez-vous. En attendant les prochains, bien sûr…

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