Alain Fourchotte, « Cordes tressées » (Triton) – 1/4

Couverture de la monographie Fourchotte chez Triton (gouache de Jean Villeri)

 

Prélude

 

Reconnaissons qu’il n’est jamais facile de rendre compte de quoi que ce soit. Ainsi, vin, tableau, musique échappent à notre capacité de verbalisation. C’est le principal projet des chroniques que je publie ici : travailler le langage pour rendre compte

  • d’une sensation,
  • d’une intuition et
  • d’une opinion

sans considérer que l’affirmation se suffit à elle-même – d’où l’effort pour étayer le propos en allant un peu plus loin que

  • « j’aime »,
  • « c’est trop d’la balle » et
  • « c’est wow de ouf ».

La stratégie que j’ai adoptée est de fonder le discours sur sa fonctionnalité, c’est-à-dire :

  • à quoi ça sert ?
  • pourquoi j’écris ?
  • quel rôle je propose au lecteur ?

Il s’agit d’envisager le texte non comme

  • une étude parée de codes universitaires,
  • un exposé chargé de faire supposément briller le sachant,
  • un discours vertical décrétant depuis les cimes de la Connaissance et de la Sapience ce que doivent penser les petits clampins

mais comme une tentative pour évoquer

  • un fait culturel,
  • un constat objectif et
  • une émotion personnelle.

C’est fort de cette expérience quotidienne que je voudrais ouvrir cette notule sur un conseil : surtout, ne pas lire le livret avant d’écouter le disque d’Alain Fourchotte qui sort ce 23 février 2024 !
Oh, p
as de risque de spoiler, sans apostrophe non plus, mais un péril certain de fuir ou d’avoir envie de refermer la pochette au plus vite. Non, sauf si les perspectives deleuziennes de « confrontation entre chronos et aiôn » et autres passages sur la coda écrite « pour conclure la pièce sans la conclure tout en la concluant » sont de nature à exciter votre appétit de mélomane ou d’aiguiller votre curiosité de musicophile, mieux vaut se jeter dans Adagio e poi… pour violon, alto et violoncelle afin de découvrir – sans mal de tête et soupirs de malaise devant des effets d’écriture consternants – le disque de musique de chambre d’une figure de la musique contemporaine niçoise, portée par l’équipe croisée lors des deux festivals Érard et à l’occasion d’un disque de sonates françaises – dès la première pièce, l’on y retrouve Saskia Lethiec (suppute-t-on) au violon, Vinciane Béranger à l’alto et David Louwerse au violoncelle.

 

Adagio e poi…

 

Reprise d’un adagio initialement fomenté en 1968, Adagio e poi… paraît en 2000. Le compositeur semble travailler le son en tant que

  • possible qui advient ou pas (d’où le jeu sur le tremblement et les pianissimi, par exemple, mais aussi sur l’inscription du silence dans l’œuvre),
  • limite des perceptions humaines (il dessine le paysage qui nous enveloppe) et, paradoxalement,
  • ennemi du son (de brusques accents peuvent couper court à l’essor d’une phrase).

La partition investit la large palette propre aux instruments

  • (pizzicati,
  • coll’arco,
  • doubles cordes…)

ainsi que les divers caractères que ces techniques permettent d’exprimer

  • (frémissement,
  • lyrisme,
  • percussivité…).

Le silence devient un son à part entière, dont la signification est aussi imprévisible que la durée. Il semble être tour à tour

  • le résultat d’un projet étouffé,
  • d’une respiration nécessaire,
  • d’une accumulation d’énergie qui prélude à un jaillissement…

Au travail sur le son et le silence s’ajoute le travail sur l’instrument spécifique qu’est le trio. Alain Fourchotte semble prendre plaisir à le malaxer

  • en le reconfigurant sans cesse, du solo au trio,
  • en variant les dispositifs et les modes de communication
    • (échos,
    • confrontations,
    • synchronicités) voire
  • en lui proposant manière d’expansion
    • (utilisation des registres extrêmes,
    • questionnement des harmoniques,
    • effets de résonance…).

Dans cette pièce de 11′, on goûte notamment

  • le collage rhapsodique-mais-pas-que de séquences variées,
  • le souci de diégèse mystérieuse (en presque clair : chacun peut se raconter une histoire propre en écoutant les ébats des compères) et
  • la diversité des inspirations et, conjointe à cette richesse, les différents tuilages proposés par le compositeur
    • (prolongement passant le relais d’un instrument à l’autre,
    • fade in ou in direct,
    • reprises de motifs reconnaissables,
    • bifurcations radicales réveillant l’attention…).

Comme n’aurait sans doute pas écrit Gilles Deleuze en frictionnant les conceptions temporelles et notre perception : captivant.

 

À suivre !

 

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