
Après sa phase gling-gling (pas bling-bling : gling-gling) et glang-glang, avec ou sans « accompagneurs » comme il les nommait mais ponctuĂ©e d’albums aussi rares que captivants et de prestations piquantes, Jean Dubois a entamĂ© une phase ploum-ploum et zinzin, rythmĂ©e par des concerts oĂą l’Ă©vidence de la chanson percutante se mĂ©tisse d’une profonde recherche artistique. MĂŞme s’il revendique « ne plus avoir envie de chanter », il
- travaille,
- malaxe et
- sculpte
avec une obstination fĂ©conde la tension entre fredonnerie façon Rive gauche et moments instrumentaux. C’est d’ailleurs par un mĂ©lange des deux qu’il s’Ă©lance, costume cravate, dans un remix de « Rendez-vous Ă Izmir », chanson dont il a gommĂ© de longue date les paroles initiales en imaginant, un jour donc sans doute jamais, en Ă©crire d’autres qui lui conviendraient mieux (on trouve trace de la première version ici). Piano en pogne et harmonica en gueule, il claque ensuite la première mazurka de la soirĂ©e, articulant de façon classique et cependant très duboisienne les modes majeur et mineur.
Conscient qu’au PIC, on attend malgrĂ© tout d’un chanteur qu’il chante, l’artiste prend la parole en murmurant : « Bon, puisqu’il semblerait que je doiv’ m’exprimer… / Hum hum, est-c’ que ça passe dans le microphone ? » Derrière la boutade propulsant la première chanson complète du spectacle, se niche voire se love une triple interrogation sincère et perpĂ©tuelle que chĂ©rit Jean Dubois :
- qu’est-ce que je parviens Ă dire aux autres
- en chantant,
- en jouant ou, simplement,
- en échangeant avec eux ?
- qu’est-ce que j’ai envie
- de dire,
- de sous-entendre,
- de taire ? et
- qu’est-ce que l’autre peut entendre de mon galimatias polymorphe,
- évident pour moi,
- potentiellement plus nĂ©buleux pour l’autre voire, pire qu’incomprĂ©hensible,
- source, au sens propre, de graves malentendus ?
VoilĂ l’une des forces du parolier : mĂ©nager
- de la profondeur sous l’apparente superficialitĂ©,
- de l’intime dans l’humoristique,
- du grave dans la légèreté.
En associant
- texte,
- mélodie,
- harmonie et
- interprétation,
l’homme veut croire que, « si tout n’est pas parlĂ©, y a des gestes qui disent » d’oĂą, peut-ĂŞtre, son goĂ»t pour les danses, au premier rang desquelles la mazurka, inclination autobiographique mais aussi source d’inspiration artistique, Ă supposer que les deux soient toujours aisĂ©es Ă distinguer. Au fond, interroge le saltimbanque,
- que donne-t-on vraiment quand on « se donne » en spectacle ?
- qui regarde qui ?
- qui amuse qui ?
- qu’est-ce qui se joue dans cet Ă©change pas si silencieux que ça – surtout dans manière de cabaret – entre scène et salle ?
Prise dans ce questionnement, la chanson de Jean Dubois implique souvent un interlocuteur dans sa ronde,
- qu’il Ă©crive une lettre Ă une mystĂ©rieuse anonyme ou Ă des correspondants familiers inquiets de n’avoir plus de ses nouvelles Ă©pistolaires,
- qu’il s’adresse aux spectateurs ou Ă un cercle d’amis en les incitant Ă se monĂ©tiser encore davantage, ou
- qu’il espère Ă la brune, comme dans la chanson suivante, particulièrement poignante, « que tout le monde va bien ».
Le guitariste est alors absorbé par le pianiste, mieux : par le musicien. Sur le quart de queue de la maison, il crée un accompagnement
- atmosphĂ©rique d’abord,
- impressionniste ensuite pour Ă©voquer ce « couple occupĂ© Ă compter les feuilles » (oĂą les aficionados voient le prolongement des fiancĂ©s qui, dans « Les rues sont Ă tout l’monde », comptent « les cadeaux qu’on va leur offrir »),
- dynamique enfin.
Ce n’est pas seulement maĂ®trisĂ© : mieux, c’est senti et malin. Toujours Ă la recherche de la bonne voie – qui ne doit pas ĂŞtre unique – pour dire et se dire, Jean Dubois propulse sa carcasse au centre de la scène pour y dire « un poème de saison ». En l’espèce, le locavore a dĂ©nichĂ© « Automne malade », extrait d’Alcools et rĂ©cit d’une double dĂ©solation : comme nous, l’automne va mourir ; et c’est beau. Point d’amollissement nunuche pour autant ! AussitĂ´t après avoir constatĂ© que, feuilles qu’on foule, train qui roule, « la vie s’Ă©coule », le clown tĂ©nĂ©breux, armĂ© de son harmonica, dĂ©cide de nous initier Ă la mazurka. Nous en retenons la leçon suivante : « Pour danser, l’important, c’est quand ça ne touche pas terre. » Peut-ĂŞtre pour la vie aussi ? L’artiste le suggère en chantant « La mazurka », un Ă©loge ternaire
- Ă la drague dansante,
- Ă l’ironie chorĂ©graphiĂ©e, et
- Ă la prise de conscience lĂ©gère de ce qu’est la vie : ĂŞtre, avec l’autre, sur un mĂŞme plancher.
Celui qui se revendique « plutĂ´t pianeux que pianiste » et annonce vouloir jouer « du piano diatonique mais, comme ça n’existe pas, je vais jouer du piano dans l’esprit diatonique » claque « Dupe d’une jupe » oĂą il remet
- les pendules Ă l’heure,
- l’Ă©glise au milieu du village et
- les choses au clair :
le textile n’est pas sa passion. Non, lui, quand il se passionne pour un vĂŞtement, c’est qu’il y a quelqu’un dedans. Comme quoi, mĂŞme dans son monde, l’artiste est des nĂ´tres, et peut-ĂŞtre rĂ©ciproquement. (Non, ça ne veut rien dire mais, sur le moment, j’avais l’impression que si, alors je tente.) Ă€ suivre !
