
Afin d’évoquer le récital pour deux pianos fomenté en début d’été par Tristan Pfaff et Gaspard Dehaene, il faut relater
- un lieu,
- un moment,
- un programme,
- un casting.
Soit
- un duplex au dernier étage d’un immeuble discret, pourvu d’une impressionnante baie vitrée illuminant le salon ;
- une de ces journées solaires où la chaleur écrase les humains comme un pare-brise fracasse les mouches sur les longues lignes droites autoroutières ;
- une set-list pour concert privé de belle tenue, avec le sérieux, le brio et les tubes requis ;
- deux jeunes pianistes qui ont l’élégance d’être à la fois succesfull sans avoir accédé au (ou basculé dans le) vedettariat stéréotypé – peut-être cela leur siérait-il mais ils ont encore le temps, les gredins.
Pour rendre raison d’un Steinway B plus que centenaire et entièrement restauré (le récital célèbre son retour à la vie musicale) associé à un collègue Yamaha, les compères dégainent la transcription d’un « Clair de Lune » de Claude Debussy augmenté par Henri Dutilleux pour deux pianos. C’est la quatrième fois que le duo met cette version de l’extrait le plus célèbre de la Suite bergamasque sur leurs pupitres de concert. Cette récurrence contribue à valoriser la fluidité des effets stéréophoniques permis par la division de la partition. L’andante très expressif se déploie en évitant toute machinalité boudeuse qui banaliserait ce qui est devenu une scie fleurant parfois
- la permanente aux reflets violets,
- l’excès de Numéro 5, et
- la pomme de terre compassée façon voix de présentateur sur Radio Classique.
Loin de ce danger, les interprètes évitent mièvrerie sépia et contrastes criards en privilégiant une dynamique de flux et reflux.
- Les rubato,
- les foucades maîtrisées,
- les passages « plus animés » et
- les modulations
filent avec un naturel confondant. On salue
- la communauté d’intentions qui donne vigueur à cette exécution bicéphale,
- la justesse des irisations chromatiques, et
- l’absence d’effets surjoués (les deux instrumentistes s’en tiennent à la droiture honnête et sensible de l’interprétation qui leur va si bien).

Le premier gros machin du jour est constitué par trois extraits tubistiques du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, évoqué tantôt çà et là. « Le cygne » s’avance en premier.
- Le tempo sait être allant sans être rapide,
- le caractère solennel sans être enténébrant,
- l’allure métrique sans oublier de respirer.
Dans « Aquarium »,
- les ondulations aiguës égrènent joliment leur magie efficace ;
- des accents bien placés assurent la tonicité du propos ; et
- les suspensions fort bien réglées alimentent habilement la tension narrative, par-delà l’imitation programmatique.
L’impressionnante « Danse macabre » étincelle grâce à
- l’énergie des attaques,
- l’efficacité du swing et
- la réussite des mutations d’intensité d’un duo tour à tour
- dialogue,
- fight et
- danse synchronisant les quatre mains.
De son ami Franck Ciup, Tristan propose « Le grand Meaulnes » pour deux pianos. La partition renoue avec la tradition d’une musique de salon – ça tombe bien, le récital a lieu dans un salon.
- Bariolage paisible,
- consonance ronronnante et
- tempo modéré
sont au rendez-vous d’une musique sagement troussée. Même l’ennui que finit par susciter l’œuvre à force de mignonnisme et qui, pour le coup, fait écho à ce qu’inspire le roman d’Alain-Fournier, est bourgeoisement poli et assez bref pour ne point sombrer dans l’excès. Vient alors le moment des soli ménagé par les artistes au mitan du show. Ils feront l’objet d’une seconde chronique. À suivre, donc !