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Éclats de rires divins, première série : la joie obligatoire – 5/5

Détail d’un vitrail de la collégiale Saint-Martin de Montmorency (Val-d’Oise), le 21 juin 2025. Photo : Rozenn Douerin.

 

La Suite fantasque improvisée autour de cinq rires de Dieu ouvrait mon récital du 21 juin en la collégiale Saint-Martin de Montmorency, et s’achevait sur une improvisation autour de l’injonction christique :

Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse !

L’injonction lâchée par Jésus dans l’évangile selon saint Matthieu, au chapitre V, verset 12, est doublement paradoxale. « Réjouissez-vous ! », déjà, est un ordre curieux. Se réjouit-on sur demande ou par obligation ? Mais ce n’est pas tout ! L’impératif surgit après une série de déclarations contradictoires, décrivant des béatitudes où

  • les larmes,
  • les persécutions (par deux fois),
  • les insultes et
  • les calomnies

sont censées rendre « heureux » ceux qui les affrontent ou, moins fiers-à-bras, les subissent. Pour le dernier épisode de cette Suite fantasque improvisée autour de cinq rires de Dieu, je voulais terminer avec une réflexion musicale autour de cette tension propre à la jubilation en général et au rire en particulier, autour de constats simples :

  • le rire porte ceux qui rient et horripile ceux qui ne rient pas ;
  • si le rire allège les rieurs, il engonce et agace les autres ;
  • le rire transforme le réel mais pour quelques secondes seulement.

L’improvisation part donc de l’injonction de réjouissance en la transformant en mantra. Le ressassement du « Réjouissez-vous ! » sature le discours moins par insincérité que par conviction que de la répétition de l’injonction naîtra l’allégresse exigée. Dès lors, l’obligation

  • de la bonne humeur,
  • de l’optimisme,
  • de la conformité au rythme des gens épanouis

envahit peu à peu les registres donc se teinte d’inquiétude : comment garder ce joyeux principe dans le biotope hostile de la vraie vie ? Sur le métal du rire, l’obligation agit comme une corrosion galopante. La joie rieuse devient fake et envahit tout, désarticulant le projet même de joie. Désormais, semble glisser Jésus, il faut se réjouir de ses avanies (et framboises), alors allons-y. Le tambourin devient

  • marche militaire,
  • procession funèbre, voire
  • requiem décadent.

Dans de derniers éclats de rire, le monde explose. Et alors ? Réjouissons-nous, soyons dans l’allégresse ! Qui sait si notre récompense ne sera pas grande dans les Cieux ?

 

Irakly Avaliani joue Domenico Scarlatti (Sonogramme) – 3/4

Première de couverture

 

La sonate K.5 en ré mineur de Domenico Scarlatti est un allegretto ternaire qui ressemble à une conversation insouciante entre deux dames – dont une beaucoup plus pipelette que l’autre – tâchant moins d’échanger des nouvelles que de faire société poliment devant leur pavillon moche mais fonctionnel, situé dans une zone périurbaine qui pourrait se trouver n’importe où mais a le malheur de se situer dans les tréfonds d’un département ingrat, le 78 ou le 91, par exemple. Au programme,

  • trilles chargées de dissiper l’ennui,
  • triples croches tentant de relancer la discussion,
  • gammes égrenées benoîtement comme on enfile les poncifs pour éviter le silence,
  • notes répétées et descentes vers le grave parce que, malgré tous les efforts, il n’est pas si simple de meubler.

Irakly Avaliani donne un charme certain à ce babillage sciemment insipide en valorisant

  • la légèreté des staccati rebondissants,
  • la frivolité des ornements incisifs,
  • l’équilibre des deux voix complémentaires,
  • la précision réglée du swing à trois temps, et
  • la netteté enchanteresse des phrasés.

Au centre du programme, cette sonate dispensable peut paraître indispensable pour offrir à l’auditeur une respiration en forme d’entracte.

 

 

Tel n’est pas le cas de la sonate en Ré majeur dite K.145. Cette sonate est apparemment proche de la précédente :

  • quoique majeure, elle reste en ré ;
  • c’est un allegretto, donc sur un tempo similaire ; et
  • la mesure est identique avec trois croches entre deux barres.

On reconnaît là l’un des partis pris implicites d’Irakly Avaliani, qui consiste à piocher dans le vaste corpus de Scarlatti des pièces sans doute favorites mais, surtout, dont l’agencement est à la fois cohérent et soucieux d’une variété… laquelle est d’autant plus délectable qu’elle se fonde sur un récit fluide où les contrastes sont plus intérieurs et délicats que surexposés. L’interprète ne cherche pas à démontrer l’intérêt d’écouter seize miniatures de rang : il en est assez convaincu pour les assembler de manière musicale et non pédagogique. Là, on est dans

  • le décidé autoritaire,
  • le contre-temps groovy,
  • le 9/16 expansif.

Le pianiste est notamment aux prises avec le croisement de mimines, l’exigence du legato, les mutations harmoniques. On y goûte

  • énergie,
  • virtuosité et
  • efficience.

Par honnêteté envers les personnes fragiles du boum-boum, on doit aussi saluer

  • la répartition des ornements,
  • l’allant euphorisant, et
  • le contraste entre tranquillité du jeu et la furibonderie du résultat suspendu.

 

 

La sonate en ré mineur dite K.9 prolonge l’histoire en persistant

  • en ré,
  • en 6/8 (six croches par mesure) et
  • dans un tempo allant… mais pimpé (on passe du vague allegretto au vague allegro).

L’Irakly est facétieux et malin. Et, en dépit de sa stature de Géorgien d’origine, élégant  Il sait jouer

  • la proposition,
  • l’aguichage,
  • le possible du clin d’œil.

La précision

  • des appogiatures,
  • des trilles et
  • des traits

séduit sans convaincre que l’on a affaire à un compositeur mastodonte du clavier. Lucide et pertinent, l’artiste propose de moduler un ton plus haut, donc en mi avec la sonate K.394.

 

 

L’allegretto à deux temps s’ouvre sur manière de toccata que le pianiste exécute avec la liberté d’ornementation et d’agogique requise.

  • Mordants,
  • gammes ascendantes en écho,
  • accents donnant du rebond,
  • modulation en si mineur

animent un discours volontiers indécis en dépit d’un tempo allant. De grands arpèges entrecoupés électrisent le début de la seconde partie avant que des modulations dynamiques et un jeu de questions-réponses n’animent le propos. La capacité du pianiste à

  • colorer diversement les redites,
  • rendre raison des diverses humeurs qui secouent la partition,
  • oser la liberté dans
    • l’énoncé,
    • l’ornementation et
    • les effets d’attente (tel le retard sur le dernier mi de la main droite)

contribue à l’intérêt de l’écoute, qui basculera dès la prochaine notule sur la tétralogie final en Ut majeur et mineur.

 

 


Pour écouter le disque en intégralité, c’est ici.

Charles Guyard, « Travailleurs de la mort » (L’Aube) – 3/4

Première de couverture (détail)

 

  • Vingt chapitres,
  • un drame médiatique par chapitre,
  • un résumé du drame et le témoignage d’un mec chargé d’évacuer les corps :

tel est le principe du livre de Charles Guyard. Les témoignages du jour commencent avec la mort de migrants dans la Manche, en novembre 2021. Le témoin évoque brièvement

  • les housses noires, « spécial réquisition », qui « empêchent tout liquide de traverser au niveau de la fermeture »,
  • la tristesse devant ces morts de masse,
  • l’engagement pro-migrants dans lequel il s’investit par la suite.

Car Charles Guyard s’intéresse moins

  • à la mort,
  • à sa perception par des professionnels ou
  • à sa capacité à grignoter l’espace de cerveau disponible des vivants

qu’aux conséquences sur les témoins de la fréquentation de certains morts. Pas d’exception pour le récit lié au massacre de l’Ordre du temple solaire, en 1995, le témoin narrant la réorganisation de sa vie suite à la réquisition judiciaire, puisque celle-ci tombe un 23 décembre, alors que

  • la préparation du réveillon,
  • les rêves d’huitre et
  • les projets de foie gras

réjouissaient déjà les croque-morts… et occupaient aussi les défunts puisque des cadeaux de Noël ont été retrouvés dans leurs voitures. Back to business, donc, pour les pompes funèbres, car la gestion des morts, c’est très concret. En l’espèce, cela passe notamment par

  • la convocation du personnel pour s’occuper des cadavres,
  • la vérification des fourgons nécessaires pour emmener seize morts, et
  • le déplacement des corps sous l’œil encore plus rapace que gourmand des journalistes…

ainsi que par la question récurrente et ouverte de l’impact à long terme d’une telle proximité avec les défunts. En 2023, moins médiatisé mais paré de l’étiquette fashion de « féminicide », l’égorgement de Cathy par son mari (qui s’est pendu dans la foulée) fait l’objet du chapitre suivant. Le témoin entre cette fois dans les détails de l’enterrement du suicidé, incluant

  • le souhait de sa fille d’aller au moins cher (cercueil bas de gamme + pas de pierre tombale), puisque la loi l’oblige à payer la cérémonie ;
  • la mauvaise volonté du maire à l’idée d’accueillir le défunt dans le cimetière local, mais la loi l’y oblige ;
  • la cérémonie expédiée en cinq minutes devant la fille du mort pour vérifier que tout se déroule comme convenu.

Popularisée comme un « meurtre à la Breaking bad », la tentative de dissolution d’Éva dans un bain d’acide occupe le chapitre suivant. C’est l’histoire d’un échec. Devant l’exigence des condés de sortir le cadavre dans son encombrant bain d’acide, les croque-morts repartent Gros-Jean comme devant. Parfois, la concrétude de la mort est rebelle…
Ce qu’esquissent ces différentes histoires, c’est que, même si elle est fluide et variable, il existe une hiérarchisation des horreurs. Charles Guyard insiste discrètement sur ce point, qui est au cœur de l’intérêt suscité par « les travailleurs de la mort » : sont-ils imperméabilisés par leurs habitudes et les process qu’ils doivent respecter, ou leur arrive-t-il d’être affectés par le commerce qu’ils ont et qu’ils font avec les cadavres ? Il leur arrive, évidemment ; et, dans le classement des scènes que redoutent plusieurs témoins, trône en majesté la confrontation avec un cadavre d’enfant, surtout si celui-ci a été victime de violences. Le chapitre suivant évoque cette situation, rencontrée par le témoin en 2023 alors que tout est réuni pour assurer l’ambiance :

  • l’hiver (plus loin qualifié d’automne, l’auteur souhaitant peu habilement rendre le drame méconnaissable puisque l’affaire n’a pas encore été jugée),
  • le froid,
  • la nuit et
  • le réveil à quatre du (« Je ne m’explique pas la fichue manie qu’ont les gens de mourir violemment ou se faire tuer sitôt que le soleil est couché »).

Le concret de la mort, cette fois, s’articule autour

  • des conditions d’intervention (« jamais seul pour un bébé, un enfant ou un ado »),
  • des basses tracasseries d’un monde qui continue d’être con quelles que soient les circonstances (« On transporte le cadavre d’un enfant / – Et alors ? Vous payez le parking de l’hôpital ou vous n’entrez pas »), et
  • du choc d’avoir vu la masse d’examens subis par le corps sans vie.

Originalité du témoignage, le narrateur assume attendre le procès des « présumés innocents » avec impatience et précise que ce n’est « pas par voyeurisme ». Or, le livre de Charles Guyard, plutôt destiné aux voyeuristes comme votre serviteur, est traversé par cette question de la curiosité malsaine, reproche paradoxal adressé par les témoins

  • à leurs amis,
  • aux journalistes et, indirectement,
  • aux lecteurs.

En effet, il semble exister une tension entre l’envie de se rendre intéressant en témoignant tout en dénonçant l’intérêt qui est suscité de la sorte. Sans doute peut-on voir dans ce double réflexe de dévoilement et de réprobation le résultat de l’ambivalence propre aux deux grands machins qui fascinent et inquiètent l’humanité : le sexe et la mort. Ces deux grands machins rendent la vie

  • plus sapide,
  • plus captivante,
  • plus vivante ;

mais ils peuvent aussi la rendre

  • moins désirable,
  • moins précieuse,
  • moins excitante.

C’est aussi à une réflexion sur notre rapport à ces deux pôles – l’instinct de survie de l’espèce et la conscience individuelle, qu’elle soit sourde ou vive, que nous mourrons – qu’invite à bas bruit Travailleurs de la mort ; et cela participe de son intérêt, par-delà la jouissance joyeusement coupable de la curiosité dite voyeuriste. À suivre !

Irakly Avaliani joue Domenico Scarlatti (Sonogramme) – 2/4

Première de couverture

Un presto en sol mineur : voilà l’programme de la sonate en sol mineur dite K.373 ; et le moins que l’on puisse stipuler, c’est que ça

  • tangue,
  • filoche et
  • rebondit.

Tout est bon pour énergiser le clavier :

  • longs sprints descendant une large partie du clavier,
  • échanges animés entre dextre et senestre,
  • intervalles et accords répétés à gauche pour dynamiser le pépiement à droite,
  • cavalcades chromatiques

s’interpolent, se succèdent et se bousculent sans répit. De quoi crépiter avant l’andante de la pastorale en Ut dite K.513.

 

 

Si le balancement liminaire et l’énoncé des six premières notes évoquent la plus célèbre des siciliennes, à savoir l’andante grazioso de la onzième sonate de Wolfgang Amadeus Mozart, Irakly Avaliani se concentre sur les spécificités de cette miniature :

  • questions-réponses,
  • modulations surprenantes,
  • efficience des mordants et
  • importance des silences laissant respirer les différentes sections.

Avec sa variété

  • d’attaques,
  • de phrasés et
  • de types d’utilisation (ou non) de la pédale de sustain,

le pianiste semble chercher à nous hypnotiser pour mieux nous secouer à l’arrivée du molto allegro, sorte de tambourin ou de musette avec sa basse

  • tantôt obstinée,
  • tantôt simple,
  • tantôt groovy.

Un deuxième contraste naît de la reprise, un troisième du retour de l’allegro, et un quatrième du presto servant de dernier mouvement en Ut, où étincellent

  • la fougue des doubles croches métronomiques,
  • la tonicité des staccati et
  • l’électricité des attaques accentuées.

 

 

La sonate K149 est un allegro dont le la mineur résonne plaisamment avec la tonalité d’Ut majeur qui concluait la pièce précédente. L’allegro en duo rompt la monotonie mélodique en la dopant à grands renforts

  • d’ornements agiles (et pas toujours indiqués sur les partitions),
  • de piquantes notes répétées et
  • de modulations olé-olé.

On est emporté par

  • la légèreté,
  • la sûreté et
  • l’inspiration

du toucher qui trahit la confiance d’Irakly Avaliani dans la musique qu’il a choisie. L’artiste semble habité par un sentiment

  • d’importance,
  • de nécessité et
  • de justesse artistique

le poussant à montrer que ces fragments, souvent très brefs et parfois non pyrotechniques, méritent la plus grande attention du mélomane.

 

 

La sonate K.33 en Ré s’ouvre sur un prologue déchiqueté en quatre mouvements contradictoires de dix-sept mesures (allegro ternaire – moderato binaire – allegro ternaire – moderato binaire). Cette introduction joyeusement étrange propulse un allegro à trois temps. La première interprétation souligne le caractère

  • incisif,
  • vorace et
  • tintinnabulant de l’œuvre.

La reprise en révèle une facette plus complexe où ont aussi leur place

  • le soyeux,
  • l’ambigu et
  • la demi-teinte.

Cette approche construit l’écoute de la seconde partie, où l’on se goberge à la fois

  • de l’allant et de la modulation en mineur,
  • de la pulsation des détachés et de l’onctuosité du legato éventuellement soutenu par la pédalisation,
  • de la férocité du tempo et de la capacité de transformer cette sévérité bienséante en légèreté aérienne par
    • un changement de toucher,
    • une mutation d’intensité ou
    • une infime suspension du discours préparant le torrent à venir.

 

 

Une proposition brillante et profonde dont nous suivrons la déclinaison en ré – mineur, en l’espèce – dès la prochaine sonate, la K.5, dont le pianiste butineur a choisi de nous faire goûter le pistil. À suivre !


Pour écouter le disque en intégralité, c’est ici.

Charme de l’ancien

Pierre-Marie Bonafos le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail (Paris 19). Photo : Rozenn Douerin.

Au cours du spectacle Tout est un possible, fomenté le 19 mai 2025 au théâtre du Gouvernail, la chanson elle-même était sur la sellette. Pourquoi. Comment. Pour qui. Il n’y avait pas de réponses. Juste des manières différentes d’aborder les questions qui montaient. Et quelques featurings pour nourrir la méditation.
Parmi ceux-ci, Pierre-Marie Bonafos est venu poser quelques notes sur une nouvelle chanson intitulée « La vieille chanson ». Ça n’est pas resté longtemps un paradoxe : une fois chantée, la tune était en effet devenue une vieille chanson en regard de celles qui commençaient déjà à pointer le bout de leurs fredonneries. Voici donc la première apparition publique d’une chanson âgée, ancestrale, vintage dès son inauguration !

 

Irakly Avaliani joue Domenico Scarlatti (Sonogramme) – 1/4

Première de couverture

On connaît la légende, née il y a deux décennies, de Christine Schornsheim, venue enregistrer un disque de sonates Haydn dans un studio nordique perdu. Bloquée par une tempête de neige, elle alors aurait décidé d’enregistrer l’intégrale – publiée chez Capriccio – plutôt que de tourner en rond.
En juillet 2013, la météorologie a hélas été plus clémente pour Irakly Avaliani, de sorte que le pianiste n’a enregistré que 16 des 555 sonates de Domenico Scarlatti (dont une trentaine seulement a été éditée de son vivant). Certaines pèsent plus de 9′, d’autres moins de 2′ : c’est à la guise de l’imaginaire… et parfait pour nous ouvrir à la surprise, d’autant que le livret, rédigé par un compatriote du musicien, n’a, soyons rond, aucun intérêt. En effet, en la matière, il existe des règles aussi intangibles que la destinée mortelle de l’homme. Par exemple, un livret qui commence par :

Domenico Scarlatti naquit à Naples le 26 octobre 1685

ne peut pas avoir le moindre début d’intérêt, car il efface la problématique (id est : pourquoi ces sonates dans ce disque par cet interprète ?) derrière une minibiographie qui aurait mieux sa place dans une conférence « illustrée d’exemples phonographiques », donnée un vendredi de novembre, en fin d’après-midi dans un conservatoire de banlieue chic et poussiéreuse, devant une poignée de vieilles dames de tout sexe fleurant mauvais l’eau de toilette des années 1850 et les restes d’un méchant pot-au-feu dégusté sans un coup d’jaja « car ce n’est pas dimanche tous les jours, n’est-ce pas ? ».
Le disque s’ouvre sur la sonate la plus longue, la Mi majeur dite K.215.  Doublement ternaire (elle est à trois temps dont chacun accueille en général trois notes), elle nous accueille par un prélude associant

  • triples croches fugaces,
  • appogiatures et
  • trilles.

Irakly Avaliani choisit de le couler dans une même résonance, ce qui lui garantit d’avoir toute l’attention de son auditeur tant l’effet surprend donc saisit. Le texte incite à l’étonnement par

  • la suspension de la dernière note des phrases,
  • la brisure du discours grâce au silence d’un point d’orgue, et
  • le passage soudain en mi mineur.

La reprise impatientera certains, mais c’est la reprise. En théorie, elle n’est pas optionnelle. Elle permet de mieux apprécier

  • les nuances,
  • les touchers et
  • les pinçouillées d’agogique qui, par
    • une respiration,
    • un phrasé qui se gonfle comme voile au vent ou
    • un effet d’attente (tel celui de la dernière note de la première partie)

rehaussent le tableau d’un trait de couleur vif, percutant et pertinent.

 

 

La seconde partie s’ouvre sur le choc

  • des attaques,
  • des septièmes et
  • des modulations.

Le retour du swing délicat ne signe pas le retour à une stabilité marmoréenne. Dans la finesse comme dans la percussivité, se faufilent

  • l’incertitude tonale,
  • le balancement des contretemps et
  • les doux cahots des deux en deux.

La reprise parvient à captiver en proposant une autre lecture de la partition, avec

  • un incipit plus sourd,
  • des piani plus intenses et
  • des phrasés davantage reliés entre eux.

Cette retenue permet

  • d’autres contrastes,
  • d’autres dispositifs de nuances,
  • d’autres mises en valeur de la spécificité de chaque registre.

Ce serait magistral si on s’ennuyait : on ne s’ennuie pas, c’est donc superbe.

 

 

Ternaire elle aussi, la sonate en Sol dite K.146, quatre fois plus courte que celle qui la précède, c’est la fête aux petites saucisses. Les doigts se défoulent.

  • Trilles précédant des triples croches,
  • mouvements tantôt contraires tantôt parallèles des deux mains,
  • jeu sur les parts du legato et du staccato :

tout cela

  • virtuose,
  • vertige et
  • pulse

avec une musicalité bluffante.

  • Les pépiements digitaux,
  • la conduite de la ligne volontiers monodique,
  • les sursauts modulants et
  • cette capacité avalianienne à transformer les marteaux, ces enclumes, en plumes

ébaubissent et réjouissent. La sonate K63 est un « capriccio » toujours en Sol mais binaire. On voit comment Irakly Avaliani tente de construire un programme varié mais cohérent. Après un pièce ternaire en Mi, il tuile avec une pièce ternaire en Sol ; après une pièce ternaire en Sol, il tuile avec une pièce binaire dans la même tonalité. Résultat, c’est pas pareil mais c’est pas complètement de bric et de broc. Malin.

 

 

L’écoute de la pièce m’évoque Édith Butler qui, à un moment, avait l’impression d’être enfermée dans son répertoire de party. Sur scène et en studio, elle était incitée à faire danser les gens, projet très honorable mais réducteur quand on aspire à un art un tout p’tit peu plus large. Eh bien, la sonate K 63 parle un peu de ça.
En tout cas, je me suis demandé comment un interprète pourrait jouer ce genre de pétillements un jour où il est dans le bad mood. Pas forcément un jour catastrophe, non, même pas. Un jour Maurane par Goldman : un jour « C’est même pas que je t’agace, c’est moins que ça ». Un jour de gris. De bof. De à-quoi-bon.
Réaction psychologisante stupide, j’en conviens, mais qui dit aussi

  • la vigueur du moment,
  • l’évidence du son, et
  • la force d’une musique projetée sans débat technique, même si l’on pourrait parler, histoire d’avoir des petits points sous les petits points,
    • des attaques,
    • des accents,
    • des ornements parfois audacieux (le judicieux mordant sur le dernier accord n’est pas indiqué sur toutes les partitions),
    • d’équilibre des mains et
    • des mutations d’intensité.

Baste, gardons cela pour une prochaine occasion.

 

 

La sonate en Ut mineur K.11 (la transition entre G7 et Cm est également un tuilage bien troussé) se présente comme une force qui va, bien ancrée dans son quatre temps matriciel.

  • Rythmée par des trilles,
  • dynamisée par des traits descendants,
  • pimpée par des mains qui se croisent pour offrir un accompagnement surplombant la mélodie,

la sonate s’éclaire sous les doigts sûrs d’Irakly Avaliani qui sait que la rigueur n’est pas l’opposé de la poésie.

  • La délicatesse de son toucher, qui n’est jamais mollesse ni mignardise,
  • la précision de ses phrasés, qui n’est jamais coquetterie ni m’as-tu-vuisme,
  • la clarté de sa vision d’ensemble, qui n’est jamais pédagogisme ni décryptage,

donnent une importance particulière à ces miniatures associant la concentration du propos et sa modestie énigmatique, qui évoque cet instant que décrit ainsi André Velter dans Au cabaret de l’éphémère [2005], in : La Vie en dansant et alii, Gallimard, « Poésie », 2020, p. 172 :

personne ne lève la poussière,
nulle rumeur ne prétend
qu’un amour égaré, ressuscité, imprudent
pourrait être en vue.

La vie passe, c’est tout.


Pour écouter le disque en intégralité, c’est ici.

Charles Guyard, « Travailleurs de la mort » (L’Aube) – 2/4

Première de couverture (détail)

Les premiers chapitres de ce livre sur « comment ceux qui gèrent les morts gèrent la mort » ne manquaient ni de tonicité, ni d’une ambiguïté consubstantielle au genre : plusieurs témoins interrogés s’offusquaient du voyeurisme des lecteurs par les massacres alléchés tout en se donnant eux-mêmes en spectacle à travers leurs confidences anonymes à Charles Guyard – un peu comme Michel Tirabosco, chroniqué ce tantôt, refusait d’être envisagé comme un handicapé alors que son livre racontait sa vie de virtuose handicapé. Second point d’attention : la plupart des « travailleurs de la mort » ici évoquants plus qu’évoqués ne parlent pas du tout de la mort. Ils parlent

  • de l’horreur,
  • du dégoût,
  • de leurs façons de se protéger – plus ou moins efficacement – et de protéger proches ou collègues,

jamais de l’impact philosophique sur leur conception de la mort ou sur la vie, au-delà de la peur des avions quand ils ont travaillé sur un crash ou de la méfiance devant les camions s’ils ont sévi sur le massacre de Nice. Nul défaut, au contraire : voilà deux tensions dont a hâte de découvrir comment le livre, avec son principe systématique (un gros attentat par chapitre, le témoignage en écho d’un membre des pompes funèbres chargées de s’occuper des morts),

  • les nourrit,
  • les irrite ou
  • les dénoue.

Dans cette perspective, le cas du Bataclan, où meurent en 2015 quatre-vingt-dix spectateurs (d’autant que j’aurais pu être dans la fosse si la pochette du dernier disque en date des EODM n’avait pas été si vilaine, grâces soient rendues au graphiste), est intéressant. Le narrateur, employé de pompes funèbres, raconte

  • les couleurs (rouges les vêtements jadis blancs, blanche la housse qui enveloppe le cadavre jusqu’àl’IML),
  • l’odeur « de viande fraîche »,
  • la géométrie carrée que les TIC découpent dans la salle pour organiser l’évacuation des cadavres,
  • les bruits des cellulaires vibrant ou sonnant dans le vide,
  • les anatomies de scènes de guerre (« on fait une quinzaine de corps et un pouce, celui du terroriste qui s’est fait exploser »), et
  • la sensation d’irréalité, au retour, entre jeu vidéo resté allumé et télévision crachant les infos.

Le trauma de l’employé reste le vibreur des téléphones. Être vivant, c’est pouvoir encore répondre au GSM. De Charlie-Hebdo à l’Hypercasher, itou en 2015, le témoin suivant retient surtout son ordre de mission consistant à aller récupérer les corps des frères Kouachi à Dammartin-en-Goële. Un convoi par frère, sans savoir quel frère il récupère. Deux modes d’assassinat : la précision qui sectionne un nerf et tue net, et le mitraillage. Moralité, « il y a des morts qui font moins de peine que d’autres ». Ce n’est pas forcément une apocalypse, mais cela dévoile une raison pour lesquels ceux dont Charles Guyard reformule la parole parle si peu de la mort : ce ne sont pas des travailleurs de la mort mais des défunts.
À Saint-Étienne-du-Rouvray, la lâcheté bien française conduit à de nouvelles entourloupes sémantiques : point de musulman comme égorgeur de prêtre, mais un « radicalisé » comme, ailleurs, un « déséquilibré » ou un « jeune », accompagné ou non, remplacerait le mot honni de « migrant ». Il est des pudeurs coupables quoique significatives. En attendant, ce jour de 2016, dans l’agence des pompes funèbres, on s’ennuie sec jusqu’à ce que la mère et le frère d’Adel Kermiche entrent pour solliciter des obsèques. Plus que morale (l’argent fait loi), la problématique est logistique. Il faut notamment

  • trouver un cimetière où enterrer le terroriste,
  • prendre garde aux consignes spécifiques (pas de nom sur la plaque, etc.),
  • gérer les RG,
  • déterminer un horaire de funérailles hors ouverture

le tout en travaillant avec une collègue qui connaissait la victime du tueur – et qui finira dans les bras de la maman, reconnaissante pour une cérémonie digne. C’est que la mort n’est pas qu’une grande question métaphysique. Elle est surtout une question pratique pour les vivants dont la principale est : que faire des cadavres ?
L’enterrement des cadavres Dupont de Ligonnès est justement l’objet du très décevant chapitre suivant. Le témoin narre

  • le stress (le sien devant l’ampleur du dispo et celui du faiseur de sandwichs paniqué devant l’arrivée d’une horde de Men in Black),
  • les ragots entre collègues,
  • la formation de la débutante, et
  • le rôle gnangnan de l’équipe qui est « primordial » alors que le boss propose d’aller boire un coup.

On regrettera que jamais – jusqu’à présent – le business du mort ne soit assumé. Les pompes funèbres puent la générosité et l’amour, ce qui n’est pas leur créneau. Les majors de l’enfouissement sont des entreprises qui, par définition, visent à faire du fric. Par proximité avec les acteurs de ce business souvent éhonté, le livre tend grandement à le gommer. Ce tabou est d’autant plus regrettable qu’il émerge sur l’incendie de Charly-sur-Marne, où la gendarmerie demande aux PF si elles peuvent gérer huit corps, ce qui est leur marché. C’est pourtant LE sujet.

  • Les assurances qui payent.
  • Le collègue qui vient gratos après s’être tapé 4àà km (why?).
  • La sous-préfète qui remercie.

À quel prix ? Combien vaut un calciné ? Le livre se perd faute de ligne de vie. On a bien compris que le sujet n’était pas la mort mais la gestion du cadavre. Mais quel est le sujet ? Peut-être le découvrira-t-on lors de la prochaine notule sur le sujet. À suivre !

Monica Leone et Michele Campanella jouent Schubert (Odradek) – 9/9

Première du disque

Issue de la série d’enregistrements qui a ouvert le double disque, le rondo en Ré op. 138 dit D.608, composé en 1818, conclut la fête après 1 h 35 de route. Pour cet allegretto, Monica Leone et Michele Campanella sont de retour sur le Steinway de 1892 entendu sur le premier disque. La partition permet de rendre raison d’un instrument dont la personnalité n’affecte pas la clarté.

  • Un piano I octaviant,
  • un piano II tour à tour accompagnant puis répondant à son collègue, et
  • un trois temps joliment balancé

lancent cette grande coda de dix minutes sous les meilleurs auspices. Soudain,

  • le Ré majeur mute en ré mineur ;
  • le tempo s’accélère ;
  • des appogiatures sont jouées si serrées qu’elles augmentent la tension en frisant la dissonance.

Les interprètes jouent avec nous, valorisant tantôt le sourire charmeur du registre aigu, accentuant tantôt le froncement de sourcils

  • d’arpèges diminués qui inquiètent,
  • d’habiles retards qui pincent l’harmonie, et
  • de notes répétées qui s’escagassent ou suspendent énigmatiquement la narration.

 

 

Le rondo se révèle

  • tantôt sautillant,
  • tantôt grognant,
  • tantôt lyrisant.

Son instabilité le rend captivant jusque dans le retour à la fois imprévisible et attendu du refrain en majeur.

  • La légèreté du toucher,
  • la finesse des nuances et
  • la justesse de l’agogique

font palpiter cette version. L’arrivée d’un long trait annonce la modulation en Sol. Le travail sur les contrastes

  • de registres,
  • de caractères et
  • de couleurs

est du miel pour l’âme ou ce qui en tient lieu. Le retour du refrain en Ré est un peu triste puisqu’il préfigure la fin du voyage, mais

  • le plaisir de la ritournelle,
  • l’attention portée à l’énergie de la coda tourbilonnante, et
  • la capacité des pianistes de faire surgir une musique jamais bruyante mais toujours d’une grande délicatesse, même dans les passages planplans comme la dispensable conclusion,

synthétisent une partie des charmes de ce florilège

  • ambitieux,
  • riche et
  • personnel

enregistré jadis avec brio et poésie par Monica Leone et Michele Campanella, et enfin disponible en double disque comme en streaming.


Pour acheter le double disque, c’est par exemple ici.
Pour l’écouter en intégralité et gracieusement, c’est par exemple .

Éclats de rires divins, première série : face à l’ennemi – 4/5

Collégiale Saint-Martin de Montmorency (détail) rosie par le soleil d’été, le 21 juin 2025. Photo : Rozenn Douerin.

Ce 21 juin 2025, en la collégiale Saint-Martin de Montmorency (Val-d’Oise), j’ai donné un récital autour des rires divins. Il s’ouvrait par une Suite fantasque improvisée autour de cinq rires de Dieu. Vient de résonner la troisième improvisation où le rire de Dieu se moque des hommes qui aspirent à se libérer de leur Créateur. J’ai décidé de prolonger ce rire qui préfigure le châtiment divin en le rapprochant du rire que ses ennemis inspirent à Dieu, et qui résonne régulièrement dans l’Ancien Testament. Pour cela, j’ai réutilisé plusieurs éléments impliqués dans la précédente improvisation tout en les modifiant plus ou moins légèrement :

  • le cornet résonne dès les premières secondes, mais il est inclus dans un plein jeu plus solennel ;
  • le motif que l’explicit de la troisième improvisation martelait est à nouveau impliqué, mais réharmonisé de façon multiple ;
  • le développement utilise peu à peu les quatre plans sonores (trois claviers + un pédalier), comme dans la dernière partie de la troisième improvisation, mais, cette fois, ceux-ci n’offrent que de légères différences d’intensité et de couleur.

La similitude entre l’impro 3 et l’impro 4, ici racontée, évoque la continuité du rire d’un Dieu pour qui les ennemis et les insolents ne sont que fétus de paille « car son jour arrive », comme le stipule le psaume 36, verset 13 ; les différences poursuivent la narration et évoquent d’autres aspects du rire divin.

  • En tournoyant obsessionnellement autour d’un motif, l’improvisation fait résonner la pérennité de la rhétorique du rire moqueur divin dans les textes vétérotestamentaires.
  • En corrompant petit à petit le leitmotiv, l’orgue tâche d’évoquer le moment où Dieu passe du mépris presque amusé à l’éclat de colère dévastateur – à nous,
    • dissonances,
    • claudications,
    • accélérations et
    • foucades.
  • En proposant une dernière partie plus déchiquetée, la musique évoque les essais et erreurs de l’homme pour se concilier Dieu ou se réconcilier avec lui.

La coda, explosive, propose un raccommodage triomphal : celui qu’a inventé le big boss et qu’a résumé saint Fulgence de Ruspe, dans une lettre lue pendant l’office du cinquième vendredi de Carême :

Quand nous étions encore ses ennemis, Dieu nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils.

Parce qu’elle associe le Nouveau Testament à l’Ancien, la Bible transforme la rhétorique très récurrente de l’ennemi de Dieu en une apologétique paradoxale de l’amour divin pour l’homme, au sens où le créateur pourrait détruire sa créature – il l’a démontré – mais choisit de lui offrir une voie de salut. En ce sens, le rire est la préfiguration de la résurrection autant qu’il a pu être décrit comme le prélude du châtiment. Telle est la réflexion – résolument

  • plus songeuse que rigoureuse,
  • plus pointilliste que scientifique,
  • plus onirique que théologique –

autour de laquelle

  • volette,
  • musarde et
  • butine

la quatrième improvisation de la Suite fantasque, dont voici un souvenir.

 

Monica Leone et Michele Campanella jouent Schubert (Odradek) – 8/9

 

Première du disque

 

Dernière forme proposée par Monica Leone et Michele Campanella dans leur florilège du catalogue schubertien pour piano à quatre mains, la fugue en mi mineur op. 152 et étiquetée D.952, part d’un sujet exposé à la basse. Le mixage de Corrado Ruzza, sur une prise de son de Valter Neri, étale la polyphonie sur l’ensemble de la stéréo, donnant – notamment au casque – un côté saisissant à l’incipit qui restera affaire de goût, amoureux de la clarté presque pédagogique versus fans de la profusion des voix où le talent des interprètes guide, si tout va bien, l’oreille de l’auditeur. Les quatre voix se déploient

  • paisiblement,
  • sagement,
  • presque intimement.

L’effet d’écho plus que de canon traverse la pièce, éclairé par d’habiles réexpositions notamment au piano II qu’a repris Michele Campanella après la parenthèse des Grandes marches op. 60 où il avait été bombardé piano I. On apprécie

  • ses variations d’intensité,
  • sa large palette d’attaques, et
  • son sens de la petite respiration en plus qui change tout.

 

 

L‘équilibre sonore entre les registres du grave pas trop grave à l’aigu pas très aigu est magistral. La tentation du mineur repeint, elle, le sujet d’une autre couleur, gardant vive l’attention en dépit de l’absence d’effets wow. Tierce picarde incluse pour la dernière mesure, règne ici un calme invitant

  • à écouter plus qu’à entendre,
  • à méditer plus qu’à écouter,
  • à se laisser envoler plus qu’à méditer.

Si l’on est dans cet état d’esprit, on pourra friser l’état de grâce, voire plus ! Puis l’on écoutera, concluant la session sur le Yamaha CFX, la fantaisie en sol mineur alias D.9, composée en 1811. Deux fois plus courte que la fantaisie op. 103 qui ouvrait le programme, elle n’en comporte pas moins quatre mouvements comme sa future consœur, composée dix-sept ans après elle. Le prélude est un largo très digne avec

  • son train de sénateur,
  • ses valeurs longues à peine distraites par quelques fumerolles passagères, et
  • ses trois points d’orgue

dont le dernier prolonge un intervalle majeur d’autant plus saillant que, juste après, l’allegro bascule direct en ut mineur.

 

 

Une vive discussion anime alors les deux complices. Elle est finement mise en valeur par

  • des choix d’intensité parfois paradoxaux (quelle grâce pour faire ressortir la voix principale en la jouant moins fort qu’une voix secondaire !),
  • des trilles et des appogiatures quasi funky, et
  • une façon impressionnante de
    • jouer ensemble,
    • se répondre clairement, et
    • suspendre puis relancer le propos avec une synchronicité fascinante.

Derrière une musique d’apparence carrée-carrée, on s’amuse, dans le tempo di marcia, des bosselures prévues par le compositeur

  • (modulations vigoureuses,
  • ruptures de lignes,
  • silences et surgissement).

Un largo, en ré mineur même si la tierce picarde est de rigueur à la fin, et pour partie reconstitué, conclut une pièce souvent considérée comme secondaire mais dont Monica Leone et Michele Campanella ont l’élégance de montrer qu’elle contient déjà de quoi alimenter

  • le savoir-faire,
  • l’inspiration et
  • la technique compositionnelle

de celui qui n’est pas encore le Grand Franz que les siècles ont imaginé… avant de nous inviter à finir le voyage, dans une dernière notule, autour du rondo opus 138. To be concluded!


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