Joaquín Sabina, « Hola y adiós », L’Olympia (Paris 9), 25 mai 2025 – 1/2
Il y avait eu
- la tournée bilan autour de la chanson-phare « Lo niego todo », en 2017-2018, avec un Olympia le 9 septembre 2017 ;
- la tournée revanche « Contra todo pronóstico », en 2023, avec une date à Pleyel, le 23 septembre, narrée ici et là ; et
- cette tournée d’adieu de 2025, intitulée « Hola y adiós », qui repassait par un Olympia blindé plusieurs mois à l’avance.
Une ultime occasion pour les fans de faire l’inventaire, comme le chantait Diane Dufresne et comme le laissait entrevoir l’artiste qui, en 1978, claquait son premier disque officiel intitulé Inventario. Comme pour faire résonner ce temps long, une annonce sonore nous rappelle qu’il est interdit de fumer dans le music hall, dix-huit ans après qu’est entrée en vigueur la loi salutaire pour les non-fumeurs. Dans la mesure où nous avons déjà narré un concert fort proche (celui de la tournée 2023), osons le fast forward sur ce moment où l’émotion n’est pas palpable – puisque l’émotion n’est pas palpable, si ça se palpe, c’est du blé, un objet ou un organe reproducteur, pas une émotion – mais où ça palpite bien quand même, d’autant que pas de première partie et pas d’entracte, rien que l’essentiel.
L’affaire commence par « Un último vals », dernier clip de l’artiste. Selon une stratégie connue (Alain Chamfort l’utilisait lors de son récent concert aux Folies-Bergères, narré ici et là, mais lui chantait), le clip fonctionne sur le face dropping, le public étant incité à rugir dès qu’il reconnaît les invités, à commencer par Joan Manuel Serrat, le complice. À défaut – mais en est-ce un ? – d’être un tube comme avait pu l’être « Lo niego todo », la chanson est évidemment bouleversante, anticipant ces moments où l’artiste aura disparu des gazettes et où le restau du soir, pour ceux qui viendront le voir, ce sera pas le bistro du coin mais le self de l’hôpital – alors, il lui restera une valse à offrir.
À poignant, poignant et demi : les « Lágrimas de marmol » claquent, avec leur refrain vengeur (« Je suis un survivant, nom de nom, / et je ne me lasserai pas de le chanter. / Avant que la marée ne fasse disparaître / les traces de mes larmes de marbre, / si j’ai dû danser avec la plus laide [la mort, donc], / j’ai vécu pour le raconter »). Le groupe qui accompagne Joaquín Sabina – deux guitaristes, une choriste, une bassiste-choriste, un batteur, un multi-instrumentiste entre sax, accordéon, flûte et clavier, et un claviériste-guitariste – envoie
- du pâté,
- des cornichons et
- du gros rouge
pour lancer la soirée. L’artiste profite de l’entre-chansons pour avouer son rêve, réalisé plusieurs fois, de voir son nom en lettres de néon sur la façade de l’Olympia. « Lo niego todo » (« si tu me rappelles ce que j’ai vécu, je nierai tout, y compris ce qui est vrai ») fait trembler les murs et les glottes, d’autant que les vidéos de fond de scène sont et seront toujours
- intéressantes,
- percutantes et
- variées.
« Mentiras piadosas », titre de l’album de 1990, prolonge cette question de la vérité et du faux qu’esquissait « Lo niego todo » (« Je lui dessinais le monde tel qu’il est, pas façon eau de rose, mais elle préférait écouter de pieux mensonges »). Au moment du dernier salut, se demander
- qui l’on a été,
- qui l’on est et
- qui l’on restera en vérité
guide le tour de chant comme en témoigne « Ahora que », publiée en 1999, racontant la douceur désespérante du moment où « nous nous embrassons sans hâte » et où l’homme apprend même des « danses de salon ».
En accentuant ce reflux des décibels et cette avancée vers une introspection intimiste, l’artiste et ses accompagnateurs glissent vers une ambiance acoustique que la foule colore de triomphe dès que résonnent les premières notes de « Calle melancolía », extraite de Malas compañías, formidable disque paru en 1980. Évidemment, chacun, ici, connaît les paroles – au moins celles du refrain, mais en général pas que – où le narrateur explique que, depuis des années, il espère déménager dans le quartier de la joie mais, à chaque fois qu’il est prêt à se lancer, le tramway est déjà passé – aussi reste-t-il vivre au 7, rue de la mélancolie. Il semble que ceci ait quelque chose de personnel pour chacun…
Il était impensable que la set-list ne passât point par « 19 días y 500 noches », puisque, dans cette histoire de rupture amoureuse (« pour apprendre à l’oublier, j’ai mis 19 jours et 500 nuits »), la nana dit « hola y adiós », titre de la tournée. L’émotion de celui qui reconnaît « pleurer devant les films d’amour les plus kitsch » n’exclut pas le plaisir de la langue de pute assassine (« elle avait toujours eu le front très haut, la langue bien pendue et la jupe ultracourte »), ce qui n’est rien d’autre qu’une déclaration désespérée d’amour éternel donc déjà passé… mais reste l’émotion (« je renierais le Saint Sacrement / à la seconde où elle me l’ordonnerait »).
Avant d’enchaîner sur un tube, Joaquín Sabina lâche deux dédicaces – une à des fans vénézuéliens qui le suivent à peu près partout, l’autre à « une Péruvienne qui est allée à l’école avec ma femme ». La communion avec le public est totale quand commence « ¿Quién me ha robado el mes de abril? », paru en 1988 sur l’album désormais ironiquement appelé Sinfín (sansfin). Sans prompteur, chacun connaît le texte, et ça rugit de plaisir quand le guitariste place le solo officiel qui va bien. Oui, il y a
- de la nostalgie,
- des bouts de soi qui ressurgissent attachés à telle ou telle chanson, et
- une dimension muséale dans ce dernier instant partagé en live avec cet incroyable monsieur,
et alors ? Les clients saluent leur dealer d’émotions et reprennent un p’tit shoot en passant. Bouder ce plaisir serait aussi stupide que de voter Macron ou de penser que tuer des gens quand ils le souhaitent permettra de ne pas se rendre compte de la déréliction dégueulasse du système de soins français ou de l’immondice rémunérateur qu’est devenu le racket des Ehpad.
(Bon, finalement, j’avais de quoi raconter. Puisque le post menace de s’éterniser, je le dédouble et je me propose de raconter la fin de la fin dans une prochaine notule. À suivre !)