L’art de Sylvie Carbonel (Skarbo) – 11/24

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Recto de la couverture du cinquième disque à retrouver dans le coffret Sylvie Carbonel fomenté par Skarbo

 

Contemporains et pourtant tellement opposés stylistiquement ! Ludwig van Beethoven et Carl Maria von Weber sont réunis dans le cinquième disque du florilège de Sylvie Carbonel bientôt disponible chez Skarbo. La première mi-temps est confiée au piano seul et à Ludwig en particulier, même si LvB s’est associé à Giovanni Paisiello dont il a samplé – comme d’autres après lui – les vingt mesures de “Nel cor più non mi sento” (un p’tit accent sur le “ù” n’aurait pas nui sur la pochette, hélas une fois de plus négligée – peut-être une retouche sur la manche droite montrée en première de couverture n’aurait-elle pas été non plus de trop…). Dans cette arietta, Rachelina, au premier chef, se plaint : “Dans mon cœur, je ne ressens plus l’éclat de la jeunesse” à cause de l’amûûûûûr, bien sûûûûûr.
Les Six variations WoO 70 s’ouvrent par l’énoncé du thème, en Sol et en 6/8.

  • Main droite nette,
  • discrétion de la main gauche motorique,
  • régularité et souplesse

précèdent la première variation, un double offert à la main droite avant de gratifier la senestre de son équivalent.

  • Articulation précise,
  • nuances simples donc efficaces,
  • toucher remarquable en lead comme en accompagnement.

soutiennent l’attention. La troisième variation s’intéresse davantage

  • au rythme,
  • à la complémentarité des deux mains et
  • à l’élargissement des registres de l’instrument impliqués.

La quatrième variation traduit l’imploration de l’arietta par une sorte de lamento en sol mineur. Les chipolatas de la main droite se dégourdissent dans la cinquième variation grâce à des triolets de double croches qui dégringolent parfois en descentes chromatiques très efficaces. Les deux mains bariolent gentiment pour la sixième variation.

  • Élégance,
  • clarté des dialogues,
  • allant sans précipitation,
  • joli decrescendo final :

voilà un début de disque pimpant à souhait. Cet apéritif n’est en effet qu’un amuse-bouche avant le plat principal qui arrive : la Vingt-et-unième sonate pour piano op. 53, dite “Waldstein”, du nom du dédicataire, que Sylvie Carbonel a gravée en 1964. La pièce est réputée avoir été composée alors que Beethoven venait de prendre possession d’un nouveau piano Érard au clavier doté de davantage de notes que son précédent outil à ploum-ploumer ; il a donc fait ce que feraient les compositeurs à qui on offrirait un piano Paulello : il a utilisé cette avancée technologique dans son travail.
L’Allegro con brio liminaire martèle la tonalité d’Ut pianissimo. Cette tension entre les accords graves répétés, auréolés d’une sonorité vintage très plaisante, et la nuance souhaitée par le compositeur fait la triple force du passage.

  • Elle le nimbe d’une étrangeté inattendue ;
  • elle permet de ménager des effets de crescendi puis decrescendi dont, évidemment, raffolent les interprètes ; et, grâce aux rebonds et au grondement en pointillés qui en sourd,
  • elle installe une tension délectable.

Ainsi,

  • les bariolages sans lourdeur,
  • la discrétion de la main gauche,
  • la variété de toucher et
  • la maîtrise du texte

permettent de se plonger à la fois confortablement et inconfortablement dans cette boule d’énergie qui se secoue, s’arrête, repart en triolets, échange les rôles entre grave et aigu, accélère, baguenaude, s’escagasse, se replie, se tapit, se détend, se pose, module, bondit, confronte binaire et ternaire, s’enflamme à nouveau… On est saisi

  • par le groove qu’insuffle Sylvie Carbonel
    • (tempo,
    • accents,
    • respirations,
    • nuances – oui, les nuances font partie du swing),
  • par sa capacité saisissante à switcher – hé hé – d’un état d’esprit à l’autre,
  • par sa virtuosité assez discrète pour rendre la musique évidente en évitant – ô démon de la parophonie ! quand tu me tiens – les coups de projecteur sur l’artiste pour laisser l’auditeur focus sur l’émotion du moment.

Avec les modulations et les leitmotives, le travail sur les registres extrêmes, qu’ils soient

  • joués ensemble pour contraster à fond les ballons,
  • valorisés par la concentration des deux mains dans le grave,
  • mis en lumière par, au contraire, un segment joué dans le médium,

ajoute évidemment à l’excitation de l’écoute, et il est patent que l’interprète en a pleinement conscience. Surtout, cela est joué avec

  • une urgence,
  • une absence apparente de calcul,
  • une aisance et
  • un goût

sidérants – au point que l’on eût aimé que le montage nous laissât quelques secondes d’apaisement après le dernier ploum de l’Allegro con brio, plutôt que de nous jeter illico dans la gueule du bref mouvement médian. Ce deuxième mouvement, adagio molto en Fa, est une “introduzione” au rondo qui va suivre.

  • Délicatesse,
  • gravité pénétrée de musicalité,
  • pédalisation impeccablement séduisante

caractérisent l’exécution très narrative qu’en donne Sylvie Carbonel. Le rondo, allegro moderato, profite de l’accord de Sol (sans septième mais, ça va, on a compris, d’autant que la main gauche, dans l’aigu, va rappeler ce sol de pivot), pour rebasculer en Ut.

  • De délicieux piani différenciés,
  • une impossible mais récurrente trille en trio,
  • une ravissante tentation de mineur,
  • un brillant surgissement du ternaire,
  • un truculent mix central en mineur avec du ternaire dedans,
  • de délicieuses modulations,
  • des nuances chatoyantes,
  • des triolets de doubles judicieusement partagés entre legato et staccato,
  • un dernier suce-pince poétique avant le prestissimo conclusif, et
  • l’association entre aisance digitale et hauteur de vue musicale :

le fade out du montage est brutal, mais quelle conviction pianistique emballante ! Voyons tantôt ce qui sourdra d’une sonate de Weber pour flûte et piano…

 


Pour retrouver les critiques précédentes du coffret

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À suivre !