Olivier Messiaen, Intégrale de l’œuvre d’orgue, Forlane – 8 – Méditations (2)

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Passé le cœur des Méditations sur le mystère de la sainte Trinité, l’aspiration à une théologie musicale ne faiblit pas lors du sixième épisode interprété par Sara Musumeci. Pour preuve, son intitulé qui ne fleure guère la gaudriole et le French cancan : “Dans le Verbe était la Vie, et la Vie [pas “dans la vie”, MM. les livret et pochette, c’est déjà assez compliqué ainsi] était la Lumière”. Le compositeur l’a conçu comme un “offertoire de l’Épiphanie” qui, signale livret de l’intégrale Tanke, “n’est certainement pas un moment de détente après l’impressionnante méditation sixième”.
Le tempo liminaire n’a rien de stable. Le “un peu vif” officiel est grêlé par des indications du type

  • “pressez”,
  • rall. molto” jusqu’à
  • “lent”.

L’intensité sonore ondule, elle aussi, dans un decrescendo sévère partant du fortissimo pour s’effacer dans un double piano. La fanfare liminaire est donc moins triomphale qu’elle ne semble. Cependant, apparaît la structure de la méditation : les thèmes du temps liturgique apparaissent en monodie ou sous forme harmonisée avant d’être prolongés par une partie harmonisée. On apprécie alors la capacité de l’interprète à prendre

  • son temps,
  • son souffle et
  • ses couleurs.

L’orgue répond idéalement aux exigences de la partition, sachant être

  • puissant sans être claironnant,
  • onirique sans être mignard,
  • contrasté sans être caricatural,
  • profus sans être confus.

Dans une musique alternant plain-chant et commentaires de façon assez lisible, même en l’absence d’une dynamique narrative donnant une direction intelligible au morceau avant sa résolution dans manière d’Ut triple forte, l’auditeur peut ainsi profiter

  • du son,
  • du grain et
  • de l’espace ouvert par une prenante conjonction entre
    • une partition,
    • une interprète,
    • un instrument et
    • une prise de son décidément bluffante.

Simon Defromont, organiste et wannabe compositeur, ouvre le disque sixième par la septième méditation (faut suivre) intitulée “Le Père et le Fils aiment, par le Saint-Esprit, eux-mêmes et nous”. L’option choisie est celle d’un tempo très large, le compositeur et Olivier Latry exécutant la pièce en quelque 6’30 contre 9’15 pour le jeune impétrant. Cela ne messied pas forcément à l’humeur plus contemplative de l’œuvre (troublée par un saut à 0’28 sans doute propre à notre exemplaire).

  • Variation des couleurs,
  • insertion de chants d’oiseaux et
  • développement de trios

déploient une grammaire théomusicale nébuleuse pour le profane – tel passage symbolise le Père, le verbe aimer ou l’ablatif… L’ensemble témoigne d’une exécution soucieuse de rigueur, ce qui est adapté à l’esprit de cette méditation. Ici, la virtuosité n’est point flamboyante.

  • Son exigence,
  • le mystère qui en découle (et n’exclut pas les contrastes sporadiques) ainsi que
  • la fermeté de la forme ABA conclue sur un solide accord de Mi

sauront sans doute parler aux âmes recueillies qui se pencheront sur son expression.
La huitième méditation, intitulée “Dieu est simple – Les trois sont Un”, est confiée à Remi Ebtinger. Elle s’ouvre sur l’alléluia de la Toussaint, exposé au cornet avec cor de nuit sans harmonisation ; puis elle soumet à l’auditeur les ingrédients de son propos : les motifs du Père, du Fils et de l’Esprit. Avec quatre changements de registration en 1’36 (et ce n’est qu’un début…), la partition répartit, en effet, la simplicité en une multiplicité de cellules dont l’unité tient plus du ressassement

  • de segments, tel l’alléluia,
  • de type de jeux ou
  • d’enchaînement de tempi

que des effets de couture et de parataxe ici exclus – prévaut le collage. Sans doute la foi en un dieu unitaire dont il faut contempler la “profondeur des richesses de la sagesse et de la science” subsume-t-elle la dimension rhapsodique de sa traduction musicale, dont il faut a minima goûter l’apaisement final que trouble le bruant jaune et son mi bémol frottant contre le Do, comme si, quand nous croyons avoir saisi quelque chose de l’essence de Dieu, l’hybris nous illusionnait jusqu’à ce que le chant d’un oiseau nous rappelât à l’évidence de notre ignorance superbe, profonde, consubstantielle et désespérante.
Edmond Reuzé prend les rênes de la dernière méditation, “Je suis Celui qui suis”. Là encore, le tempo choisi est pour le moins distendu : aux 9’30 d’Olivier Latry, aux moins de 10′ du compositeur, répondent les 13’07 du jeune organiste passé par Le Mans avant de gagner Saint-Maur – et même la Sorbonne où il est venu se frotter à la musicologie. À lui, donc, la coda du cycle, qui s’ouvre sur une alternance entre triple forte liminaire, silence et chants d’oiseaux – en l’espèce, deux fauvettes aux caractères distincts. Le musicien rend avec soin la différence de caractères

  • (toucher,
  • intensité,
  • place et durée du silence)

et ne gomme pas l’aspect artificiel du crescendo (2’35), lequel témoigne d’une impatience dans l’élévation qu’une mutation plus discrète aurait peut-être estompée. Le retour du motif liminaire précède un trait vif qui laisse deviner la montée d’une tension où la puissance du pédalier dialogue avec la vivacité des claviers.

  • Rugosité de l’harmonie,
  • tonnerre étagé de l’orgue (au sens où il peut déflagrer à toute puissance ou à feu doux),
  • alternance de traits et de quasi clusters

permettent une exploration virtuose  de l’instrument dans sa majesté, sa solennité mais aussi dans sa félinité – même si des félins, avec des oiseaux, bon, disons sa souplesse presque animale.

  • Oppositions et concaténations indifférentes,
  • effets d’écho et de surenchères,
  • déclinaison des nuances forte et récurrences ornithologiques

préparent à leur manière la conclusion en douceur troublée par le dernier chant du bruant jaune. En optant pour des tempi modérés très modérés, Edmond Reuzé choisit donc moins l’élargissement du pas que le contraste avec les parties vives dévolues à la seconde fauvette. De la sorte, il valorise une méditation plus soubresautante que frissonnante, concluant le cycle sur un mouvement aux climats très caractérisés.
De quoi nous préparer, dans l’énigmaticité du concept divin et de l’écriture messiaenique, au dernier grand cycle d’orgue à venir : Le Livre du Saint-Sacrement.


Épisodes précédents
1 – Pièces diverses
2 – L’Ascension
3 – La Nativité
4 – Les Corps glorieux
5 – Messe de la Pentecôte
6 – Le Livre d’orgue
7 – Méditations sur le mystère de la sainte Trinité (1)