
Le wokisme est-il soluble dans la science, et réciproquement ? Si, par wokisme, on entend la tendance
- à fabriquer des communautés (les femmes, les Noirs, les homosexuels…), parfois au corps défendant de ceux qui sont censés s’amalgamer donc se réduire à l’une de leurs caractéristiques,
- à les désigner comme des victimes, et
- à en conclure qu’il faut « déconstruire de façon systémique » le sous-jacent des fondements socioculturels historiques et actuels,
il est inévitable que la science risque d’être contaminée. À titre anecdotique, en témoigne le supplément « Sciences & médecine » du Monde daté du 28 mai 2025, pp. 1, 4 et 5. L’affaire s’y déroule en trois temps, trois mouvements.
D’abord, Pascale Santi y déplore que « le microbiote vaginal » soit « un écosystème trop peu connu » à cause d’un « biais masculin prégnant dans la recherche ». Première victimisation et première tentative de mise en confrontation : les femmes sont délaissées parce que les savants sont des hommes. De même que, pour traduire une femme noire, il faut désormais être une femme noire, de même, semble insinuer la journaliste, pour prendre soin d’une femme, c’est-à-dire comprendre ses problématiques spécifiques et y apporter, si nécessaire, des solutions, il faut être une femme (ce qui relève d’un binarisme pré-woke, mais allons-y step by step).
Ensuite, Pascale Santi note que « ce microbiote essentiel à la santé féminine » a été « trop souvent étudié à travers le prisme limité des pays occidentaux ». Deuxième victimisation et deuxième tentative de mise en confrontation : le savant blanc, structurellement colonialiste, ignore la réalité de la femme, d’une part, mais aussi, d’autre part, de la femme non-occidentale, essentialisée par la journaliste. Par conséquent, ledit savant blanc méprise et maltraite ces personnes doublement stigmatisées (contrairement aux mâles non-occidentaux qui, comme chacun sait, prennent, eux, le plus grand soin des personnes du beau sexe). En l’espèce, pour contrebalancer le biais misogyne et raciste de la science médicale, selon la journaliste, il conviendrait de « dresser une carte plus représentative du microbiote vaginal mondial ».
Enfin, Pascale Santi signale que Samuel Alizon espère « pouvoir réanalyser » des échantillons d’une étude. L’objectif : « Explorer les microbiotes dans la population générale, hors des biais habituels. » Troisième victimisation et troisième tentative de mise en confrontation : la science est biaisée par la domination de mâles blancs non déconstruits ; des mâles blancs doivent donc réécrire ce qui fut posé car, volontairement ou non, les résultats étaient forcément faussés. Mutatis mutandis, c’est à genre de
- convictions,
- postures et
- réactions
qu’est confronté Joseph Ciccolini, professeur de pharmacocinétique (pour ceux qui, comme moi, ignoraient ce domaine, il semble s’agir d’une discipline décrivant le devenir d’un médicament à partir du moment il pénètre dans un organisme). Dans un article sur « l’emprise idéologique en oncologie clinique » remixant un papier de 2023 pour intégrer Face à l’obscurantisme woke, l’ouvrage collectif dirigé par Emmanuelle Hénin et alii (PUF, 2025), l’universitaire-praticien dénonce l’idée que
premièrement, la cancérologie serait une discipline essentiellement raciste tuant volontairement les minorités visibles ou invisibilisées et, deuxièmement, la cancérologie serait une science blanche, patriarcale et furieusement européo-centrée.
Pour conjurer ces accusations de « racisme systémique » grâce à un « ripolinage woke », les gros laboratoires – tels Gilead et Merck – ont déployé des moyens importants à l’aune du clampin quoique epsilonesques à leur aune, afin d’assurer « l’équité dans le traitement sanitaire » des populations et d’en finir avec « les injustices
- systémiques,
- structurelles et
- institutionnalisées
fondées, par exemple, sur
- la race,
- le sexe ou
- l’orientation sexuelle »
en « démontrant l’emprise du patriarcat blanc hétéronormé ». Des thésards ont profité des bourses offertes par ces grosses boîtes, avec un « o » (je sais, mais pas pu m’en empêcher) pour enquêter sur les différences de traitement entre hommes et femmes ou entre Blancs et Noirs, excluant de facto une large partie de la population puisque « le sort des Asiatiques ne donne pas lieu à des financements justifiant qu’on s’y intéresse ».
Le fond de sauce utilisé pour l’exercice s’appuie sur des biais connus : les facteurs de confusion et les phénomènes de colinéarité. Pour nous autres, non-initiés ces termes désignent l’effet ice cream, qui consiste à démontrer, statistiques à l’appui, que « la consommation de glaces en Californie est associée à une prédisposition aux attaques de requins », comme si les requins attaquaient en priorité les nageurs goût pistache ou noix de pécan caramélisées. En réalité, dans l’étude évoquée, « la consommation de glaces atteint un pic lors des journées les plus chaudes de l’année », journées où la probabilité de croiser les dents de la mer est la plus grande… puisque l’on a tendance à aller volontiers faire un plouf.
Joseph Ciccolini plaide donc pour une attention particulière à la multifactorialité, un seul élément de preuve ne pouvant être considéré comme une preuve car il peut représenter un biais. C’est en confrontant différents éléments (par exemple la consommation de glaces, le nombre d’attaques de requins, mais aussi la température, la période de l’année, les habitudes sociales, etc.) que statistiques et probabilités gagnent en pertinence. Inversement, c’est en allégeant la multifactorialité que l’on est susceptible de prouver, avec bonne ou mauvaise foi, le résultat que, par idéologie ou contrat, l’on est payé pour trouver.
Sur la différence de traitement entre Blancs et Noirs aux États-Unis, par exemple, le professeur, sagace, s’agace, et hop : « Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour penser que la minorité noire étant économiquement paupérisée et défavorisée, subit des conséquences dans son accès aux soins. » Selon lui, ce fait n’est pas la conséquence du racisme mais de la pauvreté et de la faiblesse de l’instruction d’une partie des populations noire et hispanique. Selon cette contre-logique, « le patient blanc, sans éducation et pauvre d’une ville sinistrée de l’Illinois, présentera un risque de surmortalité par cancer supérieur à celui d’un patient noir, éduqué et riche vivant à Manhattan ».
Pourtant, adopter le biais woke facilite l’acceptation des articles dans les revues éditées par les principaux acteurs du secteur, type Elsevier ou Wiley. Notons que ces éléments de facilitation ne sont pas spécifiques à la science. Du temps que j’étais universitaire, écrire sur
- les héroïnes féminines et les réécritures féministes des contes (tarte à la crême avariée s’il en est),
- l’importance de l’éducation à l’antiracisme grâce à des fictions transformées en manuels de propagande univoques et tristement stéréotypés, ou alors sur
- l’apport merveilleux
- des enseignants,
- des bibliothécaires ou
- des libraires,
était un point d’entrée bien connu pour des chercheurs en manque de publications. S’y jouaient déjà, toutes choses étant égales par ailleurs, des éléments du « totalitarisme » que Joseph Ciccolini pense avoir repéré dans le domaine de l’oncologie médicale : la volonté, fût-elle mue par cette inclination terrible que sont les bons sentiments,
- d’infiltrer la culture,
- de réécrire l’Histoire,
- de réinventer le langage et, enfin,
- de manipuler la science pour contrôler les esprits et transformer des hypothèses en dogme.
De telles inquiétudes font écho à celles du psychologue Florent Poupart devant l’ultramoralisation de la société. Nous les évoquerons dans une prochaine notule. À suivre !