Blog

Fruits de la vigne – Domaine Striffling, « Le viognier de Guigui » 2023

Photo : Bertrand Ferrier

 

Commercialisé par correspondance à 10 €, donc un peu plus cher chez les dealers version brick and mortar, le « Viognier de Guigui » est un vin de France monocépage  produit par le domaine Striffling. L’entreprise le destine à une « vocation apéritive », peut-être pour partie grâce à sa faible teneur en alcool (à peine 11 %). Vinifié à basse température et élevé dans des cuves en inox, le jus est diffusé à deux mille bouteilles et peut être consommé dans les quatre ans suivant son embouteillage.
La robe du millésime 2023

  • déploie une teinte unie,
  • frisotte autour du jaune clair et
  • semble chercher la juste nuance entre limpidité et chromatisme (avec un « chro », pas un « trau », bien).

Le nez

  • sent le soleil,
  • laisse entrevoir un fond d’herbe coupée puis
  • s’épanouit en fricotant avec les agrumes, quelque part entre sanguine séchée et pamplemousse pas encore tout à fait mûr.

(Oui, je sais, officiellement, c’est plutôt la pêche ou l’abricot qui domine, mais cette notule étant officieuse, elle cherche à partager une expérience, pas à copier-coller un communiqué de presse ou une fiche-produit.)
La bouche

  • offre une amertume délicate,
  • se pare d’un arrière-goût sucré d’une élégance émoustillante, et
  • laisse a posteriori barboter dans les naseaux comme un souvenir de café matinal.

À rebours des suggestions apéritives, notre dealer nous suggère de tester la fiole au cours d’un repas. Moderne comme un canevas qui remplacerait le cerf ou le soleil couchant par un cheeseburger, nous payons donc à la fiole un double mariage. Les asperges vertes grillées au four la chaussent comme un gant. Le plat

  • renforce la douceur du vin,
  • flatte son expressivité et
  • permet de mieux apprécier la longueur en bouche du liquide quand l’explosion gustative des asperges s’atténue.

Dans un second temps, face à des échantillons finement coupés d’une charcuterie italienne très relevée, le viognier

  • calme le feu d’un assaisonnement flamboyant,
  • confronte agréablement sa puissance d’apaisement au piquant du mets, et
  • convainc par son habileté à rendre très stimulante cette sensation oxymorique.

De quoi nous inciter à saluer ce nectar à l’évidence aussi multicartes qu’un VRP motivé. Grâce à lui, le temps d’une gorgée,

 

l’axe de la Terre dérive
et nos mains se rejoignent
soudain nous sommes
la lumière qui a manqué
(extrait de « Sans bord, sans bout du monde » [1995] d’Hélène Orion, in : Un visage appuyé contre le monde et autres poèmes, Gallimard, « Poésie », 2025, p. 132).

 

Fruits de la vigne – Domaine Striffling, « Le chardo de Guigui » 2023

Photo : Bertrand Ferrier

 

Entre Beaujolais-Village et « vin de France à cépage », la carte des blancs du domaine Striffling ne nous est pas tout à fait inconnue : nous avions testé tantôt un chardonnay alors appelé « Les voleurs », du nom de la parcelle. Cette fois, notre dealer préféré nous oriente sur

  • un chardonnay, toujours,
  • by Guillaume Striffling, toujours aussi, mais
  • marketté avec
    • soin,
    • astuce et
    • une certaine élégance

comme « le chardo de Guigui », cuvée 2023 – le vin n’est pas référencé sur le site au jour de notre consultation. Guigui désigne bien le vigneron et non l’héroïne du tube triste écrit par Michel Jonasz en 1978 et porté par le piano de Gabriel Yared, la preuve : c’est Georges Brassens qui est invoqué sur l’étiquette… puisque

 

c’est l’un’ des pires perversions qui soit
que de garder du vin béni par-devers soi.

 

L’enthousiasme avec lequel la quille nous est vendue nous laisse peu de doute sur la qualité du jus mais nous met un coup de pression? Notre appréciation sera-t-elle à la hauteur des louanges tressées par le receleur ?
Dans le verre, la robe apparaît

  • claire,
  • presque cristalline (pas comme le jaja de Guy Roux cependant) et
  • très légèrement dorée.

À l’œil, quoique cette remarque n’ait rien de gratuit (je sais, mais ça passait en répétition, alors, je l’ai gardée), il y a

  • de la finesse dans la couleur,
  • de la discrétion dans le liquide, et
  • de la modestie confinant presque à la coquetterie.

Le nez est

  • délicat,
  • comme saupoudré d’une pincée d’herbes aromatiques, et
  • dégageant une nette prédominance de fraise.

Oui, de fraise. Même moi, j’ai trouvé ça curieux, mais j’assume, je signe et je le remets : de fraise, une prédominance de fraise. Vous pouvez appeler l’HP, faites-vous plaise, en plus, ça rime, moi, je m’en fiche, je maintiens avoir détecté une prédominance de fraise. Partant, n’insistez pas, vous ne me ferez pas changer une virgule dans cette conviction de prédominance de fraise que je ponctue d’un point bar(re).
Non mais, c’est dingue, ça ! Bien, et maintenant, si les contradicteurs et les moqueurs se sont tus, je poursuis.
La bouche est à la fois

  • compacte et fraîche (pas fraise, cette fois-ci : fraîche),
  • claire et insouciante,
  • précise et – on y revient, rassurez-vous – marquée par cette idée de fraise qui, plutôt que de se prolonger en bouche, vient grattouiller l’intérieur de nos naseaux avec originalité.

(Je précise que les notes de dégustation sont prises lors des premiers contacts avec les produits. L’alcool – 12° présentement – ne joue donc aucun rôle sur les phrases ici rassemblées. C’est peut-être encore plus inquiétant, mais c’est ainsi.)
Le mariage avec un poulet

  • à la crème,
  • au thym et
  • au laurier,

servi avec, bien sûr, des patates sachant être autant fermes que fondantes, réussit au vin, dont l’absence de rugosité accompagne le plat sans chercher à le chicoter. Point de fight entre les saveurs et les odeurs de l’un et de l’autre. Entre mets et vin règne plutôt une sorte d’entente

  • cordiale,
  • aguicheuse et même
  • réconfortante

telle « une neige recouverte de neige », selon l’expression d’Hélène Dorion décrivant

 

une ville entre ciel et terre (…) comme un drap soulevé, une neige recouverte de neige (Un visage appuyé contre le monde et autres poèmes, Gallimard, « Poésie », 2025, p. 167).

 

J’en conviens, parler de neige après avoir utilisé le mot dealer risque de déclencher une descente de képis dans l’échoppe de Thierry Welschinger, mais j’aurai fait ce que j’ai pu pour ne pas rouler le susnommé caviste dans la farine. Bref, on peut laisser courir le bruit comme une traînée de poudre blanche, « le chardo de Guigui », « ça ravigote, ça ragaillardit », selon la formule de Jean Dubois, parce que, comme nous disons, nous autres œnologues spécialistes et experts, voire spécialistes de notre expertise et réciproquement, c’est bon.

 

Fruits de la vigne – Segna de Cor 2021 du domaine Roc des anges

Photo : Bertrand Ferrier

 

Jadis confiné dans 10 hectares, le Roc des Anges s’étend désormais sur une surface quatre fois plus grande, signe d’un succès impressionnant dans une région aussi concurrentielle que le Roussillon. La cuvée Segna de Cor, anagramme (approximatif) du nom du domaine, est l’entrée de gamme de ses rouges – à environ 19 € l’entrée, tout de même. Sous l’appellation Côtes catalanes, le vin revendique l’usage de raisins issus de jeunes vignes de carignan, assemblées à des fruits tirés de deux ou trois autres cépages : carignan, syrah, voire cinsault. C’est une quille de ce jus qui s’est tantôt retrouvée sur notre table pour affronter un couscous maison.
La robe associe trois qualités affriolantes :

  • densité aguicheuse,
  • profondeur mystérieuse, et
  • obscurité gourmande.

Le nez laisse imaginer

  • une compotée incluant du cassis,
  • des notes d’herbes aromatiques fermement ancrées dans le sol,
  • ainsi qu’une tension mêlant la rugosité et l’aspiration à l’élévation.

La bouche se révèle

  • moins explosive qu’attendu,
  • plus longue en nez qu’au palais,
  • assez ferme pour éviter l’astringence et assumer une simplicité sans chichi mais habillée de fruits rouges.

Le mariage avec le couscous conduit le vin à affirmer

  • son équilibre face à la tonicité des épices,
  • sa rectitude face à la douceur des légumes, et
  • sa singularité face à des saveurs familières.

Parfait pour accompagner un moment convivial évoquant le cri de la « Rotonde bleue » que l’on peut écouter dans Averno [2006] de Louise Glück (L’Iris sauvage…, trad. Marie Olivier [2022], Gallimard, « Poésie », 2023, p. 385) :

 

J’en ai assez de l’humain
dit-elle
Je veux vivre sur le soleil

 

Fruits de la vigne – Segna de Cor 2021 du domaine Roc des anges

Photo : Bertrand Ferrier

 

Jadis confiné dans 10 hectares, le Roc des Anges s’étend désormais sur une surface quatre fois plus grande, signe d’un succès impressionnant dans une région aussi concurrentielle que le Roussillon. La cuvée Segna de Cor, anagramme (approximatif) du nom du domaine, est l’entrée de gamme de ses rouges – à environ 19 € l’entrée, tout de même. Sous l’appellation Côtes catalanes, le vin revendique l’usage de raisins issus de jeunes vignes de carignan, assemblées à des fruits tirés de deux ou trois autres cépages : carignan, syrah, voire cinsault. C’est une quille de ce jus qui s’est tantôt retrouvée sur notre table pour affronter un couscous maison.
La robe associe trois qualités affriolantes :

  • densité aguicheuse,
  • profondeur mystérieuse, et
  • obscurité gourmande.

Le nez laisse imaginer

  • une compotée incluant du cassis,
  • des notes d’herbes aromatiques fermement ancrées dans le sol,
  • ainsi qu’une tension mêlant la rugosité et l’aspiration à l’élévation.

La bouche se révèle

  • moins explosive qu’attendu,
  • plus longue en nez qu’au palais,
  • assez ferme pour éviter l’astringence et assumer une simplicité sans chichi mais habillée de fruits rouges.

Le mariage avec le couscous conduit le vin à affirmer

  • son équilibre face à la tonicité des épices,
  • sa rectitude face à la douceur des légumes, et
  • sa singularité face à des saveurs familières.

Parfait pour accompagner un moment convivial évoquant le cri de la « Rotonde bleue » que l’on peut écouter dans Averno [2006] de Louise Glück (L’Iris sauvage…, trad. Marie Olivier [2022], Gallimard, « Poésie », 2023, p. 385) :

 

J’en ai assez de l’humain
dit-elle
Je veux vivre sur le soleil

 

Fruits de la vigne – À côté 2022 du domaine Charvin

Photo : Bertrand Ferrier

 

Connu pour ses châteauneuf-du-pape, le domaine de Laurent Charvin produit aussi des vins d’appellation moins prestigieuses. On suppose que, parce que ses parcelles ressortissant de l’IGP d’Orange jouxtent ou quasi les vedettes maison, il a brandé le vin que nous allons goûter – disponible sur Internet pour 10 € hors frais de port – sous la marque « À côté » (ou sera-ce parce que, avec du merlot inside, le jus passe à côté de la plaque ou des chartes en vigueur pour telle appellation plus froufoutante ?).

  • La solide teneur en alcool, alors que tant de vignerons cherchent le 12,5° pour ne point effaroucher les vierges ayant la dalle en pente précautionneuse,
  • la réputation de l’agriculteur, engagé dans une production moins chargée en pschitt-pschitteries que certains malins de l’agro-industrie, et même
  • l’étiquette travaillée mais plus rustique qu’enfarinée dans une élégance design qui fleurerait mauvais le vélocipédiste parisien arborant
    • casque très cher mais faussement vintage,
    • réflecteurs aux normes européennes sur un gilet pas jaune floqué #jerespectelaloietlesfdoetvous?, et
    • sentiment d’être gravement victime de stigmatisation rappelant les pires heures nauséabondes de notre Histoire quand un simple piéton, plouc par excellence puisqu’il n’est pas même doté d’une trottinette électrique alors qu’on en trouve de très bien pour moins de deux mille euros, l’invite à aller se faire bien emphysiquer – sauf s’il aime ça – en lui refusant la priorité sur un trottoir alors qu’il est père de famille et qu’il a voté pour chaque élection depuis ses dix-huit ans – sauf une fois, d’accord, ça va, on boit une tisane au miel du Tibet et on arrête le caca nerveux – parce qu’il était en voyage d’intégration à Courche (c’est dingue, quand même, les ennemis de la mobilité douce alors que
      • le réchauffement climatique,
      • la difficulté de trouver une forêt dans Paris pour enlacer des arbres afin de se reconnecter à son moi naturel et, surtout,
      • l’antimacronisme primaire, populiste, facho-complotiste et déconnecté de la réalité des entreprises créant de l’emploi, cette tare française encouragée par l’extrême-gauche et qui met en fragilité le logiciel de la République, puisse Manuel Valls, grand serviteur de l’État et de la Catalogne et d’Israël, merde, s’il en est, y mettre un terme),

inspirent plutôt confiance, d’autant que la quille est conseillée par le presque petit jeune du duo de Mes accords mets vins, repère qui nous sert de dealer pour les occasions belles ou, simplement, joyeuses, ce qui n’est ni contradictoire, ni si pire, on en conviendra.
La robe du vin non filtré (on connaît le grrrrand débat entre autoproclamés spécialistes experts sachants sur « le risque » de ce non-filtrage) est

  • souple voire mouvante,
  • spectrale (au sens où elle n’est certes pas uniforme – idéal pour ceux qui, mauvais citoyens ou zozos instruits par l’expérience, n’ont pas un amour spontané pour le costume unique) et
  • ouverte, allant du rose type cerise au sirop jusqu’au grenat intense en fond de puits.

Le nez est

  • franc,
  • costaud et
  • intrigant.

On croit y déceler, pêle-mêle,

  • du café,
  • de la terre,
  • un zeste de fruit rouge (cassis ? fraise ?) et
  • une pincée de cannelle – mélange étrange et réussi.

La bouche est

  • puissante sans être rugueuse,
  • joyeusement amère sans être grinçante,
  • à la lisière d’une astringence audacieuse, dans une première approche, sans toutefois s’y complaire.

Le mariage avec une ballotine de faisan pistachée, eh oui, est une comédie en trois actes.

  • Acte I : la douceur du mets met (haha) en valeur la robustesse du vin.
  • Acte II : les saveurs liquides et solides semblent se révéler au contact les unes des autres.
  • Acte III : comme il arrive entre gens de bonne compagnie, l’harmonie se construit par le dialogue. Les résonances du vin s’amplifient quand on sirote une lichette après avoir grignoté un bout. À l’inverse, manger après avoir suçoté une larme du nectar
    • souligne les finesses du plat,
    • rehausse sa sapidité et
    • sertit la pistache qui s’y lovait.

Comme disent les poètes que nous aimons citer en fin de critique viticole : « Super. » Bah, s’ils ne le disent pas, en la circonstance, ils devraient.

 

Fruits de la vigne – Sauvignon gris 2023 par les frères Paquereau

Photo : Bertrand Ferrier

 

14 variétés de raisins, 26 cuvées différentes et des étiquettes parfois plus design que claires pouvant nous inviter à nous arracher un œil (quand on n’a pas la réf, il est heureux de trouver curieuse une telle invitation) : aux mains de Cyrille et Sylvain Paquereau, le domaine de l’Épinay – qui, ô surprise ! a perdu son accent (alors que le « à » de « À la nantaise » s’est bien accroché au sien), désormais une vilaine habitude sur les étiquettes de bouteille – revendique sa créativité. Ici à l’honneur, le fié gris est cultivé en « biologique » et délivre en 2023 un jus affichant 12,5° au compteur.
La robe arbore une teinte très légère,

  • plus claire que crème,
  • plus crème que jaune et, on y revient,
  • plus translucide que crème.

Le nez, très doux, se révèle

  • équilibré,
  • constant et
  • légèrement agrumé, entre clémentine et pamplemousse.

La bouche est surprenante.

  • Son attaque est délicate mais présente ;
  • sa consistance frisotte un enrobé presque beurré ; et
  • sa persistance est notable avec une belle résonance dans les naseaux.

Le mariage avec un œuf mollet accompagné d’une purée de homard et de quelque crevette (trop rare, hélas, comme toujours) est particulièrement réussi.

  • La rectitude du vin se révèle plus nettement devant la rondeur du plat ;
  • la pointe acidulée du nectar dialogue joyeusement avec l’ambiance plutôt sucrée du mets ; et
  • le beurre de la cuvée propose un liant propice au mélange des saveurs.

Un chouette moment, comme eût dit le petit Nicolas en espérant, plus tard, devenir multicaviste.

 

Fruits de la vigne – Le vieux mûrier 2022

Photo : Bertrand Ferrier

 

Trop souvent, la dichotomie aristotélicienne suffit à comprendre le monde. Par exemple, l’on peut distinguer sans coup férir

  • le bon grain de l’ivraie,
  • les macronocompatibles des gens fréquentables, et
  • ceux qui aiment ce site des butors.

Heureusement, il arrive que la réalité se dérobe au rythme binaire de la partition et oppose au beat disco une oscillation plus stimulante pour la boîte à neurones qui est censée couronner notre corporéité. Ainsi de ce crozes-hermitage conçu par Florian Buit, qui

  • s’est occupé des vignes,
  • a supervisé les vendanges mais
  • n’a pas embouteillé lui-même ce vin de prestige.

Et pour cause : en attendant la construction d’un chais perso, son jus est hébergé dans la cave de Jean-Louis Chave, mentor et voisin dudit Florian. Or, cette opération, d’apparence anodine, s’accompagne, sinon d’une transsubstantation, du moins d’un changement de nature : le vin de récoltant devient vin de négociant.
La nouvelle terminologie est a priori moins prisée des fines bouches car le statut de négociant permet aux aigrefins de tripatouiller fonds de cuve et invendus pour créer une vinasse presque aussi honnête qu’un gouvernement associant une ministre de la transition écologique à une ministre de l’agriculture se démenant pour développer tout azimut des intrants phytosanitaires (quel dommage que cette dangereuse fumisterie barniérique ait été victime d’une motion de censure !). Cependant, et nous l’avons constaté dans cette rubrique, la prévention que la dénomination de « vin de négociant » entraîne est parfois totalement injustifiée. Il arrive fréquemment que tel vin de négociant bien intentionné ne se révèle pas moins sapide et singulier que certains de ses concurrents, compères et collègues aux étiquettes plus prisées.
L’étiquette est d’ailleurs le point faible de la bouteille, en dépit de sa sobriété élégante. En effet, le cinquième millésime du « Vieux mûrier » a oublié son accent circonflexe. Partant, il remet un coin dans notre juke-box inauguré tantôt : comment peut-on faire des trucs aussi compliqués qu’un vin et omettre de faire relire son étiquette par des gens qui,

  • nuls en fermentation alcoolique ou malolactique,
  • incompétents en piégeage ou soutirage,
  • démunis face à tout projet d’éraflage ou d’entonnage,

sauraient néanmoins éviter cette cagade pour, finalement, pas super cher ? Certes, l’essentiel est ailleurs, comme on disait dans le Sentier, et un petit chapeau pointu n’est peut-être qu’un détail ; ce nonobstant, pour reprendre l’analyse de Muriel Robin quand elle était chef de chantier plutôt que

  • collectionneuse de subventions publiques,
  • pleurnicheuse en chef,
  • madone grassement rémunérée des causes consensuelles, et
  • lâcheuse d’élite sortie première nommée d’une promotion où, pourtant, la concurrence était féroce,

« votre chemise a des boutons, c’est un détail, mais avouez que, pour la fermer, c’est quand même plus pratique ». Enfin, donc, après ces considérations de dénomination et d’orthographe, apparaît le vin, un monocépage à la gloire de la syrah. Sa robe est marquée par

  • l’unité,
  • la densité et
  • l’opacité

du produit. Peu d’éclats rougeoyants. À la place, une belle densité qui augure d’un vin solide et charpenté. Le nez confirme ces auspices. On note

  • sa puissance,
  • ses notes de fruit confit et
  • sa finale de girofle

qui ajoute à la fermeté une petite pirouette à la fois gracieuse et appétissante. La bouche étonne. Partant sur une légèreté où le fruit semble se dissimuler derrière le gingembre, elle revendique

  • moins la rondeur chromatique qu’un à-plat de couleurs,
  • moins l’étagement des saveurs que leur confrontation synchronique, et
  • moins l’explosivité propre à certains monocépages syrah qu’une forme de stabilité gustative se prolongeant en fade out.

Peut-être la dégustation est-elle perturbée (ou rendue spécifique) par certaines interférences. D’une part, il est évidemment envisageable que la quille aurait gagné à rester en cave quelques années de plus, d’où la sensation d’un potentiel profond associé à une linéarité gustative, au lieu de la perspective 3 voire 4D que l’on attendait. C’est entendu, mais l’impatience, si elle peut être saccage, est aussi hommage à la désirabilité des bouteilles ! D’autre part, son association avec de délicieuses pâtes fraîches au foie gras – merci à la maison qui, ce soir-là, n’avait reculé devant presque aucun sacrifice – n’est sans doute pas la plus immédiatement attendue. Pour autant, en bousculant les us et coutumes des logiques feutrées présidant aux accords mets et vins, elle souligne le charme d’un vin – généralement commercialisé aux alentours de 25 €, compter 5 € de plus chez les heureux cavistes qui ont obtenu un quota de cette cuvée annoncée comme confidentielle – qui sait être

  • soyeux,
  • ferme et
  • assez direct pour s’adapter au palais du curieux sans perdre son identité.

De la sorte, la création de Florian Buit ajoute du mystère au plaisir et évoque, à son corps défendant mais le siroteur a le droit de résonner (oui, avec un « é ») comme juste lui semble, cette confession d’Alicia Galienne :

 

Plus je me regarde dans cette eau lourde et profonde,
Plus la nuit se masque et va rejoindre le jour.
(« Les nocturnes », in : L’Autre moitié du songe m’appartient, Gallimard, « Poésie », 2020, p. 69.)

 

Bonnes nuits diurnes à tous, et belle joie aux patients pas malades qui dégusteront le jus quand il aura atteint maturité !

 

Fruits de la vigne – L’angelique 2023 du domaine Metrat

Photo : Bertrand Ferrier

 

Faute d’être référencé parmi les vins listés sur le site officiel du domaine, ce beaujolais gardera une partie de son mystère : pourquoi un tel branding ? et, surtout, question éminemment essentielle en œnologie appliquée aux étiquettes, où diable est passé l’accent de « L’Angelique » ? Sera-ce que la police – de caractère, voyons – ne l’autorisait point, comme pourrait le laisser supputer ce que nous avons découvert et que nous révélons en exclusivité (ô, teasing, quand nous tiens !) dans la conclusion mercantile de cette notule ? Quel sens accorder à cette marque et à sa spécificité – ou, devrait-on dire, à sa specificite ?
Notons qu’il n’y a pas moins de suspense sur l’appellation d’IGP comtés rhodaniens, laquelle, apprend-on, est assez généreuse pour s’étendre sur neuf départements et même s’appliquer, « après dégustation », à des appellations moins connues en quête d’une étiquette plus bankable ou, a minima, mieux référencée. En revanche, comme qu’on dit dans le franglais qu’il sent bon le spécialiste de l’expertise, le thrill sur le domaine Metrat lui-même est moindre. Célébré pour ses Fleurie, « à la limite des Moulin-à-vent » précise le vigneron, il revendique une pratique « raisonnée », id est pas bio mais limitant les intrants chimiques grâce, notamment, au recours au purin de prèles, d’orties et de consoudes. Quel résultat cette bonne impulsion donne-t-elle à la cuvée 2023 de son chardonnay ?
La robe, affriolante, arbore un jaune délicat. Elle nous apparaît

  • unie,
  • claire et
  • lumineuse.

Le nez assume crânement – oui, porté par une bonne vieille licence poétique des familles, un nez peut assumer crânement alors qu’il peine en général à assommer en tapant sur le crâne – son rôle de mise en appétit. Il allie des caractéristiques qui, c’est curieux, dépasse le champ de l’odorat. Il

  • évoque la fraîcheur de l’agrume,
  • laisse deviner un équilibre tranquille et
  • suggère la gourmandise de l’amertume.

La bouche confirme sans coup férir la singularité du jus. Selon nos papilles, elle associe

  • le charme du beurré,
  • la pétillance d’une pointe citronnée et
  • la chaleur confortable d’un vin bien construit.

Bref, que les dalle-en-pente qui tentent néanmoins de se respecter ne se laissent point effrayer par les deux caractéristiques principales du flacon. Certes, les vins du domaine Metrat sont des beaujolais, mais ils n’émargent pas dans la catégorie des produits sans vergogne chéris (de moins en moins, alléluia !) par

  • les Asiatiques,
  • les buveurs à prétexte et
  • les individus souhaitant se la jouer à la fois bobos et canaille en sirotant, enveloppés par le brouhaha réconfortant d’un troquet « resté dans son jus » un millésime frais, plus framboise que banane cette année, un béret DeLuxe posé sur le crâne et un sourire entre tindérique et instagramable aux lèvres.

Certes itou, le chardonnay est un cépage synonyme, dans la grande distribution, de rince-glotte passe-partout, assez écœurant parfois pour faire préférer un vin rouge léger au moment de déguster un plat à blanc. Loin de ces deux grands topoi qui ne relèvent pas toujours de la caricature, hélas, le vin de Bernard Metrat s’avance avec

  • cohérence,
  • savoir-faire et
  • personnalité.

À noter que le domaine commercialise « L’angélique » avec un accent, shocking! Voilà qui confirmerait le problème de police subodoré en introduction… Prix, accent compris : 9 € la bouteille plus frais de port. Les Parisiens peuvent, eux, s’approvisionner chez notre dealer contre 13,5 € la quille qui, comme l’écrivait Stéphane Mallarmé au couple Manet, en 1888, « met gentiment aux camélias des perruques » (« Dédicaces, autographes et envois divers » in : Poésies, Gallimard, « Poésie », 1945, rééd. 1970, p. 137). Comme quoi, le monde en général et le langage en particulier sont souvent mystérieux – la faute, notamment, à

  • ses accents,
  • ses fleurs et
  • ses nectars.

 

Fruits de la vigne – Pinot d’Alsace 2021 de Laurent Barth

Photo : Bertrand Ferrier

 

Notre dealer nous a averti : dans cette chronique,

  • pas de vagues,
  • pas de piques,
  • pas de wouououh.

Drôle de coup de pression, qui a en général l’effet inverse sur nous car, oui, nous sommes taquin, nous sommes taquin, c’est ainsi. Sauf que Laurent Barth a beau s’être imposé comme une référence dans son Alsace d’origine et bien au-delà, il est réputé pour être d’une grande sensibilité avec un penchant sporadique pour le doute. « Si tu n’aimes pas, nous a-t-on encore supplié, n’écris rien, d’accord ? » Comme on est du genre à cumplir pactos cuando son entre caballeros, le suspense sur la tonalité générale de cette chronique risque d’être limité. Tant mieux : plus le projet paraît complexe, plus il est excitant de chercher à retenir l’attention des curieux qui nous font l’amitié de venir fureter sur cette page.
Précisons donc d’emblée que le présent flacon est signé par un vigneron-producteur-négociant (ici négociant) qui semble être un drôle de coco. Il a bourlingué à travers le monde avant de reprendre le domaine familial à la mort de son père. Il cultive en bio, tâte d’engrais « boostés par la biodynamie » et ne le revendique pas sur ses bouteilles avec force étiquettes puputes et vertes. Sur ce vin, il évite le piège contre lequel nous nous escagassons parfois du branding inutile consistant à donner un nom catchy à des bouteilles (« Il fait soif » en est toutefois un exemple amusant), pratique commerciale devenue quasi systématique alors que son apport pour les gourmands est nul et non avenu. En revanche, l’individu est capable de nommer ses vins selon le numéro pas sexy de leur parcelle ; et, sur chaque étiquette, est imprimé « l’esprit du vin » dans moult langues, dont le géorgien et le marathi – pour plus de détails, un portrait séducteur de l’artisan est disponible par exemple ici. Bref, désolé d’employer une terminologie particulièrement précise et experte, oui, nous n’en pouvons mais, le bonhomme semble bel et bien être un drôle de coco. Quid de son vin ?
Affiché sur certains sites comme métissant pinot auxerrois (un cépage lorrain, comme son nom l’indique) pour 80 % et pinot noir pour le solde, le vin froufoute dans une robe tout à fait seyante, tout à fait accorte, tout à fait appétissante. Sa teinte dominante domine peu : le jaune est ici très clair, presque diaphane, d’une élégance confinant à la modestie.
Le nez séduit immédiatement. Nous nous laissons enivrer par des harmoniques d’agrumes et peut-être de cannelle, là où les vrais experts décèlent fruits blancs rôtis et fruits rouges, c’est dire si l’imagination de nos naseaux est fertile. Le résultat est

  • fin mais présent,
  • délicat mais affirmé,
  • subtil mais franc.

La bouche saisit. Se déploient des caractéristiques multiples et, pour certaines, délicieusement contradictoires. L’on est

  • scotché par une amertume hypnotisante,
  • ému par une délicatesse d’une grande sensualité,
  • effleuré par une légèreté qui semble effacer un instant la pesanteur boueuse nous liant au tellurique et au mondain,
  • capté dans un tourbillon voire in a mosh, là où l’on est tellement ébaubi qu’essayer de raisonner est like clapping with one hand,
  • happé par une résonance qui ne cesse de transformer le goût en paillettes multiples et changeantes – objection, Votre Honneur, je précise et stipule que, notez, greffier, quand j’ai pris ces notes, je n’avais gobé d’autre produit qu’une gorgée de pinot d’Alsace.

Le mariage avec manière de raclette fonctionne du tonnerre de Zeus.

  • La confrontation avec la chair ferme des patates et le délicieux fromage fondu révèle un écho pamplemousse
    • inattendu,
    • jonaszien et ce nonobstant
    • savoureux,
  • la rencontre avec les jambons rehausse l’intensité du propos, et
  • la friction avec le projet solide valorise la petite pointe d’acidité qui corse habilement l’équilibre du nectar.

Bref, c’est super bon. Comme ça, Pierre-Benoît Pérard devrait conserver ses allocations de boutanches en provenance du domaine, et l’impatientant chanteur de Perpignan, pourtant pas le premier à taper dans la dive (il le revendique), peut fermer sa grande mouille : malgré l’ambiance délétère et les grondements politiques hors de contrôle, peut-être c’est déjà maintenant, le bonheur. Courons-y vite, il va filer !

 

Fruits de la vigne – Il fait soif 2021

Photo : Bertrand Ferrier

 

À ce qui se fredonne, derrière chez moi, y a-t-un étang, où le fils du roi s’en va chassant. Derrière les vignes de Michèle Aubery Laurent, y a-t-un viticulteur qui, depuis 18 ans, fournit après vendange une partie de ses raisins à Maxime-François Laurent, le fils de la vigneronne, négociant qui revendique de travailler à partir d’un vignoble « cultivé sans chimie, dans le respect du vivant », avec néanmoins un sulfitage post-fermentation réputé indispensable. Parmi ses créations markettées avec soin, une bouteille d’« Il fait soif » 2021 se retrouve sur notre table. Issu de jeunes vignes, le jus associe 70 % de grenache à 20 % de syrah et 10 % de cinsault (même si certains sites l’annoncent uniquement grenache en monocépage).
Sa robe est encore

  • plus compacte que dense,
  • plus sombre que sanguine, mais également
  • davantage parcourue d’éclats de morelles que confite dans une obscurité rabat-joie.

Son nez se mérite. Il tire de cette discrétion

  • une légèreté agréablement frivole,
  • une oscillation de possibles (cassis ? groseille ? quelles épices ?) joyeusement mystérieuse, et
  • une tendance plutôt conviviale dont émerge curieusement une idée de sucré – laquelle, évoquant une saveur, ne ressortit pourtant de l’olfactif que par association.

Côté bouche, d’inquiétants signes d’astringence et des pétillements font froncer les sourcils dans une première approche. C’est sans doute signe que la bouteille, même si elle aspire explicitement au statut de « vin de convivialité » plus qu’au statut de grand cru, eût dû être ouverte plus tôt. Petit à petit, ses qualités se dévoilent.

  • On retrouve la légèreté du nez, avec des notes épicées, entre cannelle et poivre, qui arrivent a posteriori dans le pif ;
  • on salue le concentré de fruits rouges moins compotés que densifiés à maturité ; et
  • l’on apprécie cette étrange petite note d’agrume qui, à bien y goûter, paraît pointer le bout de sa surprise sur le bout de la langue.

Le mariage avec une pizza tomatée est une bonne surprise car le plat léger fait ressortir une douce amertume qui pimpe joliment le breuvage. Son prix de 16 € constaté aux Galeries Lafayette de Paris et sur des boutiques digitales peut paraître un chouïa surcoté – preuve que, avec constance,

 

nous nous heurtons à ce qui est.
Nous appelons cela connaître.
Nous allons à nos fins sans savoir avec zèle.
Nous appelons notre folie savoir.
Nous pensons en cela échapper.
(Jean-Paul Michel, « Nos ennemis dessinent notre visage » [1997-1998], in : Défends-toi, Beauté violente…, Gallimard, « Poésie », 2019, p. 311)

 

Mais à quoi peut-on échapper quand il fait soif ?