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Fruits de la vigne – Domaine Striffling, « Le gamay de Guigui » 2023

Photo : Bertrand Ferrier

 

Un beaujolais-villages de 2023, titrant 12° : voilà comment l’on pourrait résumer le « gamay de Guigui », un produit du domaine Striffling dont nous évoquâmes tantôt

Si, sans pratique, le don n’est rien qu’une sale manie, il est assez certain que, sans manie, le don n’est rien qu’une simple pratique. Or, autant certains se passionnent pour la collection de cornflakes, passent leur temps à crapahuter sur des sentiers impraticables ou s’échinent à recenser les pires kebabs de Paris, autant Guillaume Striffling, aka Guigui, s’est spécialisé sur le monocépagisme, ce qui n’est pas la maladie professionnelle du vigneron la plus répandue. Cette stratégie lui permet de proposer, selon ses gammes moins musicales que commerciales, un travail désormais réputé à des prix titillant parfois le monochiffrage. Par exemple, sur le gamay qui nous intéresse aujourd’hui, on peut dénicher des offres par correspondance à 10 € la quille, hors frais d’envoi ; chez les revendeurs parisiens en chair et en verre comme Mes accords mets vins, il faudra compter une bonne margeounette de plus. Pour quel résultat ? Un produit à la robe miroitante :

  • groseille sur les bords,
  • elle se densifie peu à peu pour prendre
  • une teinte griotte en son centre.

Ainsi rend-elle raison de ce que l’on attend d’un produit de ce type : de la franchise et une certaine légèreté frisottant l’insouciance, et hop, qui font que, comme pour un « nègre tempête », soudain, il y a des griffes qui poussent et font « sauter [nos] ténèbres en mille matins de lions » (René Depestre, Journal d’un animal marin, Gallimard [1990], « Poésie », 2024, p. 57). Le nez paraît typique du gamay bien travaillé. Il

  • est discret,
  • se laisse découvrir et
  • cultive l’ambiguïté sur le temps long, entre
    • cuir,
    • épices et
    • cassis.

Le flairer incite au lâcher-prise, à ces moments où, en pleine polémique de long repas de samedi soir, on lâche, façon Robert Desnos ouvrant « comme une main à l’instant de la mort » (in : Corps et biens [1930], Gallimard, « Poésie » [1968], 2010, p. 121) :

 

vraiment, c’est tellement inutile,
toi et moi nous mourrons bientôt.

 

La bouche étonne.

  • L’attaque assume une certaine amertume ; puis
  • une sensation de fraîcheur remonte aux naseaux,
  • dessinant les contours d’un vin direct et franc du collier.

Le mariage avec des tagliatelles fraîches au foie gras (olé !) ne dévoile pas davantage de rondeur mais propose une nouvelle lecture, plus dynamique. Le jus aiguillonne la générosité du foie gras qui, en échange, souligne les aspérités savoureuses d’accents fruités qui se révèlent. Fort adéquat pour « apaiser les oiseaux sauvages dans son sang », selon l’expression d’Aksina Mikhaylova (in : Ciel à perdre, trad. A.M. et Dostena Lavergne, Gallimard [2014], 2021, p. 53) !

Fruits de la vigne – On dirait le Sud 2024

Photo : Bertrand Ferrier

 

Petit souvenir de l’été qui s’éloigne à pas de velours, cette chronique rosée interroge quelques clichés bien installés. Trois clichés, en fait.
Cliché numéro un : le rosé, c’est pour l’été – y a de cette tradition, mais pourquoi ne pas la bousculer ? Cliché numéro deux : la syrah c’est le meilleur cépage pour les rouges – les rosés étant élaborés à partir des cépages rouges, on peut les fomenter par exemple à base de cinsault, de grenache noir, de merlot, de divers cabernets, et, donc, de syrah. Travaillant le chardonnay, le chenin et le pinot noir, le domaine du Clos Teisseire, situé entre Limoux et Carcassonne comme nous l’avions évoqué ici, ajoute un vin à son arc avec ce jus intitulé « On dirait le Sud ».
Ceux qui feuillettent nos chroniques vaguement œnologiques connaissent notre agacement pour ce naming qui, censé distinguer les vins de leurs concurrents, tend à les banaliser et, paradoxalement, à les dépersonnaliser. L’étiquette très colorée – et très complète – de ce produit ne saurait gommer le systématisme d’un marketing se mordant souvent la queue. Ainsi, d’autres rosés « On dirait le Sud » existent, tel l’AOP Côtes du Roussillon du domaine de Vénus, mêlant à parts égales grenache et syrah et disponible par correspondance pour 12 € la quille, ou d’un coteaux d’Aix-en-Province affiché « ethic » et parfois disponible pour une vingtaine d’euros. Se singulariser conduit parfois à se fondre dans la masse… Mais baste, cessons d’inquiéter ceux qui redoutent que nous ayons déjà perdu l’usage de la numération. Nous avions promis d’interroger trois clichés, voici le temps de régler son compte au troisième que, non, nous n’avons pas oublié.
Cliché numéro trois, donc : le vin est une affaire de vignerons mâles – de nombreuses vigneronnes jouent au contraire sur la déconstruction de ce stéréotype pour surfer sur une vague porteuse, prouvant qu’elles-mêmes savent « vinifiller ». L’IGP qui nous intéresse ce jour est signé par Lætitia Teisseire, loin de l’image du beau sexe selon Paul Claudel, qui faisait déclarer à Marthe, dans le dernier monologue de L’Échange (première version de 1901) :

 

… et il est juste et bon qu’il n’en ait pas été selon ce que j’aurais voulu.
Ce n’est pas à moi de savoir pourquoi, car je suis une simple femme, et je n’ai affaire que d’obéir.
Nous ne voyons pas Dieu ; mais nous voyons l’homme qui est l’image de Dieu.
(Gallimard, « Folioplus classiques », 2012, pp. 116-117).

 

Et si non pas l’homme mais le vigneron, quel que soit son sexe, était l’image de Dieu, ce qui ne choquerait pas une certaine iconographie tant romaine que catholique ? Pour cela, encore faut-il qu’il produise un nectar plus proche de l’eau transformée en vin que de la vinasse offerte en première intention aux soiffards de Cana. Occasion de tester cette hypothèse, le « rosé de Syrah » du domaine Teisseire est issu de raisins élevés sur un sol argilo-calcaire et vendangé à la main à Rouffiac d’Aude.

  • Sa robe est claire ;
  • la couleur oscille entre peau de pêche et pamplemousse rosé ;
  • le tissu liquide frappe par sa cohérence.

À peine le temps de contempler l’travail que les naseaux frémissent, gourmands.

  • Le nez promet discrétion et fraîcheur ;
  • affleurent des notes de fruit sucré, peut-être de pêche ;
  • le résultat paraît confortable comme la chanson d’un bouchon qui saute, offrant ses harmoniques prometteuses à une conversation chaleureuse entre vieux amis.

L’affaire se présente donc sous de bons auspices, même loin de Beaune (j’essaye de ne pas mais, voilà, je réussis pas toujours). Qu’en dira la bouche ?

  • La bouche se dérobe à la mollesse de la pêche pour évoquer davantage le fredonnement acidulé des agrumes ;
  • dans un deuxième temps, elle enrichit cette première sensation en l’enrubannant dans un rêve de fruits rouges ; et,
  • dans un troisième temps, forte de cette profondeur, l’impression d’équilibre bien construit qu’elle dégage fait écho à l’impression visuelle de cohérence croisée plus tôt.

Ceux qu’un rosé, genre vinicole presque autant gavé de propositions dégueulasses que le blanc (oh, le blanc de supermarché du samedi soir ! oh !) et le rouge, effraye peuvent réfréner leurs craintes et se risquer dans ces eaux avec gourmandise : la chose est bien faite (et disponible à Paris par exemple chez Mes accords mets vins, sponsor du présent post – sur son site officiel, le domaine qui produit la quille ne référence pas encore le produit).
Ceux que les rosés audacieux, touchy ou coruscants, et hop, titillent trouveront sans doute que ce bon travail manque d’audace. Dans une démocratie capable d’élire deux fois l’ami des grands patrons, des banquiers et des pollueurs, j’ai toujours pensé que complaire à chacun était mauvais signe. Nous, comme l’écrit Hélène Dorion dans Un Visage appuyé contre le monde et autres poèmes, Gallimard, « Poésie », 2025,

 

nous marchons, tenant la main
de ceux qui avancent avec nous.
Parfois la main de l’un abandonne
et relâche celle de l’autre
pour éteindre la lampe. (…)
Au milieu du silence, nous marchons encore
plus fragiles de la main qui manque.

 

Je crois profondément que c’est cette fragilité qui rend vivante notre vie. Avec un p’tit coup de jaja digne de son rang, partagé entre personnes fréquentables ou quasi, sera évidemment un plus.

Fruits de la vigne – Domaine Striffling, « Le viognier de Guigui » 2023

Photo : Bertrand Ferrier

 

Commercialisé par correspondance à 10 €, donc un peu plus cher chez les dealers version brick and mortar, le « Viognier de Guigui » est un vin de France monocépage  produit par le domaine Striffling. L’entreprise le destine à une « vocation apéritive », peut-être pour partie grâce à sa faible teneur en alcool (à peine 11 %). Vinifié à basse température et élevé dans des cuves en inox, le jus est diffusé à deux mille bouteilles et peut être consommé dans les quatre ans suivant son embouteillage.
La robe du millésime 2023

  • déploie une teinte unie,
  • frisotte autour du jaune clair et
  • semble chercher la juste nuance entre limpidité et chromatisme (avec un « chro », pas un « trau », bien).

Le nez

  • sent le soleil,
  • laisse entrevoir un fond d’herbe coupée puis
  • s’épanouit en fricotant avec les agrumes, quelque part entre sanguine séchée et pamplemousse pas encore tout à fait mûr.

(Oui, je sais, officiellement, c’est plutôt la pêche ou l’abricot qui domine, mais cette notule étant officieuse, elle cherche à partager une expérience, pas à copier-coller un communiqué de presse ou une fiche-produit.)
La bouche

  • offre une amertume délicate,
  • se pare d’un arrière-goût sucré d’une élégance émoustillante, et
  • laisse a posteriori barboter dans les naseaux comme un souvenir de café matinal.

À rebours des suggestions apéritives, notre dealer nous suggère de tester la fiole au cours d’un repas. Moderne comme un canevas qui remplacerait le cerf ou le soleil couchant par un cheeseburger, nous payons donc à la fiole un double mariage. Les asperges vertes grillées au four la chaussent comme un gant. Le plat

  • renforce la douceur du vin,
  • flatte son expressivité et
  • permet de mieux apprécier la longueur en bouche du liquide quand l’explosion gustative des asperges s’atténue.

Dans un second temps, face à des échantillons finement coupés d’une charcuterie italienne très relevée, le viognier

  • calme le feu d’un assaisonnement flamboyant,
  • confronte agréablement sa puissance d’apaisement au piquant du mets, et
  • convainc par son habileté à rendre très stimulante cette sensation oxymorique.

De quoi nous inciter à saluer ce nectar à l’évidence aussi multicartes qu’un VRP motivé. Grâce à lui, le temps d’une gorgée,

 

l’axe de la Terre dérive
et nos mains se rejoignent
soudain nous sommes
la lumière qui a manqué
(extrait de « Sans bord, sans bout du monde » [1995] d’Hélène Orion, in : Un visage appuyé contre le monde et autres poèmes, Gallimard, « Poésie », 2025, p. 132).

 

Fruits de la vigne – Domaine Striffling, « Le chardo de Guigui » 2023

Photo : Bertrand Ferrier

 

Entre Beaujolais-Village et « vin de France à cépage », la carte des blancs du domaine Striffling ne nous est pas tout à fait inconnue : nous avions testé tantôt un chardonnay alors appelé « Les voleurs », du nom de la parcelle. Cette fois, notre dealer préféré nous oriente sur

  • un chardonnay, toujours,
  • by Guillaume Striffling, toujours aussi, mais
  • marketté avec
    • soin,
    • astuce et
    • une certaine élégance

comme « le chardo de Guigui », cuvée 2023 – le vin n’est pas référencé sur le site au jour de notre consultation. Guigui désigne bien le vigneron et non l’héroïne du tube triste écrit par Michel Jonasz en 1978 et porté par le piano de Gabriel Yared, la preuve : c’est Georges Brassens qui est invoqué sur l’étiquette… puisque

 

c’est l’un’ des pires perversions qui soit
que de garder du vin béni par-devers soi.

 

L’enthousiasme avec lequel la quille nous est vendue nous laisse peu de doute sur la qualité du jus mais nous met un coup de pression? Notre appréciation sera-t-elle à la hauteur des louanges tressées par le receleur ?
Dans le verre, la robe apparaît

  • claire,
  • presque cristalline (pas comme le jaja de Guy Roux cependant) et
  • très légèrement dorée.

À l’œil, quoique cette remarque n’ait rien de gratuit (je sais, mais ça passait en répétition, alors, je l’ai gardée), il y a

  • de la finesse dans la couleur,
  • de la discrétion dans le liquide, et
  • de la modestie confinant presque à la coquetterie.

Le nez est

  • délicat,
  • comme saupoudré d’une pincée d’herbes aromatiques, et
  • dégageant une nette prédominance de fraise.

Oui, de fraise. Même moi, j’ai trouvé ça curieux, mais j’assume, je signe et je le remets : de fraise, une prédominance de fraise. Vous pouvez appeler l’HP, faites-vous plaise, en plus, ça rime, moi, je m’en fiche, je maintiens avoir détecté une prédominance de fraise. Partant, n’insistez pas, vous ne me ferez pas changer une virgule dans cette conviction de prédominance de fraise que je ponctue d’un point bar(re).
Non mais, c’est dingue, ça ! Bien, et maintenant, si les contradicteurs et les moqueurs se sont tus, je poursuis.
La bouche est à la fois

  • compacte et fraîche (pas fraise, cette fois-ci : fraîche),
  • claire et insouciante,
  • précise et – on y revient, rassurez-vous – marquée par cette idée de fraise qui, plutôt que de se prolonger en bouche, vient grattouiller l’intérieur de nos naseaux avec originalité.

(Je précise que les notes de dégustation sont prises lors des premiers contacts avec les produits. L’alcool – 12° présentement – ne joue donc aucun rôle sur les phrases ici rassemblées. C’est peut-être encore plus inquiétant, mais c’est ainsi.)
Le mariage avec un poulet

  • à la crème,
  • au thym et
  • au laurier,

servi avec, bien sûr, des patates sachant être autant fermes que fondantes, réussit au vin, dont l’absence de rugosité accompagne le plat sans chercher à le chicoter. Point de fight entre les saveurs et les odeurs de l’un et de l’autre. Entre mets et vin règne plutôt une sorte d’entente

  • cordiale,
  • aguicheuse et même
  • réconfortante

telle « une neige recouverte de neige », selon l’expression d’Hélène Dorion décrivant

 

une ville entre ciel et terre (…) comme un drap soulevé, une neige recouverte de neige (Un visage appuyé contre le monde et autres poèmes, Gallimard, « Poésie », 2025, p. 167).

 

J’en conviens, parler de neige après avoir utilisé le mot dealer risque de déclencher une descente de képis dans l’échoppe de Thierry Welschinger, mais j’aurai fait ce que j’ai pu pour ne pas rouler le susnommé caviste dans la farine. Bref, on peut laisser courir le bruit comme une traînée de poudre blanche, « le chardo de Guigui », « ça ravigote, ça ragaillardit », selon la formule de Jean Dubois, parce que, comme nous disons, nous autres œnologues spécialistes et experts, voire spécialistes de notre expertise et réciproquement, c’est bon.

 

Fruits de la vigne – Segna de Cor 2021 du domaine Roc des anges

Photo : Bertrand Ferrier

 

Jadis confiné dans 10 hectares, le Roc des Anges s’étend désormais sur une surface quatre fois plus grande, signe d’un succès impressionnant dans une région aussi concurrentielle que le Roussillon. La cuvée Segna de Cor, anagramme (approximatif) du nom du domaine, est l’entrée de gamme de ses rouges – à environ 19 € l’entrée, tout de même. Sous l’appellation Côtes catalanes, le vin revendique l’usage de raisins issus de jeunes vignes de carignan, assemblées à des fruits tirés de deux ou trois autres cépages : carignan, syrah, voire cinsault. C’est une quille de ce jus qui s’est tantôt retrouvée sur notre table pour affronter un couscous maison.
La robe associe trois qualités affriolantes :

  • densité aguicheuse,
  • profondeur mystérieuse, et
  • obscurité gourmande.

Le nez laisse imaginer

  • une compotée incluant du cassis,
  • des notes d’herbes aromatiques fermement ancrées dans le sol,
  • ainsi qu’une tension mêlant la rugosité et l’aspiration à l’élévation.

La bouche se révèle

  • moins explosive qu’attendu,
  • plus longue en nez qu’au palais,
  • assez ferme pour éviter l’astringence et assumer une simplicité sans chichi mais habillée de fruits rouges.

Le mariage avec le couscous conduit le vin à affirmer

  • son équilibre face à la tonicité des épices,
  • sa rectitude face à la douceur des légumes, et
  • sa singularité face à des saveurs familières.

Parfait pour accompagner un moment convivial évoquant le cri de la « Rotonde bleue » que l’on peut écouter dans Averno [2006] de Louise Glück (L’Iris sauvage…, trad. Marie Olivier [2022], Gallimard, « Poésie », 2023, p. 385) :

 

J’en ai assez de l’humain
dit-elle
Je veux vivre sur le soleil

 

Fruits de la vigne – Segna de Cor 2021 du domaine Roc des anges

Photo : Bertrand Ferrier

 

Jadis confiné dans 10 hectares, le Roc des Anges s’étend désormais sur une surface quatre fois plus grande, signe d’un succès impressionnant dans une région aussi concurrentielle que le Roussillon. La cuvée Segna de Cor, anagramme (approximatif) du nom du domaine, est l’entrée de gamme de ses rouges – à environ 19 € l’entrée, tout de même. Sous l’appellation Côtes catalanes, le vin revendique l’usage de raisins issus de jeunes vignes de carignan, assemblées à des fruits tirés de deux ou trois autres cépages : carignan, syrah, voire cinsault. C’est une quille de ce jus qui s’est tantôt retrouvée sur notre table pour affronter un couscous maison.
La robe associe trois qualités affriolantes :

  • densité aguicheuse,
  • profondeur mystérieuse, et
  • obscurité gourmande.

Le nez laisse imaginer

  • une compotée incluant du cassis,
  • des notes d’herbes aromatiques fermement ancrées dans le sol,
  • ainsi qu’une tension mêlant la rugosité et l’aspiration à l’élévation.

La bouche se révèle

  • moins explosive qu’attendu,
  • plus longue en nez qu’au palais,
  • assez ferme pour éviter l’astringence et assumer une simplicité sans chichi mais habillée de fruits rouges.

Le mariage avec le couscous conduit le vin à affirmer

  • son équilibre face à la tonicité des épices,
  • sa rectitude face à la douceur des légumes, et
  • sa singularité face à des saveurs familières.

Parfait pour accompagner un moment convivial évoquant le cri de la « Rotonde bleue » que l’on peut écouter dans Averno [2006] de Louise Glück (L’Iris sauvage…, trad. Marie Olivier [2022], Gallimard, « Poésie », 2023, p. 385) :

 

J’en ai assez de l’humain
dit-elle
Je veux vivre sur le soleil

 

Fruits de la vigne – À côté 2022 du domaine Charvin

Photo : Bertrand Ferrier

 

Connu pour ses châteauneuf-du-pape, le domaine de Laurent Charvin produit aussi des vins d’appellation moins prestigieuses. On suppose que, parce que ses parcelles ressortissant de l’IGP d’Orange jouxtent ou quasi les vedettes maison, il a brandé le vin que nous allons goûter – disponible sur Internet pour 10 € hors frais de port – sous la marque « À côté » (ou sera-ce parce que, avec du merlot inside, le jus passe à côté de la plaque ou des chartes en vigueur pour telle appellation plus froufoutante ?).

  • La solide teneur en alcool, alors que tant de vignerons cherchent le 12,5° pour ne point effaroucher les vierges ayant la dalle en pente précautionneuse,
  • la réputation de l’agriculteur, engagé dans une production moins chargée en pschitt-pschitteries que certains malins de l’agro-industrie, et même
  • l’étiquette travaillée mais plus rustique qu’enfarinée dans une élégance design qui fleurerait mauvais le vélocipédiste parisien arborant
    • casque très cher mais faussement vintage,
    • réflecteurs aux normes européennes sur un gilet pas jaune floqué #jerespectelaloietlesfdoetvous?, et
    • sentiment d’être gravement victime de stigmatisation rappelant les pires heures nauséabondes de notre Histoire quand un simple piéton, plouc par excellence puisqu’il n’est pas même doté d’une trottinette électrique alors qu’on en trouve de très bien pour moins de deux mille euros, l’invite à aller se faire bien emphysiquer – sauf s’il aime ça – en lui refusant la priorité sur un trottoir alors qu’il est père de famille et qu’il a voté pour chaque élection depuis ses dix-huit ans – sauf une fois, d’accord, ça va, on boit une tisane au miel du Tibet et on arrête le caca nerveux – parce qu’il était en voyage d’intégration à Courche (c’est dingue, quand même, les ennemis de la mobilité douce alors que
      • le réchauffement climatique,
      • la difficulté de trouver une forêt dans Paris pour enlacer des arbres afin de se reconnecter à son moi naturel et, surtout,
      • l’antimacronisme primaire, populiste, facho-complotiste et déconnecté de la réalité des entreprises créant de l’emploi, cette tare française encouragée par l’extrême-gauche et qui met en fragilité le logiciel de la République, puisse Manuel Valls, grand serviteur de l’État et de la Catalogne et d’Israël, merde, s’il en est, y mettre un terme),

inspirent plutôt confiance, d’autant que la quille est conseillée par le presque petit jeune du duo de Mes accords mets vins, repère qui nous sert de dealer pour les occasions belles ou, simplement, joyeuses, ce qui n’est ni contradictoire, ni si pire, on en conviendra.
La robe du vin non filtré (on connaît le grrrrand débat entre autoproclamés spécialistes experts sachants sur « le risque » de ce non-filtrage) est

  • souple voire mouvante,
  • spectrale (au sens où elle n’est certes pas uniforme – idéal pour ceux qui, mauvais citoyens ou zozos instruits par l’expérience, n’ont pas un amour spontané pour le costume unique) et
  • ouverte, allant du rose type cerise au sirop jusqu’au grenat intense en fond de puits.

Le nez est

  • franc,
  • costaud et
  • intrigant.

On croit y déceler, pêle-mêle,

  • du café,
  • de la terre,
  • un zeste de fruit rouge (cassis ? fraise ?) et
  • une pincée de cannelle – mélange étrange et réussi.

La bouche est

  • puissante sans être rugueuse,
  • joyeusement amère sans être grinçante,
  • à la lisière d’une astringence audacieuse, dans une première approche, sans toutefois s’y complaire.

Le mariage avec une ballotine de faisan pistachée, eh oui, est une comédie en trois actes.

  • Acte I : la douceur du mets met (haha) en valeur la robustesse du vin.
  • Acte II : les saveurs liquides et solides semblent se révéler au contact les unes des autres.
  • Acte III : comme il arrive entre gens de bonne compagnie, l’harmonie se construit par le dialogue. Les résonances du vin s’amplifient quand on sirote une lichette après avoir grignoté un bout. À l’inverse, manger après avoir suçoté une larme du nectar
    • souligne les finesses du plat,
    • rehausse sa sapidité et
    • sertit la pistache qui s’y lovait.

Comme disent les poètes que nous aimons citer en fin de critique viticole : « Super. » Bah, s’ils ne le disent pas, en la circonstance, ils devraient.

 

Fruits de la vigne – Sauvignon gris 2023 par les frères Paquereau

Photo : Bertrand Ferrier

 

14 variétés de raisins, 26 cuvées différentes et des étiquettes parfois plus design que claires pouvant nous inviter à nous arracher un œil (quand on n’a pas la réf, il est heureux de trouver curieuse une telle invitation) : aux mains de Cyrille et Sylvain Paquereau, le domaine de l’Épinay – qui, ô surprise ! a perdu son accent (alors que le « à » de « À la nantaise » s’est bien accroché au sien), désormais une vilaine habitude sur les étiquettes de bouteille – revendique sa créativité. Ici à l’honneur, le fié gris est cultivé en « biologique » et délivre en 2023 un jus affichant 12,5° au compteur.
La robe arbore une teinte très légère,

  • plus claire que crème,
  • plus crème que jaune et, on y revient,
  • plus translucide que crème.

Le nez, très doux, se révèle

  • équilibré,
  • constant et
  • légèrement agrumé, entre clémentine et pamplemousse.

La bouche est surprenante.

  • Son attaque est délicate mais présente ;
  • sa consistance frisotte un enrobé presque beurré ; et
  • sa persistance est notable avec une belle résonance dans les naseaux.

Le mariage avec un œuf mollet accompagné d’une purée de homard et de quelque crevette (trop rare, hélas, comme toujours) est particulièrement réussi.

  • La rectitude du vin se révèle plus nettement devant la rondeur du plat ;
  • la pointe acidulée du nectar dialogue joyeusement avec l’ambiance plutôt sucrée du mets ; et
  • le beurre de la cuvée propose un liant propice au mélange des saveurs.

Un chouette moment, comme eût dit le petit Nicolas en espérant, plus tard, devenir multicaviste.

 

Fruits de la vigne – Le vieux mûrier 2022

Photo : Bertrand Ferrier

 

Trop souvent, la dichotomie aristotélicienne suffit à comprendre le monde. Par exemple, l’on peut distinguer sans coup férir

  • le bon grain de l’ivraie,
  • les macronocompatibles des gens fréquentables, et
  • ceux qui aiment ce site des butors.

Heureusement, il arrive que la réalité se dérobe au rythme binaire de la partition et oppose au beat disco une oscillation plus stimulante pour la boîte à neurones qui est censée couronner notre corporéité. Ainsi de ce crozes-hermitage conçu par Florian Buit, qui

  • s’est occupé des vignes,
  • a supervisé les vendanges mais
  • n’a pas embouteillé lui-même ce vin de prestige.

Et pour cause : en attendant la construction d’un chais perso, son jus est hébergé dans la cave de Jean-Louis Chave, mentor et voisin dudit Florian. Or, cette opération, d’apparence anodine, s’accompagne, sinon d’une transsubstantation, du moins d’un changement de nature : le vin de récoltant devient vin de négociant.
La nouvelle terminologie est a priori moins prisée des fines bouches car le statut de négociant permet aux aigrefins de tripatouiller fonds de cuve et invendus pour créer une vinasse presque aussi honnête qu’un gouvernement associant une ministre de la transition écologique à une ministre de l’agriculture se démenant pour développer tout azimut des intrants phytosanitaires (quel dommage que cette dangereuse fumisterie barniérique ait été victime d’une motion de censure !). Cependant, et nous l’avons constaté dans cette rubrique, la prévention que la dénomination de « vin de négociant » entraîne est parfois totalement injustifiée. Il arrive fréquemment que tel vin de négociant bien intentionné ne se révèle pas moins sapide et singulier que certains de ses concurrents, compères et collègues aux étiquettes plus prisées.
L’étiquette est d’ailleurs le point faible de la bouteille, en dépit de sa sobriété élégante. En effet, le cinquième millésime du « Vieux mûrier » a oublié son accent circonflexe. Partant, il remet un coin dans notre juke-box inauguré tantôt : comment peut-on faire des trucs aussi compliqués qu’un vin et omettre de faire relire son étiquette par des gens qui,

  • nuls en fermentation alcoolique ou malolactique,
  • incompétents en piégeage ou soutirage,
  • démunis face à tout projet d’éraflage ou d’entonnage,

sauraient néanmoins éviter cette cagade pour, finalement, pas super cher ? Certes, l’essentiel est ailleurs, comme on disait dans le Sentier, et un petit chapeau pointu n’est peut-être qu’un détail ; ce nonobstant, pour reprendre l’analyse de Muriel Robin quand elle était chef de chantier plutôt que

  • collectionneuse de subventions publiques,
  • pleurnicheuse en chef,
  • madone grassement rémunérée des causes consensuelles, et
  • lâcheuse d’élite sortie première nommée d’une promotion où, pourtant, la concurrence était féroce,

« votre chemise a des boutons, c’est un détail, mais avouez que, pour la fermer, c’est quand même plus pratique ». Enfin, donc, après ces considérations de dénomination et d’orthographe, apparaît le vin, un monocépage à la gloire de la syrah. Sa robe est marquée par

  • l’unité,
  • la densité et
  • l’opacité

du produit. Peu d’éclats rougeoyants. À la place, une belle densité qui augure d’un vin solide et charpenté. Le nez confirme ces auspices. On note

  • sa puissance,
  • ses notes de fruit confit et
  • sa finale de girofle

qui ajoute à la fermeté une petite pirouette à la fois gracieuse et appétissante. La bouche étonne. Partant sur une légèreté où le fruit semble se dissimuler derrière le gingembre, elle revendique

  • moins la rondeur chromatique qu’un à-plat de couleurs,
  • moins l’étagement des saveurs que leur confrontation synchronique, et
  • moins l’explosivité propre à certains monocépages syrah qu’une forme de stabilité gustative se prolongeant en fade out.

Peut-être la dégustation est-elle perturbée (ou rendue spécifique) par certaines interférences. D’une part, il est évidemment envisageable que la quille aurait gagné à rester en cave quelques années de plus, d’où la sensation d’un potentiel profond associé à une linéarité gustative, au lieu de la perspective 3 voire 4D que l’on attendait. C’est entendu, mais l’impatience, si elle peut être saccage, est aussi hommage à la désirabilité des bouteilles ! D’autre part, son association avec de délicieuses pâtes fraîches au foie gras – merci à la maison qui, ce soir-là, n’avait reculé devant presque aucun sacrifice – n’est sans doute pas la plus immédiatement attendue. Pour autant, en bousculant les us et coutumes des logiques feutrées présidant aux accords mets et vins, elle souligne le charme d’un vin – généralement commercialisé aux alentours de 25 €, compter 5 € de plus chez les heureux cavistes qui ont obtenu un quota de cette cuvée annoncée comme confidentielle – qui sait être

  • soyeux,
  • ferme et
  • assez direct pour s’adapter au palais du curieux sans perdre son identité.

De la sorte, la création de Florian Buit ajoute du mystère au plaisir et évoque, à son corps défendant mais le siroteur a le droit de résonner (oui, avec un « é ») comme juste lui semble, cette confession d’Alicia Galienne :

 

Plus je me regarde dans cette eau lourde et profonde,
Plus la nuit se masque et va rejoindre le jour.
(« Les nocturnes », in : L’Autre moitié du songe m’appartient, Gallimard, « Poésie », 2020, p. 69.)

 

Bonnes nuits diurnes à tous, et belle joie aux patients pas malades qui dégusteront le jus quand il aura atteint maturité !

 

Fruits de la vigne – L’angelique 2023 du domaine Metrat

Photo : Bertrand Ferrier

 

Faute d’être référencé parmi les vins listés sur le site officiel du domaine, ce beaujolais gardera une partie de son mystère : pourquoi un tel branding ? et, surtout, question éminemment essentielle en œnologie appliquée aux étiquettes, où diable est passé l’accent de « L’Angelique » ? Sera-ce que la police – de caractère, voyons – ne l’autorisait point, comme pourrait le laisser supputer ce que nous avons découvert et que nous révélons en exclusivité (ô, teasing, quand nous tiens !) dans la conclusion mercantile de cette notule ? Quel sens accorder à cette marque et à sa spécificité – ou, devrait-on dire, à sa specificite ?
Notons qu’il n’y a pas moins de suspense sur l’appellation d’IGP comtés rhodaniens, laquelle, apprend-on, est assez généreuse pour s’étendre sur neuf départements et même s’appliquer, « après dégustation », à des appellations moins connues en quête d’une étiquette plus bankable ou, a minima, mieux référencée. En revanche, comme qu’on dit dans le franglais qu’il sent bon le spécialiste de l’expertise, le thrill sur le domaine Metrat lui-même est moindre. Célébré pour ses Fleurie, « à la limite des Moulin-à-vent » précise le vigneron, il revendique une pratique « raisonnée », id est pas bio mais limitant les intrants chimiques grâce, notamment, au recours au purin de prèles, d’orties et de consoudes. Quel résultat cette bonne impulsion donne-t-elle à la cuvée 2023 de son chardonnay ?
La robe, affriolante, arbore un jaune délicat. Elle nous apparaît

  • unie,
  • claire et
  • lumineuse.

Le nez assume crânement – oui, porté par une bonne vieille licence poétique des familles, un nez peut assumer crânement alors qu’il peine en général à assommer en tapant sur le crâne – son rôle de mise en appétit. Il allie des caractéristiques qui, c’est curieux, dépasse le champ de l’odorat. Il

  • évoque la fraîcheur de l’agrume,
  • laisse deviner un équilibre tranquille et
  • suggère la gourmandise de l’amertume.

La bouche confirme sans coup férir la singularité du jus. Selon nos papilles, elle associe

  • le charme du beurré,
  • la pétillance d’une pointe citronnée et
  • la chaleur confortable d’un vin bien construit.

Bref, que les dalle-en-pente qui tentent néanmoins de se respecter ne se laissent point effrayer par les deux caractéristiques principales du flacon. Certes, les vins du domaine Metrat sont des beaujolais, mais ils n’émargent pas dans la catégorie des produits sans vergogne chéris (de moins en moins, alléluia !) par

  • les Asiatiques,
  • les buveurs à prétexte et
  • les individus souhaitant se la jouer à la fois bobos et canaille en sirotant, enveloppés par le brouhaha réconfortant d’un troquet « resté dans son jus » un millésime frais, plus framboise que banane cette année, un béret DeLuxe posé sur le crâne et un sourire entre tindérique et instagramable aux lèvres.

Certes itou, le chardonnay est un cépage synonyme, dans la grande distribution, de rince-glotte passe-partout, assez écœurant parfois pour faire préférer un vin rouge léger au moment de déguster un plat à blanc. Loin de ces deux grands topoi qui ne relèvent pas toujours de la caricature, hélas, le vin de Bernard Metrat s’avance avec

  • cohérence,
  • savoir-faire et
  • personnalité.

À noter que le domaine commercialise « L’angélique » avec un accent, shocking! Voilà qui confirmerait le problème de police subodoré en introduction… Prix, accent compris : 9 € la bouteille plus frais de port. Les Parisiens peuvent, eux, s’approvisionner chez notre dealer contre 13,5 € la quille qui, comme l’écrivait Stéphane Mallarmé au couple Manet, en 1888, « met gentiment aux camélias des perruques » (« Dédicaces, autographes et envois divers » in : Poésies, Gallimard, « Poésie », 1945, rééd. 1970, p. 137). Comme quoi, le monde en général et le langage en particulier sont souvent mystérieux – la faute, notamment, à

  • ses accents,
  • ses fleurs et
  • ses nectars.