
Bien qu’il dénonce les clivages passéistes réputés structurer
- la pensée,
- la culture et
- la société
occidentales, le wokisme est un champion de la binarité. Il distingue sans nuance
- le fréquentable et l’infréquentable,
- l’acceptable et l’inacceptable,
- le conforme et le fascisme.
Michel Guerrin illustrait fort bien ce systématisme décomplexé dans une chronique sur « le cas J. K. Rowling et sa croisade antitrans », parue dans Le Monde le 14 juin 2025, en page 34. La défense des transgenres est, en soi, un indispensable de toute attitude wokiste, mais elle n’est qu’un point d’accroche sur lequel peuvent se greffer tous les
- mots-clefs,
- éléments de langage et
- froncements de sourcil désapprobateurs voire choqués
que se doit de maîtriser un wokiste acceptable. Dans ce billet, le journaliste distingue clairement le mal et le bien. Le bien, c’est ce que prêchait l’auteur de « Harry Potter » quand elle défendait « les migrants, le système de santé publique, l’avortement, le respect des homosexuels » ou quand, en 2015, elle applaudissait le choix d’une comédienne noire pour « endosser au théâtre le rôle d’Hermione ». Le mal, c’est une vision du féminisme qui secoue le cocotier.
Bien sûr, normalement, le féminisme, c’est le bien. Hélas, celui de J. K. Rowling l’amène à « voir dans la transition une arme masculine pour dominer ou violenter les femmes en relativisant leurs douleurs (règles, endométriose…) ». De plus, il lui est reproché de « vouloir sortir de l’ombre » de sa série phare en cherchant à choquer pour relancer sa carrière littéraire. Résultat, la bonne question à se poser consistera à se demander si regarder la série HBO tirée de l’histoire du sorcier et prévue pour 2027 équivaudra à « financer la transphobie ». (Par chance, si on est woke, la réponse est dans la question et consistera à regarder le machin en cachette.)
Voilà une deuxième caractéristique du wokisme, signalée précédemment : la prééminence du prisme moral, qui n’est rien d’autre que l’évaluation de la concordance entre le discours d’un créateur et les critères sciemment étriqués de la bienséance woke. En témoignait tantôt l’éloge de Vanessa, étudiante en droit participant à l’émission anti-Blancs, menée par Poivre d’Arvor et Drucker, « Sommes-nous tous racistes ? ». Vanessa est présentée comme étant du bon côté de la farce qu’est la Force, puisque, face caméra, elle se dit « fière de contribuer à déconstruire les mécanismes inconscients qui font adopter des attitudes qui peuvent être jugées racistes » (in : Le Monde, 17 juin 2025, p. 26).
Ce qui nous permet de conclure ce prologue en reconnaissant un troisième trait consubstantiel au wokisme : le double soupçon d’un « systémisme »
- raciste,
- colonialiste et
- misogyne,
tellement ancré dans nos mentalités qu’il ne nous est plus perceptible. Explicitons notre pensée, puisque nous avions parlé de deux soupçons.
- Premier soupçon : nous sommes tous racistes, misogynes et homophobes.
- Second soupçon : quand nous pensons que nous ne le sommes pas, nous le sommes quand même.
Voilà en quoi réside, pour partie, la pulsion obscurantiste du wokisme, examinée dans Face à l’obscurantisme woke, l’ouvrage collectif dirigé par Emmanuelle Hénin et alii et paru aux PUF. En effet, obscurantisme il y a quand la foi dans le dogme est plus forte que le souci d’objectivisation. En l’espèce, n’adopter qu’un prisme de victimisation et estimer que, quand il n’y a pas victimisation, c’est qu’il en existe une que notre système de pensée nous empêche de voir, c’est tenter de nier la réalité pour la remplacer par une construction idéologique qui serait cocasse si elle n’était aussi
- stupide,
- réductrice et
- influente
dans de larges sphères médiatiques et culturelles. Pierre Vermeren s’en émeut dès l’incipit de son article sur l’art « d’intégrer les enfants d’immigrés par temps d’ignorantisme (sic) ». Ne le cachons pas, puisque ça peut paraître sexy : nous abordons ici les articles olé-olé du livre. Celui de Pierre Vermeren, « professeur d’histoire des sociétés arabes et berbères contemporaines à la Sorbonne », s’intéresse à un domaine a priori étranger à sa spécialité. L’enseignant dénonce un « abaissement culturel et linguistique » lié à trois facteurs :
- le discrédit jeté sur les profs et la transmission,
- la valorisation de « la pédagogie contre les savoirs », et
- « la décomposition de la langue ».
À force de déborder sur des sujets qu’il méconnaît, l’auteur écrit du caca boudin, par exemple quand, en ignare, il parle de « la littérature enfantine » avec la fatuité de ceux qui réduisent les sociétés arabes actuelles » au restaurateur arabe qui sert un excellent couscous et un tajine pas dégueu au coin de la rue. Quand t’y connais rien, franchement, tiens tes lèvres serrées… même s’il est fascinant de voir que des gens à la culture sans doute très high peuvent tomber si bas en jouant les sachants dans des espaces où ils ne sachent guère, quitte à dévaloriser, chemin faisant, le reste de leur propos, bref. Pierre Vermeren dénonce une société plus soucieuse du poids du cartable des écoliers que de celui de leur cerveau.
Vient alors la charge antimusulmans. Pour lui (et pourquoi pas ?), le problème de la décadence est liée au multiculturalisme, c’est-à-dire à l’invasion musulmane : les prénoms musulmans ne sont-ils pas passés de 1% des nouveaux-nés à 22 % en 2022 (sources non citées) ? L’articuliste voit donc un continuum entre « le désarmement éducatif et intellectuel » et l’immigration, facteur de « l’effondrement du niveau scolaire en France » pointé par Joachim Le Floch-Imad dans Le Figaro, même si « Imad », bon, ça laisse craindre un effondrement du niveau du Figaro, pourtant déjà très bas.
À ce moment, on n’est plus du tout dans la réflexion sur le wokisme, sinon par ce biais qui consiste à dire que les wokistes ont ouvert les vannes de l’immigration. Pierre Vermeren ne voit pas moins un lien entre l’immigration et le « relâchement des exigences » ayant permis de passer en quarante ans de 0,1 % à 25 % de menions très bien au bac (sources non citées). L’intérêt de cette réflexion anti-immigrationniste réside dans une trialité syllogistique, et hop :
- d’un côté, le niveau baisse ;
- donc on baisse les exigences ;
- donc le niveau ne baisse pas.
Certes, beaucoup d’enseignants pourraient témoigner de cette folie statistique, et ajouter pour certains – dont je fus – que leur propre notation dépend des notes qu’ils attribuent à leurs ouailles. Mais quel maudit rapport avec le maudit sujet, distinguant l’article d’un tract RN, quelque respectable soit-il puisque, bon ? Peut-être le lecteur doit-il en inventer un parce que « la question des enfants d’immigrés est le miroir grossissant des dysfonctionnements » de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur dans la mesure où, avec les ministres de l’Éducation nationale aux noms connotés (Najat Belkacem et Pap N’Diaye, condisciple de l’auteur à Normale Sup), les nuls étaient nuls parce que victimes de « discriminations liées
- à leur genre,
- au sexisme, [et/ou]
- à leur différence culturelle voire raciale ».
Aujourd’hui, l’Occident serait aveugle face à l’entrisme pédagogique des Frères cherchant à « immuniser le jeune musulman d’Occident contre son environnement immédiat » en le coupant de toute acculturation qui risquerait de faire friture avec « la culture islamique », si bien que les profs de souche ne veulent plus aller enseigner dans les établissements dont les élèves sont abondamment musulmans – il est vrai qu’il manque rarement de profs à Henri-IV.
On sort sceptique de cet article en large partie hors-sujet si l’on estime que le wokisme et l’immigrationnisme – autant promu par les grands patrons ultramacronocompatibles que par les méchants gauchistes – sont deux sujets parfois connexes mais essentiellement divergents. C’est le risque des ouvrages collectifs qui se perdent parfois dans les lubies de tel ou tel auteur. Guylain Chevrier, prochain auteur, nous convaincra-t-il davantage ? Réponse dans une prochaine notule. (Ô suspense ! Quand tu nous tiens…) À suivre !