Herbert du Plessis joue Frédéric Chopin (Anima) – 6/7
Au mitan du cycle de préludes, Frédéric Chopin glisse un treizième prélude
- lent,
- ternaire et
- en Fa#.
Herbert du Plessis en traduit le balancement qui, sous des apparences posées, sait aussi rebondir rythmiquement en frottant un quintolet de noires à six croches, ou deux triolets de croches à quatre consœurs. De même, derrière une apparente rigueur symbolisée par une main gauche inarrêtable, la partition exige implicitement de légers rubato, un changement de tempo et un peu de ritendo pour finir. L’interprète excelle à faire éprouver plutôt qu’à surligner
- ces failles,
- ces glissements,
- ces surprises
qui pimentent l’œuvre. Aux six dièses du treizième prélude répondent les six bémols (sans compter les doubles) du quatorzième, brève cavalcade ternaire qui réunit à l’octave les deux mains dans les registres graves. Le pianiste en illustre brillamment
- l’énergie menaçante,
- la puissance résolue et
- l’épaisseur mystérieuse.
Le quinzième prélude est un sostenuto binaire en Ré bémol (mais pas que) auquel la répétition d’un la bémol – sol dièse valu le surnom de “goutte d’eau”.
- Les légères variations de nuances,
- les subtiles détentes sporadiques de la mesure et
- l’attention au texte
happent l’esgourde dans la première partie. Vif est le contraste avec la deuxième partie aux accents de marche funèbre.
- Ostinato de la main droite,
- grondement caverneux des intervalles de la main gauche et
- inquiétantes mutations d’intensité
font montre d’une expressivité à la fois
- sobre,
- évocatrice et
- énigmatique
de la plus belle eau, précieux pour apprécier pleinement ce long prélude. Le retour bref de la partie solaire du début ajoute à la bizarrerie du propos, qui n’est pas son moindre charme.
Le seizième prélude en si bémol mineur semble vouloir déchirer cette énigmaticité en attaquant par un prologue qui lance le presto con fuoco principal. En un instant, se révèle tout le charme de la virtuosité.
- Le flux file avec aisance,
- le chromatisme chatoie à son aise,
- l’accompagnement pose sans s’imposer,
- ce qui pourrait être circassien paraît évident,
- la pédalisation si précise chez Chopin unit sans noyer,
- le brio ne se hausse jamais du col – il n’en a pas besoin.
Impressionnant, oui, mais saisissant surtout. Le dix-septième prélude, un allegretto en La bémol et à six croches par mesure, fait partie des tubes qui laissent flotter une mélodie entêtante au-dessus d’un accompagnement têtu.
- La netteté d’exécution,
- la sensibilité des intentions,
- la sobriété des effets,
- la science du piano et, semble-t-il,
- le goût de profiter d’un instrument vintage aux registres caractérisés
sont ici source de délectation. Sous les doigts d’Herbert du Plessis, le très bref dix-huitième prélude, un molto allegro à deux temps en fa mineur, associe avec vigueur
- liberté des gruppetti,
- exactitude des octaves synchrones et
- ambiguïté explosive de la concision.
Le dix-neuvième prélude est un vivace en Mi bémol bâti sur neuf croches par mesure. On s’y goberge
- d’un legato confortable,
- d’un allant presque discrètement virtuose et
- d’une élégance appréciable que cristallisent notamment
- les crescendi,
- la préparation aux suspensions du discours et
- l’agogique.
Le vingtième prélude est un largo concis en do mineur à quatre temps. Herbert du Plessis en cisèle posément
- la solennité,
- les trouvailles harmoniques et
- les possibilités expressives dont participent
- les nuances,
- les ritendi,
- le léger effet d’attente que l’interprète manie à merveille dans cette miniature (pas que dans cette miniature, mais c’est ici singulièrement saisissant), et
- le respect d’un long point d’orgue associant le fade out naturel du son au fade out travaillé par une pièce passant
- du fortissimo
- au piano
- pour finir pianissimo.
Le vingt-et-unième prélude est un cantabile en Si bémol et à trois temps. L’accompagnement de la main gauche y contamine la mélodie de la main droite
- lors de séquences à l’unisson ou en parallèle,
- en poussant la mélodie à se doter de sa propre harmonie dans la partie centrale, et
- en envahissant la dextre lors de la reprise de la partie A.
Herbert du Plessis convainc par
- les contrastes d’intensité qu’il ménage,
- la dextérité qu’il démontre et
- l’art qu’il déploie pour accompagner les évolutions du propos jusque dans la coda.
Il enchaîne directement avec le vingt-deuxième prélude en s’appuyant sur le tuilage du double si bémol grave, intervalle qui conclut le 21 et ouvre le 22. En sol mineur et à 6/8, ce molto agitato travaille
- octaves,
- accents et
- contre-temps
que l’interprète transforme en une prenante tourmente spasmodique. Le vingt-troisième prélude est un moderato en Fa et à seize doubles croches par mesure.
- Tranquillité du balancement de la main gauche,
- fluidité de la main droite,
- acidulé des frottements rythmiques (triolets de croches contre quatre doubles, d’un côté, de l’autre appogiatures et trilles contre l’ostinato régulier de la dextre),
- souple résonance de la pédalisation
apaisent l’atmosphère et confirment la cohérence du recueil, le vingt-troisième prélude assurant la transition entre un molto agitato et un allegro appasionato, tous deux en 6/8. En effet le vingt-quatrième prélude en ré mineur envoie une main gauche vigoureuse et obstinée soutenir une main droite mélodique mais pas niaiseuse. Le piano adopte un comportement décidé, éclairé par
- des envolées impressionnantes,
- des modulations captivantes et
- des foucades à triple forte symboliques d’un dernier mouvement
mais dont Herbert du Plessis parvient à distinguer
- les flux,
- les reflux et
- les explosions
jusqu’aux trois coups finaux, comme si le brigadier pianistique annonçait la fin des préludes et le début véritable de la pièce – la musique s’est tue, la comédie humaine peut recommencer.
- Sens de la caractérisation,
- variété des sonorités,
- musicalité servie par une virtuosité probante
contribuent à nous faire non pas patienter mais impatienter avant le dernier volet du double disque : des “Feuilles d’album” et un bis !
À suivre, donc !
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