Blog

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 11

Première de couverture (détail)

 

Aujourd’hui, nous parcourons les derniers articles inclus dans la deuxième partie de Face à l’obscurantisme woke, publié aux PUF sous la direction d’Emmanuelle Hénin et alii. Cet examen confirme la problématique d’un ouvrage inégal (c’est en général la qualité des des ouvrages collectifs) et parfois confus (ça, non), mélangeant en l’espèce les torchons scientifiques avec les serviettes non-scientifiques.
Le premier article à passer sur le grill aujourd’hui est signé Florent Poupart, non référencé dans les bios des auteurs quoique prof de psycho clinique à Toulouse. Comme on sort d’un article sur l’oncologie, la prétention de la psychologie à être une science fait un peu rigoler le sceptique, mais voyons en quoi cet article éclaire le propos général. L’auteur y dénonce d’emblée l’hypermoralisation et le culte du Bien, à l’opposé de sa conception qui pose que l’inconscient est immoral – donc que la conscience consiste à moraliser nos actes sans feindre d’ignorer l’immoralité de ce qui nous traverse. Freudien apparemment convaincu, il pose avec le barbu que « la névrose est le prix à payer à la vie civilisée ». Or, notre époque souffrirait du « désaveu des grandes différenciations structurantes » telle que la sexuation, typique de la domination de l’autre, c’est-à-dire de celui qui impose des limites à ma jouissance de la liberté.
La cure psychologique tend donc à se départir de « la neutralité en faveur de l’empathie » afin de produire un récit « auquel le patient puisse s’identifier ». Communautarisation simplificatrice et victimisation stéréotypée participent de la construction d’un combo associant « assignation et revendication identitaires ». Comme ces femmes noires traduisant des femmes noires parce qu’elles sont femmes et noires, des psychologues se revendiquent « situés », c’est-à-dire assumant une « fascination spéculaire » (je vais voir un gros psy parce que je suis psy, un psy homosexuel parce que je suis homo). C’est ce que Florent Poupart appelle « l’approche identarisée du soin psychique », participant de la « confusion entre réalité et représentation ».
Claude Habib enquille avec un article sur la « situation des Lettres à l’université ». Comme son titre le laisse entendre, l’article est vague et met un moment à connecter avec le sujet collectif. Il s’embourbe dans une volonté fondée mais mal argumentée de dénoncer la volonté de « promouvoir la résistance féministe et d’incriminer le patriarcat » ou la lamentable lame de fond qui dénonce les stéréotypes vingt-et-uniémistes de textes du dix-neuvième siècle.
Selon elle, la volonté de dénoncer « la culture du viol » chez André Chénier ou le refus du mariage homosexuel chez Jean-Jacques Rousseau fait écho non pas à la soumission des enseignants à la connerie mais à la feignantise des étudiants qui, vieux totem des vieux profs, « cherchent avant tout des raisons de ne pas lire ». Des embardées vaseuses sur Michel Barnier et l’homosexualité visent maladroitement et hors sujet à dénoncer le « présentisme », id est la dénonciation de faits anciens non conformes à la morale actuelle. Pour elle, comme « quelqu’un » (ça donne une idée du niveau d’exigence de l’article) a dit, « la littérature est à la boîte noire de l’avion accidenté », donc doit être étudiée en tant que production livresque de l’instant, non selon les critères de jugement moral d’aujourd’hui. L’article se conclut pesamment sur une charge contre le libéralisme qui prône la tolérance « envers tous les goûts » sauf la bestialité (sic) et la pédophilie, Jack Lang, Roman Polanski et Daniel Cohn-Bendit étant là pour prouver que c’est totalement faux.
Après cet article plutôt creux, un article à deux voix s’approche, associant Claire Laux, prof d’Histoire à Sciences-Po Bordeaux, et Xavier Labat, « ingénieur d’études », syntagme pompeux qui fait doucement rigoler, qui travaille sur « l’Histoire des relations commerciales et diplomatiques dans la Méditerranée ». Là encore, prétendre que l’Histoire est une science souligne la faiblesse de la construction de l’ouvrage collectif : l’Histoire n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais une science, et c’est pas sûr que ce soit un reproche à lui adresser.
D’emblée, les deux associés, dont on devine qui tient la plume pour qui, vue la différence de statut, dénoncent la cancel culture et le wokisme entendu comme « une nouvelle culture morale où le statut de victime devient une ressource sociale ». S’ensuit une charge convenue et non étayée sur des faits concrets contre « un certain nombre » de problématiques liées à la « décontextualisation et au troncage des événements » censés combler les « étudiants plus idéologiquement zélés que soucieux de pertinence et de rigueur scientifique. C’est assez dingodingue de voir, encore et encore, comment les profs ont les bullocks de dénoncer les étudiants et jamais leur propre attitude ou leurs confrères, non ? Bordel, les étudiants sont là pour avoir des diplômes délivrés par des profs. Si problème estudiantin il y a, les sacrosaints profs devraient-ils pas se mettre en première ligne plutôt que de stigmatiser leurs ouailles avec une généralité sans vergogne ?
L’idée des co-auteurs est surtout de dénoncer une vision téléologique de l’Histoire (en gros, cela consiste à juger ce qu’il s’est passé au vu du résultat actuel). À son époque, Colbert n’était pas si méchant que ça, et le Code noir proposait des cadres aux maîtres d’esclaves, un peu comme le gouvernement autorise les néonicotinoïdes tout en disant qu’il faut préserver la planète. Les plaidoyers historiques, trop généraux, sonnent creux alors qu’ils visent à pointer le narcissisme de l’homme contemporain, à l’aune morale duquel devrait être estimé ce qui fut. Reste, par-delà le remplissage sur la lutte entre colorblinds et coloraddicts dont le rapport avec l’histoire de Colbert et du Code noir échappe au non-initié, la charge contre « une déconstruction par la focalisation sur le point qui heurte. Selon les co-auteurs, l’Histoire serait en prise avec l’émergence – prédite par Paul Ricœur, dont le banquier président est censé avoir été plus ou moins le bras droit, le poumon unique et l’essence spirituelle – d’une « conflictualité sociale qui se nourrirait (…) de revendications fondées sur des injustices commises dans le passé ». En clair, je ne réagis pas contre ma situation mais contre ce que j’évalue de la situation de mes pairs, réels ou recréés. D’où la punchline de l’article :

 

Pierre Desproges fustigeait en son temps les courageux intellectuels qui osaient attaquer le général Pinochet à 12 000 km de Santiago ; aujourd’hui, la distance se compte en siècles, et les nouveaux héros déboulonnent Colbert 340 ans après sa mort.

 

Est-ce à dire, comme l’affirment les auteurs, que si l’on se victimise, le fiel aidera le chougneur ? Nous continuerons de l’explorer dans la troisième partie de l’ouvrage consacrée aux fracturations identitaires. À suivre !

 

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 10

Première de couverture (détail)

 

Le wokisme est-il soluble dans la science, et réciproquement ? Si, par wokisme, on entend la tendance

  • à fabriquer des communautés (les femmes, les Noirs, les homosexuels…), parfois au corps défendant de ceux qui sont censés s’amalgamer donc se réduire à l’une de leurs caractéristiques,
  • à les désigner comme des victimes, et
  • à en conclure qu’il faut « déconstruire de façon systémique » le sous-jacent des fondements socioculturels historiques et actuels,

il est inévitable que la science risque d’être contaminée. À titre anecdotique, en témoigne le supplément « Sciences & médecine » du Monde daté du 28 mai 2025, pp. 1, 4 et 5. L’affaire s’y déroule en trois temps, trois mouvements.
D’abord, Pascale Santi y déplore que « le microbiote vaginal » soit « un écosystème trop peu connu » à cause d’un « biais masculin prégnant dans la recherche ». Première victimisation et première tentative de mise en confrontation : les femmes sont délaissées parce que les savants sont des hommes. De même que, pour traduire une femme noire, il faut désormais être une femme noire, de même, semble insinuer la journaliste, pour prendre soin d’une femme, c’est-à-dire comprendre ses problématiques spécifiques et y apporter, si nécessaire, des solutions, il faut être une femme (ce qui relève d’un binarisme pré-woke, mais allons-y step by step).
Ensuite, Pascale Santi note que « ce microbiote essentiel à la santé féminine » a été « trop souvent étudié à travers le prisme limité des pays occidentaux ». Deuxième victimisation et deuxième tentative de mise en confrontation : le savant blanc, structurellement colonialiste, ignore la réalité de la femme, d’une part, mais aussi, d’autre part, de la femme non-occidentale, essentialisée par la journaliste. Par conséquent, ledit savant blanc méprise et maltraite ces personnes doublement stigmatisées (contrairement aux mâles non-occidentaux qui, comme chacun sait, prennent, eux, le plus grand soin des personnes du beau sexe). En l’espèce, pour contrebalancer le biais misogyne et raciste de la science médicale, selon la journaliste, il conviendrait de « dresser une carte plus représentative du microbiote vaginal mondial ».
Enfin, Pascale Santi signale que Samuel Alizon espère « pouvoir réanalyser » des échantillons d’une étude. L’objectif : « Explorer les microbiotes dans la population générale, hors des biais habituels. » Troisième victimisation et troisième tentative de mise en confrontation : la science est biaisée par la domination de mâles blancs non déconstruits ; des mâles blancs doivent donc réécrire ce qui fut posé car, volontairement ou non, les résultats étaient forcément faussés. Mutatis mutandis,
c’est à genre de

  • convictions,
  • postures et
  • réactions

qu’est confronté Joseph Ciccolini, professeur de pharmacocinétique (pour ceux qui, comme moi, ignoraient ce domaine, il semble s’agir d’une discipline décrivant le devenir d’un médicament à partir du moment il pénètre dans un organisme). Dans un article sur « l’emprise idéologique en oncologie clinique » remixant un papier de 2023 pour intégrer Face à l’obscurantisme woke, l’ouvrage collectif dirigé par Emmanuelle Hénin et alii (PUF, 2025), l’universitaire-praticien dénonce l’idée que

 

premièrement, la cancérologie serait une discipline essentiellement raciste tuant volontairement les minorités visibles ou invisibilisées et, deuxièmement, la cancérologie serait une science blanche, patriarcale et furieusement européo-centrée.

 

Pour conjurer ces accusations de « racisme systémique » grâce à un « ripolinage woke », les gros laboratoires – tels Gilead et Merck – ont déployé des moyens importants à l’aune du clampin quoique epsilonesques à leur aune, afin d’assurer « l’équité dans le traitement sanitaire » des populations et d’en finir avec « les injustices

  • systémiques,
  • structurelles et
  • institutionnalisées

fondées, par exemple, sur

  • la race,
  • le sexe ou
  • l’orientation sexuelle »

en « démontrant l’emprise du patriarcat blanc hétéronormé ». Des thésards ont profité des bourses offertes par ces grosses boîtes, avec un « o » (je sais, mais pas pu m’en empêcher) pour enquêter sur les différences de traitement entre hommes et femmes ou entre Blancs et Noirs, excluant de facto une large partie de la population puisque « le sort des Asiatiques ne donne pas lieu à des financements justifiant qu’on s’y intéresse ».
Le fond de sauce utilisé pour l’exercice s’appuie sur des biais connus : les facteurs de confusion et les phénomènes de colinéarité. Pour nous autres, non-initiés ces termes désignent l’effet ice cream, qui consiste à démontrer, statistiques à l’appui, que « la consommation de glaces en Californie est associée à une prédisposition aux attaques de requins », comme si les requins attaquaient en priorité les nageurs goût pistache ou noix de pécan caramélisées. En réalité, dans l’étude évoquée, « la consommation de glaces atteint un pic lors des journées les plus chaudes de l’année », journées où la probabilité de croiser les dents de la mer est la plus grande… puisque l’on a tendance à aller volontiers faire un plouf.
Joseph Ciccolini plaide donc pour une attention particulière à la multifactorialité, un seul élément de preuve ne pouvant être considéré comme une preuve car il peut représenter un biais. C’est en confrontant différents éléments (par exemple la consommation de glaces, le nombre d’attaques de requins, mais aussi la température, la période de l’année, les habitudes sociales, etc.) que statistiques et probabilités gagnent en pertinence. Inversement, c’est en allégeant la multifactorialité que l’on est susceptible de prouver, avec bonne ou mauvaise foi, le résultat que, par idéologie ou contrat, l’on est payé pour trouver.
Sur la différence de traitement entre Blancs et Noirs aux États-Unis, par exemple, le professeur, sagace, s’agace, et hop : « Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour penser que la minorité noire étant économiquement paupérisée et défavorisée, subit des conséquences dans son accès aux soins. » Selon lui, ce fait n’est pas la conséquence du racisme mais de la pauvreté et de la faiblesse de l’instruction d’une partie des populations noire et hispanique. Selon cette contre-logique, « le patient blanc, sans éducation et pauvre d’une ville sinistrée de l’Illinois, présentera un risque de surmortalité par cancer supérieur à celui d’un patient noir, éduqué et riche vivant à Manhattan ».
Pourtant, adopter le biais woke facilite l’acceptation des articles dans les revues éditées par les principaux acteurs du secteur, type Elsevier ou Wiley. Notons que ces éléments de facilitation ne sont pas spécifiques à la science. Du temps que j’étais universitaire, écrire sur

  • les héroïnes féminines et les réécritures féministes des contes (tarte à la crême avariée s’il en est),
  • l’importance de l’éducation à l’antiracisme grâce à des fictions transformées en manuels de propagande univoques et tristement stéréotypés, ou alors sur
  • l’apport merveilleux
    • des enseignants,
    • des bibliothécaires ou
    • des libraires,

était un point d’entrée bien connu pour des chercheurs en manque de publications. S’y jouaient déjà, toutes choses étant égales par ailleurs, des éléments du « totalitarisme » que Joseph Ciccolini pense avoir repéré dans le domaine de l’oncologie médicale : la volonté, fût-elle mue par cette inclination terrible que sont les bons sentiments,

 

  • d’infiltrer la culture,
  • de réécrire l’Histoire,
  • de réinventer le langage et, enfin,
  • de manipuler la science pour contrôler les esprits et transformer des hypothèses en dogme.

 

De telles inquiétudes font écho à celles du psychologue Florent Poupart devant l’ultramoralisation de la société. Nous les évoquerons dans une prochaine notule. À suivre !

 

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 9

 

Première de couverture (détail)

 

Le wokisme est un objet d’études doublement paradoxal.
D’une part, ceux qui incarnent ce courant dont nous avons déjà eu huit occasions d’analyser certains aspects nient l’existence des tendances qui les caractérisent

  • (communautarisation,
  • victimisation,
  • volonté d’agréger des revendications pour « déconstruire de façon systématique » la domination oppressante de l’homme blanc cisgenre)

mais dénoncent l’existence d’un courant antiwokiste. D’un point de vue logique, cette posture est très curieuse. Je peux être antisémite, anticatholique voire misogyne, car juifs, catholiques et femmes existent – mais si, mais si. En revanche, si je pense que les extraterrestres n’existent pas, il m’est difficile de les vouer aux gémonies ou de pourfendre au fil de mon verbe et ma verve (nul « g » dans ces mots), les ignobles chérubinistes, dont le projet consisterait à remettre le pouvoir politique à des anges afin de pacifier notre monde et de nous faire connaître une béatitude molle, ennuyeuse voire contradictoire avec mon statut d’humain porté sur la castagne, la jalousie et le conflit permanent – autant de qualités constitutives de mon espèce et garantissant, comme chacun sait, le progrès. Lubies farfelues mises de côté, il appert que, pour qu’il existe un antiwokisme, un préalable rationnel serait qu’il existât, par chance ou par malheur, quelque chose que l’on pourrait désigner sous le vocable « woke ».
D’autre part, et les deux éléments sont beaucoup plus liés qu’il n’y semble au premier abord, le wokisme s’attache à contester le constatable, et hop, pour tenter de remplacer l’objectivité par la subjectivité (je ne suis pas plus victime de la société qu’un autre mais, si je me déclare victime, c’est que je le suis, qui es-tu pour me refuser cette caractéristique ?). Le sport est un bon exemple de cette absurdité. Il oblige les dirigeants de ce commerce à tenir un double langage.
D’un côté, les grands manitous du sport n’ont de cesse d’affirmer l’absurde « égalité des sexes ». Puisque Roland-Garros s’étale dans les gazettes, rappelons que, dans les grands chelems de tennis, les prize money sont identiques pour les deux sexes, même si les femmes gagnent en deux sets, les hommes en trois. De même, dans la perspective des Jeux olympiques de Los Angeles où l’épreuve fera son apparition, la première finale européenne de duo mixte en gymnastique s’est tenue à Leipzig. Mais pourquoi ne pas ouvrir la compétition des anneaux aux femmes et de la poutre aux hommes ? Serait-ce pas avancer vers la reconnaissance effective de l’égalité entre les hommes et les femmes ?
Sauf que, d’un autre côté, les grands manitous du sport contredisent ce mythe de l’égalité entre les sexes. Jadis, les pays de l’Est trafiquaient les hommes pour en faire des athlètes féminines ; aujourd’hui, le débat sur la partition des compétitions entre hommes et femmes trouble à nouveau les débats avec insistance. En 2018, Caster Semenya a été exclue des compétitions d’athlétisme car sa production d’hormones mâles était « susceptible d’accroître sa masse musculaire et d’améliorer ses performances ». Très gentille, la World Athletics (la fédé mondiale d’athlé) lui a proposé de subir un traitement hormonal pour faire baisser son taux de testostérone et être réautorisée à « participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine ». Caster Semenya a refusé ; elle a donc été bannie. Ironie de l’histoire, à la mi-mai 2024, elle a plaidé sa cause devant la Cour européenne des droits de… l’homme, dont on imagine que le nom devrait être bientôt changé.
De même, en mai 2025, World Boxing, instance « reconnue par le CIO comme la Fédération internationale régissant la boxe au niveau mondial au sein du mouvement olympique », réagissant à la polémique sur l’hyperandrogénie d’Imane Khelif, a rendu obligatoire des « tests de genre » afin de « répondre aux préoccupations concernant la sécurité et le bien-être de tous les boxeurs » dans le cadre d’une nouvelle politique sur « le sexe, l’âge et le poids ». Serait-ce à dire que, comme le démontre toute compétition, hommes et femmes ne seraient pas aussi égaux les uns que les autres, de sorte qu’il reste pertinent de proposer des compétitions distinctes ? D’un côté, hommes et femmes sont égaux ; de l’autre, non. Qu’en conclure ?
Sans doute que la logique woke est un illogisme. On peut la décrire, mais elle s’offusque d’être nommée telle quelle, criant à la stigmatisation. On peut montrer ses contradictions, mais elle ne remettra jamais en cause le bienfondé

  • de son credo,
  • de son combat et
  • de sa pertinence.

C’est en cela aussi qu’elle apparaît comme un « obscurantisme », selon la terminologie employée dans l’ouvrage collectif dirigé par Emmanuelle Hénin et alii ; et cet obscurantisme est double, lui aussi.  Certes, le projet de remédier, si faire se peut, à certaines injustices, paraît noble et méritoire ; ce nonobstant le fanatisme des tenants les plus tonitruants des théories woke les projette du côté obscur de la pensée. Côté pile, ce que nous avons défini comme le wokisme veut faire table rase de la connaissance qu’il juge faussée par une vision trop blanche ; côté face, il tente d’imposer une réinterprétation du réel qui, si l’on refuse les œillères adéquates, paraît souvent délirante – mais cette impression de délire, expliquent ses tenants, est le signe de sa pertinence, puisque ce que nous considérons comme rationnel n’est rien d’autre qu’une habitude de domination consubstantielle à notre civilisation, habitude que seul un geste radical peut renverser, quitte à surprendre les ironistes et les dominants actuels.
La science, dure ou appliquée, n’est pas à l’abri de ces lubies, constate dans son article Andreas Bikfalvi, médecin et professeur de biologie cellulaire. Il expose la confrontation entre le cadre éthique de la pratique médicale, symbolisée par le parfois très contesté serment d’Hippocrate, et les trois pôles de l’idéologie de la justice sociale, aka IJS :

  • la théorie critique de la race,
  • le mouvement de décolonisation et
  • la théorie du genre,

rassemblés dans le concept d’intersectionnalité, c’est-à-dire de convergence des luttes. La recherche scientifique est directement confrontée à la pression intersectionnelle qui se manifeste à travers des sigles comme DEI (diversité d’équité et d’inclusion) ou CJS (déclarations de justice de citation) susceptibles de couronner un article afin d’attester que les auteurs se sont engagés « à promouvoir la diversité intellectuelle et sociale dans les sciences et les études universitaires » en équilibrant notamment les races et les sexes des auteurs cités, même si, shame on us, aucune méthode statistique « ne peut tenir compte des personnes intersexuées, non binaires ou transgenres ». La puissance de ces billevesées est telle que Nature, organe contesté mais incontestable chef de file de la presse scientifique avec The Lancet, a donné dans la plus plate contrition en reconnaissant avoir « joué un rôle dans la création de l’héritage raciste » qui a conduit au meurtre de George Floyd.
Et ces bouffées de folie ne sont pas près de se laisser circonscrire ! En sus de vouloir orienter les futures publications, le wokisme engage à relire le passé pour constater à quel point ceux qui, jusqu’alors, étaient considérés comme de grands savants, étaient en fait de sacrés salopards, racistes, sexistes et colonialistes, ce qui remettrait en cause la validité de leurs découvertes. Il les faudrait rejeter en suivant l’exemple de Corne d’aurochs qui, tombé malade à en mourir, « refusa l’secours de la thérapeutique / parce que c’était à un All’mand qu’on devait le médicament ». Au reste, le syndrome du salopard est une maladie qui touche même ceux qui se considèrent comme non-racistes, non-mysogines, non-colonisateurs et déconstruits. Par exemple, en 2022, Michelle Morse, médecin-chef au département de la santé et de l’hygiène mentale de la ville de New York, tweetait que

 

la race non-blanche et l’ethnie latino-américaine sont des facteurs de risques sociaux de Covid grave en raison d’un racisme structurel de longue date.

 

Si nous ne nous en rendons pas compte, c’est que nous avons infusé trop longtemps dans un colonialisme dominateur. Nous n’avons même plus conscience de notre rejet des différences. La seule solution est d’adopter une attitude proactive, qui vaut pour l’ensemble des engagements wokistes. Ainsi du floutage des sexes, considéré comme

  • oppressant car binaire,
  • inexact car ne correspondant pas toujours à la façon dont se considèrent les individus, et
  • réductrice car rejetant la possibilité d’un flottement identitaire.

Pour Andreas Bikfalvi, le dualisme esprit-corps (dans ma tête, je ne suis pas ce que je semble être) ne doit pas primer sur la réalité biologique, pas plus que l’hypertrophie des sensibilités, que dopent les réseaux sociaux, à la souffrance et à l’injustice. Pourtant, les acteurs de la science ne sont pas immunisés contre les pressions sociales. L’auteur – qui propose des schémas en franglais (« Science and Médicine attaquées ») placés en fin d’article – se risque même à comparer le wokisme avec une « psychose collective » en citant Carl Jung pour qui le plus grand danger pour l’homme est constitué par l’homme lui-même car

 

il n’existe pas de protection adéquate contre les épidémies psychiques, qui sont infiniment plus dévastatrices que les pires catastrophes naturelles.

 

Dans une prochaine notule, nous verrons comment le professeur et praticien Joseph Ciccolini applique ce questionnement au cas spécifique de l’oncologie clinique. À suivre !

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 8

Première de couverture (détail)

 

Longtemps, avant Disney, Netflix fut le parangon de la culture visuelle wokocompatible. Il serait temps de rendre à Arte ce qui lui appartient aussi, en constatant que les dernières séries mises en ligne sur son site, fin mai 2025, suivent scrupuleusement la règle de communautarisation, associée ou non à la victimisation, qui caractérise l’essentiel des productions à l’ère woke. En effet, le wokisme exige de voir le monde à travers le prisme des minorités, avec deux options :

  • trouver les siens donc sa cause à défendre contre l’oppression du mâle blanc cisgenre ; ou
  • se reconnaître, éclaboussé de honte, dans la description archétypale du mauvais bougre afin de faire contrition puis de s’empresser de déconstruire sa posture systémique de dominant raciste et sexiste.

Comme l’arbre exsude sa résine, les pitchs des quatre séries récemment diffusées par Arte exsudent la communautarisation.

  • Small Axe propose de découvrir, « des sixties aux eighties, les luttes de la communauté noire de Londres pour ses droits dans un pays raciste ».
  • Le Prix de la paix revient sur « l’attitude douteuse de la Suisse après la Seconde Guerre mondiale » pour « lever un voile sur le passé » (l’axe de la repentance autour de la Seconde Guerre mondiale est l’ancêtre du wokisme).
  • Clan est « une comédie délicieusement immorale » où « quatre sœurs veulent liquider leur ignoble beau-frère » en faisant assaut d’un « humour 100 % féminin ».
  • Lost Boys and Fairies raconte le « parcours semé d’espoir et de doutes » d’un « couple gay de Cardiff » qui « entreprend des démarches pour adopter un enfant » au long d’une « poignante minisérie ».

Cette mainmise de la charte tacite recensant les bonnes pratiques de la wokocompatibilité ne s’en tient pas au domaine culturel. Selon les auteurs de Face à l’obscurantisme woke, ouvrage collectif dirigé par Emmanuelle Hénin et alii, elle touche aussi la science en général et l’université en particulier. Ainsi, Nicolas Weill-Parrot s’intéresse au procès de la science occidentale dans un article associant « wokisme, constructivisme et obscurantisme ». Amateur de mots en -isme, il y dénonce le « relativisme » qui voit dans « tout énoncé scientifique une construction élaborée par un jeu multiple et complexe de rapports de domination ». Le préfixe « dé » s’imposerait donc aux wokophiles scientophobes : il leur – partant il nous – faut

  • déconstruire,
  • démascuniliser et
  • décolonialiser

les connaissances pour, enfin, « faire le procès de l’hybris de l’homme occidental » et assez complexer l’Occident afin qu’il devienne « hypercritique de lui-même ». Leonardo Orlando prend alors le relais de son collègue pour défendre les théories de l’évolution en s’offusquant de voir « l’université contre Darwin ». Pour un lecteur pas hyper au fait des polémiques auxquelles l’auteur se réfère, l’article paraît assez confus. On comprend qu’il s’agit de « protéger la société des dangereuses lubies antibiologiques fabriquées aujourd’hui par l’université » (on n’a pas grand mérite, c’est écrit noir sur blanc), mais

  • pourquoi,
  • en quoi et
  • dans quelle mesure concrète, exemple à l’appui,

l’évolutionnisme doit-il infuser toute pratique de science sociale ou non sociale, et, enfin,

  • par qui,
  • par quelles méthodes,
  • jusqu’à quel point

en est-il empêché, ça, mystère. Aussi la charge contre « les platistes de la sociologie » tombe-t-elle, et ça fera plaisir aux susnommés, complètement à plat. Au lieu

  • d’illustrer,
  • de raisonner,
  • de démontrer,

l’auteur se contente d’affirmer, quitte à se contredire quand il annonce que, « confrontés à la théorie de l’évolution, les fables [des méchants] s’écroulent comme des châteaux de sable », ce qui relativiserait quand même hyper vachement leur danger, n’eût été ce refrain que les évolutionnistes n’ont plus leur place dans le débat scientifique. Sa conclusion : « Aujourd’hui, les universités constituent des monocultures idéologiques » incapables d’accepter le débat. Cette autovictimisation d’un auteur publiant son article aux PUF, ce qui est une forme d’exclusion scientifique assez acceptable, aurait sans doute mieux résonné avec

  • des faits,
  • des exemples et
  • des constatations

concrets. Le docteur Andreas Bikfalvi – qui n’a pas droit à sa minibio en fin d’ouvrage, contrairement à la plupart de ses collègues – nous attend à la prochaine notule pour évoquer l’impact du wokisme sur « la pratique biomédicale ». À suivre, donc !

 

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 7

Première de couverture (best of)

 

Étalon-mètre du wokocompatible, l’intérêt culturel de M le magazine du Monde se focalisait le 17 mai 2025 sur trois objets – deux livres et une exposition. Leur contenu n’étonnera pas ceux qui ont feuilleté les six précédents épisodes de la présente chronique. Le premier encense Promesse de Rachel Eliza Griffiths, compagne de Salman Rushdie, un peu pour sa dimension people, beaucoup parce que ce livre est une « évocation de la condition noire aux États-Unis », une « Histoire ponctuée de violences » :

  • victimisation,
  • communautarisation et
  • sous-jacent accusateur anti-Blancs

sont au programme. Le second livre évoqué est Intérieur nuit de Nicolas Demorand, vedette de France Inter donc très wokocompatible par profession, qui « a permis de libérer la parole autour d’un mal stigmatisé », en clair de « déstigmatiser la maladie mentale ». Les termes-clefs sont sans ambiguïté : « déstigmatiser » et « libérer la parole » sont les fonctions woke par excellence à l’aune desquelles les critiques ont légitimité à jauger un objet culturel. Le troisième coup de projecteur artistique salue le travail de Maria Abranches, qui a photographié Ana Maria Jeremias, une « immigrée congolaise » à travers l’histoire de laquelle est narré le « destin de milliers de femmes rendues invisibles dans une société encore marquée par son passé colonial » dont l’Histoire s’arrête il y a soixante-cinq ans. Là encore, les étoiles des hashtags sont alignés :

  • femmes invisibilisées,
  • immigrés victime de la colonisation, et
  • exemplum permettant de cerner une communauté.

Deux remarques sur ces éléments. D’une part, on aura noté la pulsion communautarisante, c’est-à-dire la nécessité très woke de fomenter des communautés de victimes, en l’espèce

  • les Noirs américains,
  • les malades mentaux,
  • les immigrées qui, paradoxalement, souffrent d’une colonisation – sans l’avoir connue – tout en venant s’installer chez d’ex-colons.

D’autre part, on aura compris que ces objets culturels ont toute légitimité à aborder de tels sujets ; mais la question qui se pose est liée à l’exclusivité du prisme culturel choisi par l’hebdomadaire. Or, voilà bien le sujet de Face à l’obscurantisme woke, ouvrage collectif dirigé par Emmanuelle Hénin et alii, moins « qu’est-ce que le wokisme ? » que « comment penser – et se positionner face à – l’obscurantisme qu’est ce prisme exclusif du wokisme ? ». « Sciences sans conscience », la deuxième partie du recueil, observe que le wokisme conduit certains savants à tenter de « substituer à l’étude

  • de la nature,
  • de l’anatomie et
  • de l’évolution,

une série de dogmes aberrants », du type « le sexe n’existe pas ». L’étonnement est grand de constater que « ce mouvement, issu des sciences humaines [qui,n’ont souvent de scientifique que le nom pompeux] a atteint les sciences dures ». Avec une rigueur appréciable, Samuel Fitoussi est le premier à s’avancer sur ces terrains minés pour examiner le « biais du supporteur » et le « risque d’institutionnalisation du mensonge ».
Le biais du supporteur, que nous avons évoqué tantôt, conduit le fan à interpréter le déroulement d’un match – par exemple – selon ses convictions. À chaque décision, des millions de Français peuvent juger que l’arbitre est hostile aux Bleus, peut-être parce qu’ils sont noirs, alors que d’autres millions de zozos jugeront que leur équipe est désavantagée par l’arbitrage, peut-être parce qu’ils sont blancs. Le principe est simple : ceux qui adhèrent à une cause ne voient pas les mêmes images que ceux qui n’y adhèrent pas.
À ce biais s’ajoute la facilité du syllogisme. Samuel Fitoussi en donne l’exemple suivant : « Tous les insectes ont besoin d’oxygène. Or, j’ai besoin d’oxygène. Donc je suis un insecte. » En d’autres termes, les a priori idéologiques impactent tant l’objectivité que la logique. C’est ce que l’auteur rassemble sous le syntagme de « raisonnement motivé », où « le raisonnement est le produit de la conclusion » et non l’inverse.
Sans évoquer explicitement le wokisme, Samuel Fitoussi tente de déterminer comment ces biais peuvent amener à une « polarisation toujours croissante », c’est-à-dire à une objectivité de plus en plus subjective qui me rapproche de ceux qui pensent comme moi, donc m’éloigne de plus en plus de la réalité. Portés par notre conviction, « nous pouvons rationnellement adhérer à des idées de plus en plus fausses ». Ce qui ressortissait de « légères différences d’opinion » se retrouve « décuplé avec le temps ». Sots d’emblée ou aveuglés à mesure de leur engagement (puis découragés de virer leur cuti de peur de reconnaître des erreurs), « les gens investissent leur QI dans la défense acharnée de leur propre cause, pas dans l’exploration complète et impartiale d’un problème ». C’est d’autant plus grave que, « plus on est intelligent, plus on est persuadé d’être immunisé contre les biais cognitifs ». Disons-le tout rond : plus on est intelligent, plus on a de chances d’être con.
Néanmoins, l’affirmation peut être modulée « selon qu’il s’agit d’une croyance ou d’une conviction ». Les croyances sont vérifiables (je crois que les roses sont forcément roses, vu leur nom, mais je peux constater que non) ; les convictions ne le sont pas (si j’affirme que « tous les hommes naissent libres et égaux », je pourrai bien constater que, ben nan, carrément pas, ce constat aura peu de chance d’affaiblir ma conviction). Quel rapport avec les sciences sociales, sujet officiel de l’article ? On entre ici dans la partie la moins convaincante du papier. Sans clairement étayer son propos, Samuel Fitoussi affirme que, à l’université, « on encourage de plus en plus les étudiants à lier leurs opinions à leur identité » notamment pour forger « une nouvelle identité sociale, celle de victime d’une société systémiquement raciste ». De la sorte, la fac transforme des opinions en savoir.
Pour évaluer la pertinence de cette affirmation corrosive, on aurait d’abord aimé que l’auteur creusât davantage cette question, au-delà de l’exemple non sourcé des fat studies. On aurait ensuite aimé des exemples précis et réels permettant de vérifier si et jusqu’à quel point l’université est ce que décrit le « consultant », id est une terre de wokistes prêchant des convaincus et obligeant les étudiants réticents à adopter cette posture idéologique pour obtenir leurs diplômes, en espérant qu’ils conserveront leur nouveau biais une fois le précieux sésame obtenu. Enfin, on aurait aimé que les deux tiers du chapitre consacrés à des observations psychologiques stimulantes fussent davantage soucieux de s’appliquer à l’analyse du triangle que forment

  • wokisme,
  • sciences sociales et
  • université,

ici à peine esquissé à grands traits. Espérons que Nicolas Weill-Parot se dépatouillera autrement avec ce sujet complexe – c’est ce que nous examinerons dans une prochaine notule.

 

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 6

Première de couverture (best of)

 

Dans nos précédentes chroniques, nous avons pu constater sous divers angles trois caractéristiques et projets du wokisme :

  • communautariser,
  • cliver et
  • réclamer.

Les pitchs de nombreux films du festival de Cannes ont ainsi montré cette tentative de cristallisation autour de catégories de personnes désignées comme minoritaires et victimes. La communautarisation devient l’aune de l’étalonnage artistique. Le plus souvent, les récits dits engagés visent – et ce serait leur droit le plus entier, si les organismes d’État ne finançaient pas à si grands frais de telles inclinations – à

  • fragmenter la société,
  • dénoncer une oppression actuelle ou passée (donc actuelle quand même) et, si possible,
  • en tirer quelque profit, qu’il soit
    • sonnant et trébuchant,
    • symbolique ou
    • d’image.

D’où l’importance de la mise en avant de thématiques tentant de désigner des « communautés » comme « les homosexuels » ou « les femmes ». Le grand prix de de la sélection « Un certain regard » a par exemple été attribué au Mystérieux Regard du flamant rose de Diego Cespedes, « sorte de conte queer autour d’un cabaret de travestis », tandis que le prix du scénario a été décerné à Billion de Harry Lighton, « servi par la performance du britannique Harry Melling en homme soumis aux moindres désirs d’Alexander Skarsgard » (in : Le Monde, 25-26 mai 2025, p. 23). En soi, rien de choquant, doit-on le préciser (apparemment, oui), dans ces thématiques et leur mise en avant, juste la question posée par leur importance proportionnelle.
De même, en écho moins italianisant au Fuori de Mario Martone, hommage à une « fille de militants antifascistes, elle-même libertaire et féministe », le « splendide » Love me tender d’Anna Cazenave narre la rupture qu’une mère de famille affronte après avoir « annoncé sa nouvelle orientation sexuelle à son ex-mari ». C’est l’occasion de lancer une « charge radicale contre l’idée même de famille » en dénonçant son soubassement, des « préjugés pétris d’une tacite misogynie qui entravent l’émancipation des femmes » (in : Le Monde, 23 mai 2025, p. 20). Dans cette mouvance, la victimisation des femmes par le patriarcat blanc côtoie volontiers la dénonciation d’une colonisation lointaine mais toujours présente mentalement et systématiquement catastrophique. L’important est donc de s’extasier devant l’audace nécessaire des cinéastes qui, comme Koji Fukada dans Love on trial, remettent en cause « les injonctions liées au genre » (in : Le Monde, 25-26 mai 2025, p. 23).
Dans ce contexte, mélanger plusieurs offuscations (par exemple posture dominante de l’homme et statut dominé des Africains) vaut un double bon point. Par exemple, Indomptables, « beau geste » de Thomas Ngijol, critique « le paternalisme élevé au rang d’être social, qui n’est évidemment pas sans lien avec l’héritage des structures coloniales » (in : Le Monde, 22 mai 2025, p. 24). Dans la cité aussi, un combo est toujours bien vu : Bordeaux va ainsi voir une place « renommée pour l’égalité femmes-hommes » du nom de Marielle Franco, « une activiste LGBTQIA+ brésilienne ».
Ainsi, les thématiques wokocompatibles insistent sur l’insertion des individus dans une communauté. Ne pas être membre d’une communauté, c’est passer du mauvais côté de la Force, soit parce que cette non-communauté est désignée à la vindicte populaire (ainsi de la cohorte des mâles blancs cisgenres hétérosexuels non déconstruits), soit parce celui qui pourrait être membre d’une communauté et s’y refuse devient rien de moins qu’un social-traître à la cause à laquelle on le veut réduire. Aussi l’esthétique wokocompatible tend-elle parfois à être considérée comme la norme. Un exemple récent le rappelle. Caractéristique d’un « opéra à la papa » selon Marie-Aude Roux, la mise en scène par Michel Fau du Vaisseau fantôme de Richard Wagner au Capitole de Toulouse inclut la transformation de Méphisto en « bourreau queer (capuchon rouge et torse nu boybuildé) » (in : Le Monde, 22 mai 2025, p. 25). Salut à toi, papa !
Là encore, la présence de la trilogie de victimes chère aux wokimaniaques

  • (femmes,
  • racisés,
  • LGBTQIA+)

dans la sphère culturelle médiatisée n’a, en soi, pas grand-chose de scandaleux ou d’olé-olé – hormis, en l’espèce la tendance à souiller les grandes œuvres opératiques par une esthétique homosexualisante hors de propos. En revanche, l’omniprésence de ce trend, et hop, pose triplement question :

  • ne réduit-elle pas le champ des possibles pour les créateurs ?
  • ne contribue-t-elle pas à une baisse d’appétence des consommateurs ?
  • n’étouffe-t-elle pas d’autres voix, d’autres sensibilités, d’autres façons de voir à force de laisser penser qu’il existe une pravda et un seul type de sujet susceptible d’intérêt médiatique, voire que toute dissonance serait plus qu’une fausse note stimulante :
    • un conservatisme attisant la haine en jetant de l’huile sur le feu du vivre ensemble,
    • un effrayant rejet de l’autre – rejet que l’on espérait d’un autre âge, vite, une marche blanche contre la haine, voire
    • le traditionnel rappel des pires heures – sombres et nauséabondes – de notre Histoire ?

Face à l’obscurantisme woke (PUF), ouvrage dirigé par Emmanuelle Hénin et alii, est principalement axé sur cet aspect totalitaire et religieux du wokisme, courant qui consiste à inciter chacun à se regrouper avec de supposés semblables pour se sentir victimes, combattre contre l’oppression de sa minorité et ne plus voir qu’à travers le prisme de l’oppression victimisante. Impossible d’y faire l’économie d’une réflexion sur sa dimension religieuse, la religion étant à la fois

  • foi, haha (ben on va s’gêner, tu penses),
  • soumission à des dogmes et
  • aspiration à l’universalité c’est-à-dire à une uniformisation conforme à la chapelle où l’on patenôtre.

C’est à André Perrin qu’échoit le défi de déterminer d’une part si « le christianisme est soluble dans le wokisme » et, d’autre part, si le wokisme est une religion, selon la conviction de Jean-François Braunstein. La double interrogation est d’autant plus vibrante que maints analystes estiment que la sensibilité woke prend sa source dans une dynamique de contrition très chrétienne. Selon Olivier Moos, cité par le contributeur,

 

la rédemption des péchés du monde ne se réalise plus à travers le sacrifice christique mais par celui du bouc émissaire, à savoir la figure de l’homme blanc hétérosexuel, symbole qui réunit les trois fautes à la racine des injustices (…) : la masculinité, la blanchité et l’hétéronormativité.

 

Comme toute religion, le wokisme vise à « fournir une explication globale du monde » en articulant « toutes les formes

  • d’exploitation,
  • de domination et
  • d’oppression ».

Pour les partisans de cette cosmogonie, c’est pas rien, il s’agit d’un « combat généreux pour

  • l’universalisme du droit,
  • l’égalité et
  • la liberté ».

Et André Perrin de convoquer l’une des nombreuses foutaises prononcées par feu le pape François, celle où il propose une équivalence entre la « violence islamique » et la « violence catholique » afin d’éviter toute accusation d’islamophobie. Le catholicisme n’est pas un wokisme, mais il peut se laisser largement contaminer par cette autre religion grâce à l’hypocrisie dont il est coutumier. L’objectif : désamorcer certaines critiques qui lui étaient adressées.
De même que, naguère, il a remplacé la traduction de « juifs » pour désigner les juifs qui conspuaient le Christ par « la foule » pour ne plus avoir à répondre d’incitation à la haine contre un peuple déicide, de même il continue de réserver la prêtrise et ce qui s’ensuit aux mâles tout en réécrivant des prières afin qu’elles soient plus inclusives, et en incitant les fidèles à ne pas dire

  • « les hommes » sans aussitôt dire « et les femmes »,
  • « les frères » sans aussitôt dire « et les sœurs »,
  • « tous » sans aussitôt dire « et toutes ».

Selon André Perrin, les problématiques woke interpénètrent vieilles lunes et tabous structurants des chrétiens en général et des cathos en particulier. Ainsi, quand les égéries wokistes dénoncent le sexe pour promouvoir le genre, elles expliquent que le corps est une construction culturelle qui n’a pas de fondement objectif.  Les religions chrétiennes – pas que, mais celles-là sont le sujet de l’article – tentent de codifier l’usage du corps car si Dieu s’est fait chair, il convient de préserver sa pureté au corps donc de rejeter le plus possible sa réalité physique. Le corps n’existe que dans la mesure où l’esprit l’efface. Il y a là, explique l’auteur dont nous résumons à grands traits le propos, le retour d’une hérésie gnostique sur la relativité du corps conçu comme « un vêtement dont on pourrait changer ».
Dans la perspective stimulante ouverte par cet article, on ne peut que regretter que les directeurs de l’ouvrage n’aient pas osé aborder la question de l’islam, religion qui connaît la plus grande expansion en France, au-delà des polémiques fréristes, et dont les frictions avec la vulgate wokiste laissent présager d’étincelles crépitantes. Hélas, après le travail d’André Perrin, prudent, donc trop prudent, autant dire un rien couard, mais faut bien survivre, l’ouvrage ferme le ban sur les questions institutionnelles pour l’ouvrir sur les questions scientifiques, objet d’une deuxième partie que nous recenserons bientôt.

 

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 5

Première du livre (best of)

 

Au moment où nous écrivons ces lignes, Cannes 2025 s’achève en festival.

  • Le 21 mai, la Semaine de la critique a désigné le premier lauréat, A Useful Ghost de Ratchapoom Bonnbunchachoke, qui répond à un projet : « Raconter des histoires queer plus diversifiées. »
  • Le même jour, en vacances promotionnelles sur la Croisette, Jodie Foster déplorait « le manque d’opportunités accordées aux femmes aux États-Unis ».
  • Dans le même temps, Rachida Dati, cette menteuse patentée, mise en examen pour corruption passive et trafic d’influence, qui prétend avoir « sanctuarisé le budget de la culture » après s’être fait sucrer (avec deux airs, bien sûr, quoique) les fonds résiduels en fin d’année 2024 et oublié qu’il existait un p’tit détail appelé l’inflation, dénonçait
    • « les stéréotypes de genre »,
    • le manque de « parité dans les milieux culturels » et
    • « les violences faites aux femmes ».

Tout se passe comme s’il était indispensable de s’inventer non plus une cause mais une communauté à défendre. On pense au récit soixante-huitardiste de Jean Rouaud, lançant, dans ce qui demeure sans doute son meilleur roman :

 

Comment ça ? Qu’est-ce qu’il racontait ? On était à fond pour les peuples opprimés ! Tout peuple opprimé était le bienvenu. On en manquait presque, tellement notre force d’indignation était inépuisable. On rêvait d’en adopter. Heureux le chanceux qui, profitant d’un formidable piston – un oncle missionnaire, par exemple –, se posait comme le représentant d’une tribu du Matto Grosso menacée par les intérêts d’une puissante multinationale, et dont la survie ne dépendait que de notre signature au bas d’un tract ronéotypé. (In : Le Monde à peu près, Minuit, 1996, p. 187)

 

Dans cet esprit joyeusement grotesque, les homosexuels (et leurs sous-sections), de même que les femmes (et, plus généralement, les genres non masculins), deviennent « oriflammes et drapeaux », selon l’expression désengagée d’Anne Sylvestre, à porter « comme un enfant de chœur porte un Saint-Sacrement », selon le fantasme amusant exposé par Tonton Georges quand il embouchait – quel hasard ! – les « Trompettes de la renommée ». Dans l’examen médiatique de la chose culturelle, ce n’est plus l’art qui passe en premier, voire qui passe tout court. Qu’importe

  • sa substance,
  • sa concrétude,
  • son évaluation ou
  • ses effets.

L’essentiel est ailleurs. Il consiste à déterminer à quelle communauté (sexuelle, raciale ou politique, par exemple) s’agrège l’artiste, fût-ce en revendiquant de ne pas se soucier des cases ou de vouloir déborder le support.
Par conséquent, il est loin d’être inintéressant de se demander comment le courant wokiste définit une communauté. Plutôt que d’enquêter de façon sémantique ou générale, Vincent Tournier, universitaire grenoblois oscillant entre sciences politiques et sociales, propose, dans sa contribution à Face à l’obscurantisme woke (PUF), de l’envisager à travers l’exemple du CSA qu’il soupçonne d’être le « temple caché du wokisme » et dont il propose de décrypter le « baromètre de la diversité ».
L’auteur commence par poser que le wokisme est « l’idéologie qui soutient que le racisme et les discriminations ont un caractère systématique (aussi appelé systémique) », rappelant presque avec humour l’étrange jeu des épithètes, « systémique » tendant à remplacer « systématique » alors que « sociétal » remplace volontiers « social », nourrissant le mystère du jargonnisme jargonnant… Notons que cette remarque juste inscrit le wokisme dans ce que les psychologues – et on y viendra bientôt – appellent un « biais de confirmation ». Si le talonneur du quinze d’Angleterre est « coupable d’un mauvais geste » sur un rugbyman français, c’est parce que les Anglais sont de mauvais joueurs, retors et impuissants sans l’utilisation d’une violence bien sûr circonscrite aux joueurs à la rose. Si un Latino tue des employés d’une ambassade israélienne, c’est que tous les latinos ou, élargissons, c’est tellement pratique, tous les non-juifs (mais aussi certains juifs furieux contre Benjamin Netanyahou), sont antisémites. Comme le meuglent les supporters après qu’un adversaire a été sanctionné, c’est comme ça « depuis l’début, m’sieur l’arbitre ! »
Ainsi se dessinent trois traits complémentaires du wokisme :

  • son systématisme a priori (tous les gens d’une même communauté sont pareils, qu’ils soient « gentils » ou « immondes »),
  • sa collectivisation très chrétienne de la faute (laquelle retombe sur le fauteur et tous les siens), et
  • son essentialisation (nous agissons comme nous agissons parce nous appartenons à telle communauté naturellement hostile à telle autre communauté).

Vincent Tournier cherche donc à déterminer comment cette idée communautariste clivant le peuple en différents groupuscules s’est imposée dans les rangs de la future Arcom. Il estime que tout commence en 1999, quand, sous la pression de Catherine Tasca, le CSA stipule, dans ses conventions avec les chaînes privées, que ces dernières doivent veiller à une « meilleure représentation à l’antenne de la diversité de la société française ». Fin 1998, Calixthe Beyala, peut-être pour se trouver une juste cause alors qu’elle vient d’être condamnée pour plagiat, avait « exigé » semblable mesure en compagnie d’autres « artistes noirs », dont Dieudonné M’Bala M’Bala, cinq ans avant de devenir l’Infréquentable avec le profit que l’on en général et les services fiscaux en particulier savent. Néanmoins, le projet pose des questions éthiques quant à l’art de « dénombrer les individus selon leurs origines raciales ou religieuses ». L’outil de comptabilisation est mis hors jeu.
Pour autant, ce pas de côté sert la cause noire plus qu’elle ne la dessert. En effet, faute d’outil pour « mesurer la diversité » (ce à quoi le tenant du Grand Remplacement était aussi favorable que le CSA), il est loisible de dénoncer, hors toute enquête objectivante, une « représentation injuste de la société » entraînant la menace d’un « décrochage dangereux pour la cohésion sociale ». Les premiers éléments de définition institutionnelle de la diversité s’appuient donc uniquement sur la couleur de la peau… et sur un ressenti : çui-là, c’est un Blanc, çui-là, c’est pas un Blanc (on rigole presque, mais les statistiques futures du CSA seront fondées sur la distinction entre Blancs et non-Blancs, le statut des albinos restant indéterminé).
Il faut attendre 2007 pour que le CSA, sous la pression des pillages banlieusards de 2005, lance un « Observatoire de la diversité dans les médias ». Derrière les violons mettant en musique – sans argument anthropologique – son utilité sociale, le nouveau projet de comptabilisation est triplement malaisant pour ses zélateurs.

  • Il oblige à admettre la part très conséquente de la population d’origine non-européenne présente sur le sol métropolitain ;
  • il introduit une scission entre les citoyens qui acte le passage d’une communauté nationale au principe états-unien de salad bowl (plein d’ingrédients différents et non mélangeables dans un même saladier-territoire) ; et
  • il oblige les politiciens, journaleux et commentateurs à des acrobaties rhétorico-sémantiques pour expliquer pourquoi la comptabilité du CSA est souhaitable, alors que le décompte des Blancs dans le onze national proposé par Jean-Marie Le Pen – et qui ne manque pas de revenir sur le devant de la scène vue la composition actuelle de cette équipe – est un scandale absolu.

La question pourrait mériter d’être posée. Pourquoi expliquer que les Blancs dominent la France et soumettent les non-Blancs – la preuve : on ne voit qu’eux sur le petit écran, qui a grandi dans les salons et rétréci sur les cellulaires –, c’est hype, alors que constater qu’il n’y a quasi plus de footballeurs blancs dans l’équipe nationale est proche d’un crime contre l’humanité ? Parce que, explique Vincent Tournier, revendiquer une « meilleure visibilité » pour les minorités « apparaît comme la moindre des choses pour racheter les fautes du passé » ; par conséquent, constater que l’on ne peut donner plus de visibilité aux joueurs de ballon rond dans l’équipe nationale, ce serait mettre un terme à la repentance renifleuse dont certains savent tirer, disons, les marrons du feu.
Si l’on met de côté – provisoirement – son sous-jacent utilitariste voire électoraliste, le wokisme apparaît avant tout la rencontre entre une revendication utilitaire de ceux qui se présentent indûment comme les représentants ou les porte-voix de communautés, et la mauvaise conscience susceptible d’être suscitée par des discours habiles ou simplement virulents (la force de conviction convainc parfois mieux que l’argumentaire le plus pertinent). À telle enseigne que le « baromètre du CSA » n’a pas de visée d’objectivation ; il vise seulement à affirmer, avec l’intrigante Delphine Ernotte – qui en tirera les bénéfices en obtenant notamment trois mandats à la tête de France Télévision – que nous avons « une télévision d’hommes blancs de plus de cinquante ans et, ça, il va falloir que ça change » (même si cette Blanche de 58 ans n’a pas hésité à solliciter avec succès sa reconduction tout en haut de FTV, y a pas de plaisir quand y a d’la gêne).
Aussi la méthodologie de l’étude se fiche-t-elle de la rigueur comme de colin-tampon. Pour son champ d’étude, elle

  • se fixe un temps d’examen de deux semaines choisies au pif du doigt mouillé,
  • s’en tient
    • à la TNT,
    • aux programmes diffusés de 17 à 23 heures auxquels elle agrège
    • quelques programmes de la mi-journée, et
  • exclut ou intègre sans justification la publicité ainsi que des émissions de sport ou de divertissement.

Apparemment, la question du temps d’apparition des personnes étudiées et de leur posture n’est pas pris en compte. C’est Bricolo et Bricolette partent au camping, mais le n’importe quoi va plus loin. Comme critères discriminants permettant de cerner les personnes à l’antenne, l’étude élit

  • la CSP,
  • le sexe (ô temps révolu qui précède l’ère du genre !)
  • « l’origine perçue ».

Par la suite, sont intégrés

  • le handicap,
  • l’âge,
  • la situation de précarité (sic) et
  • le lieu de résidence.

Selon Vincent Tournier, ces différenciations sont un écran de fumée : la race est « la principale raison d’être du baromètre ». Pour faire coulisser la pilule au fond de la glotte sans que les antiracistes ne s’étouffent, « le CSA insiste sur le fait que sa classification repose sur la perception de la réalité, non sur la réalité elle-même ». Partant, il distingue « des personnes perçues comme blanches ou comme non-blanches » selon « la perception qu’en auraient la plupart des téléspectateurs (sic) ». Les personnes peuvent être

  • blanches,
  • noires,
  • arabes,
  • asiatiques ou
  • autres.

Adieu

  • métissage,
  • rigueur,
  • magies de la fiction (dans quelle catégorie classer une soprano noire interprétant une héroïne blanche ?) !

Toutefois, il est formidable de constater que, de cette mascarade, sortent des chiffres qui émeuvent : seulement une quinzaine de pourcents de non-Blancs, ce qui est « largement insuffisant » pour « représenter la réalité de la société française ». Quatre problèmes se posent :

  • il n’existe pas de statistique officielle sur la race des personnes résidant en France, l’étude de la représentativité raciale n’a donc aucun point de comparaison fiable ;
  • l’auteur demande : « Que devrait être une situation satisfaisante : 20 % ? 30 % ? 50 % ? – en d’autres termes, le wokisme amène à se demander combien il reste en France de ce que Manuel Valls, pas encore ministre de l’Outre-mer (ç’a dû lui faire un choc, le pauvre petitou !), marchant dans Évry sans en trouver assez à son goût, appelait « des Blancs, des White, des Blancoss » ;
  • la valorisation des minorités ne saurait se réduire à une quotité, pour ainsi dire, mais peut se faire au détriment de l’Histoire et de la culture nationales ;
  • la problématique racialiste obère l’observation d’autres réalités, pourtant constatées, comme la surreprésentation des hommes dans les rôles négatifs et des « héros non-blancs » au détriment des « héros blancs ».

Au terme de cet article stimulant, force est de constater que le baromètre du CSA – analysé comme l’exemplum d’un phénomène plus vaste – est un gadget

  • scientifiquement minable,
  • politiquement inquiétant et
  • intellectuellement aberrant.

Scientifiquement, la méthodologie est inepte. Politiquement, la classification raciale ravive des réflexes sordides dont la puissance délétère a déjà été éprouvée par le passé (peut-être n’est-ce pas innocent). Intellectuellement, le raisonnement est

  • biaisé,
  • empêché et
  • pollué.

Biaisé car, oui, la population de la France métropolitaine a longtemps été blanche, il n’est donc ni absurde ni choquant que l’on trouve davantage de Blancs parmi les personnes fortement visibles, c’est le contraire qui serait renversant ; empêché, car la question de la représentativité des personnes visibles à la télévision ne peut s’envisager qu’en se demandant quelle part a, aujourd’hui, la population blanche dans l’Hexagone, ce qui est un Grand Tabou ; et pollué, car le baromètre CSA ne vise pas à étudier, observer, étalonner, comparer, réfléchir, proposer mais à « s’arc-bouter sur l’idée que les minorités raciales sont systématiques exclues, offrant ainsi un boulevard au wokisme ».
Cette piètre victoire institutionnelle est un encouragement au racisme d’intellectuels de la trempe rigolote mais médiatiquement encensée d’un Lilian Thuram fustigeant « la pensée blanche » et à la communautarisation de la société française. Sous cet angle, il est évident que le wokisme institutionnel contribue à la déréliction de la nation et de la pensée françaises. C’est sans doute sa fierté, mais doit-on lui en savoir gré ?

 

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 4

Première de couverture (best of)

 

Wokisme et antiwokisme ont un point commun : leurs hérauts se considèrent comme des victimes. Les anti appellent souvent à constater l’asymétrie des prises de parole et l’impossibilité de développer un discours argumenté sans être ouhouhté voire honni par les tenants de l’ordre rétabli. Les pro affirment se battre contre l’injustice dont « les leurs » souffrent, avec cette particularité de prétendre qu’ils n’existent pas, le wokisme étant un concept plus ou moins assimilable à un repoussoir sciemment vague de la droite bolloréenne ; et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir les tenants d’une idéologie nier l’existence d’une litanie victimaire dont les éléments de langage tintinnabulent comme autant de hashtags obligatoires pour paraître idéologiquement convenable !
Pourtant, un exemple récent illustre la forte présence d’une phraséologie aux relents woke. « Maître de cérémonie » à l’ouverture du festival de Cannes, ce 14 mai, Laurent Lafitte a donné la liste des bons engagements politico-sociaux en saluant « les actrices et les acteurs (sic) qui ont le courage de parler » car

 

la prise de parole est souvent sacrificielle, à l’heure où le climat, l’équité, le féminisme, les LGBTQIA+, les migrants, le racisme ne sont plus seulement des sujets de films, mais également des mots interdits par la première puissance mondiale (in : Le Monde, 15 mai 2025, p. 23).

 

La phrase est tortueuse, mais c’était le prix grammatical à payer pour tout mettre dans une même sentence et repartir « sous les applaudissements ». Comme dans un bingo moral, le maître accumule les bonnes pioches :

  • la dénonciation du trumpisme (qui pourrait aussi bien être celle de n’importe quelle droite, que l’on prendra soin d’appeler « extrême-droite », évidemment) ;
  • la posture de double victimisation (victimisation première des acteurs censurés, victimisation secondaire de leurs protégés) ; et
  • la sélectivité des « bonnes victimes » (la planète, les femmes, les homosexuels, les étrangers en situation irrégulières, les racisés),

pointant de facto les sujets qui, eux, ne méritent pas d’intéresser le monde de la coke ou de la fuck culture de riches et d’ultrariches qui se trouve rassemblé à Cannes :

  • rien sur la pauvreté grandissante dans nos propres pays,
  • rien sur les massacres en cours dans le monde,
  • rien sur la remise en cause des libertés publiques individuelles,
  • rien sur la trahison de la démocratie dans les pays démocrates donnant des leçons de démocratie aux autres,
  • rien sur la substitution des budgets de la culture au profit des budgets de la guerre, etc.

Le wokisme a des réveils sélectifs alors qu’il procède d’un discours largement mondialisé. C’est ce que propose de vérifier Michel Albouy dans « Le wokisme des grandes entreprises mondialisées au vingt-et-unième siècle : pourquoi et jusqu’où ? », article intégré à la première partie de Face à l’obscurantisme woke, publié aux PUF sous la direction d’Emmanuelle Hénin et alii. L’universitaire revient sur les politiques DÉI, pour « diversité, équité et inclusion » en complément des critères ESG (d’environnement, de société et de gouvernance), ces mascarades destinés à blanchir ou verdir, c’est selon, l’image des grandes boîtes capitalistes afin de flatter les marchés financiers et de duper les gogommateurs qui le veulent bien. Par exemple, L’Oréal, bien noté par les évaluateurs ESG à leurs service, postule qu’il ne « sera pas possible de prospérer dans une société qui n’est pas inclusive ou durable » (116), ce qui a au moins l’avantage de l’honnêteté : toute cette comédie n’a qu’un but, augmenter les profits.
Ce n’est pas toujours le cas : Michel Albouy rappelle que les objectifs des critères ESG peuvent aussi être de se conformer, selon sa crèmerie préférée, à la charia ou aux « directives d’investissement responsable de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis ». La notion de « valeur », que l’auteur ne prend hélas jamais la peine de définir, se révèle aussi malléable que les critères ESG sont manipulables et plus visqueux que fluides. Selon Michel Albouy, les politiques DÉI vont plus loin pour satisfaire l’appétit wokiste des gros entrepreneurs qui « considèrent la diversité comme le fondement d’une société performante socialement et économiquement » (121). Là encore, l’objectif est de performer, ce qui est la moindre des causes pour une entreprise. Néanmoins, pour saisir la complexité de cette liaison entre performance et engagement ESG, fors les credo obligatoires, on regrette le manque de rigueur par lequel pêche l’article. Ainsi,

  • la notion de « diversité » n’est jamais explicitement sondée ;
  • les chiffres de la représentation de ladite diversité dans les boards ne sont pas cités, ne permettant pas de saisir la réalité de la diversification ;
  • la logique de l’argumentaire est pour le moins claudicante puisque, après avoir estimé que les conseils d’administration s’étaient un peu mais peu diversifiés, l’auteur explique que cette diversification est néanmoins à l’origine « des actions visant des questions sociétales à travers des politiques DEI ».

Selon la grammaire antiwokiste, Michel Albouy préfère à un exposé solidement construit l’insertion d’anecdotes malaisantes donc percutantes, comme le coup du « Soyez moins blanc », formation par laquelle Coca, en 2021, voulait faire prendre conscience aux Blancs qu’ils étaient

  • arrogants,
  • méprisants,
  • offensants

car

  • structurellement,
  • ontologiquement,
  • indécrottablement

racistes, ce qui est aussi convaincant que de désigner telle autre race comme définitivement débile parce que ses membres n’ont pas l’insigne honneur d’être blancs. Si désigner le Blanc comme une ordure devrait autant choquer que de désigner le nègre, l’Arabe ou le juif comme un vaurien, nul besoin d’être un chougnassou de première pour constater que ce n’est pas souvent le cas.
D’autres exemples, moins ouvertement anti-Blancs, rythment l’exposé. À l’offensive multiculturaliste de L’Oréal (ce qui est assez logique pour une marque mondiale) est agrégée par l’auteur la mobilisation de Heineken pour « le rayonnement et l’inclusion des personnes LGBT+ au sein de l’entreprise » car « le brassage est une richesse (one point) et chacun.e (another point), dans sa diversité, contribue au succès de l’entreprise (standing ovation) ». En interne comme en externe, les politiques DEI permettent de réaffirmer à frais nouveaux et purifiés l’objectif de croissance consubstantiels au projet capitaliste.
L’auteur esquisse – esquisse à peine, hélas – la finesse avec laquelle il convient de manier ces grands discours, lesquels peuvent porter des entreprises mais aussi, à l’occasion, foudroyer des marques dont employés et consommateurs trouveraient qu’elles exagèrent. Faute de place, sans doute, ce phénomène de rejet des politiques DEI, avant même le retour de Donald Trump, passe à la trappe dans un article dont l’écriture est grevée par

  • des imprécisions (manque
    • de définitions,
    • de chiffres,
    • de sources,
    • de volonté de répondre précisément à la question posée dans le titre),
  • des redites (multiples traduction des mêmes sigles),
  • des collages maladroits (« par ailleurs »),
  • des termes vides (« un certain nombre de », « véritable/ment ») et
  • des redondances (« mais… cependant »)

qui laissent le lecteur sur l’impression d’un manque d’exigence et de précision ne paraissant pas à la hauteur ni du CV de l’auteur, ni d’un sujet que l’on aurait aimé exploré plus systématiquement. Serons-nous plus ébaubis par le prochain épisode, sur le CSA et la diversité ? Suspense jusqu’à la prochaine notule !

 

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 3

Première de couverture (détail)

 

Le wokisme est une litanie. Il n’est pas

  • constat d’échecs générationnels,
  • revendication politique,
  • dénonciation sociologique.

Il est itération. Le wokisme modéré est un oxymoron qui n’existe pas – pas sûr qu’il soit urgent de l’inventer. Par essence, le wokisme, comme tout fascisme, est obsessionnel voire hystérique, car il espère et exige un unisson et, surtout, une uniformité dénonçant une autre uniformité supposée. Comme tout fascisme, le wokisme est fondé sur la haine de l’autre, l’autre étant le Blanc cisgenre. Ainsi, avant de se désister, l’université Grenoble Alpes a validé « une quarantaine d’inscriptions artistiques » d’Emmanuelle dite Petite Poissone proclamant, entre autres :

  • « Le monde a mal. Normal, il est dirigé par des Blancs et des mâles »,
  • « La Terre est monochrome comme un arc-en-ciel, le racisme est juste blanc »,
  • « Aux échecs comme à la vie, les blancs ont un coup d’avance » ou
  • « J’aimerais grand-remplacer le gouvernement français ».

Cette haine et cet appel à la haine sont confortés par les institutions et par le fait que la justice garantit que les éventuelles réponses virulentes des insultés seraient, elles, punies de prison : le wokisme est une couardise sous bouclier. Atout supplémentaire, ces messages  peuvent s’exprimer mezza voce mais non moins intensément. Par exemple, quand, après avoir consacré deux pages sur l’avenir de la SF que serait « l’afrofuturisme », étiquette qui « libère les imaginaires » car son origine est attribuée à une « écrivaine féministe », Le Monde des livres du 16 mai 2025 sélectionne p. 4 huit livres d’auteurs présents à une vente de livres montpelliéraines. On y trouve notamment

  • une dénonciation de la colonisation allemande du Cameroun (« comment peut-on se révolter contre la domination coloniale et rejeter ainsi son fils ? ») pour représenter le versant racialiste du wokisme,
  • un produit racontant l’histoire d’une personne qui « se désigne au masculin la plupart du temps, pas toujours, mais est systématiquement genrée au féminin » pour s’opposer au lien entre sexe et genre,
  • un objet féministe où « l’autrice, née en 1983, se fait le porte-voix de son propre corps et ceux d’autres femmes » car « l’autrice s’intéresse (…) aux ravages du patriarcat » pour poser que les hommes cisgenres sont des salauds, et
  • un épigone tentant de profiter de la notoriété de Nelly Arcan, certes « femme qui écrit sur la sexualité » mais surtout « femme étouffée par les normes imposées à son genre » (à son genre, hein, pas à son sexe) pour vilipender la domination éternelle des hommes.

C’est la prévalence de ce ressassement associant communautarisme – donc haine de l’autre – et victimisation sélective qui a ému les participants du colloque livresque manifesté par Face à l’obscurantisme woke, paru aux PUF sous la direction d’Emmanuelle Hénin, de Xavier-Laurent Salvador et de Pierre Vermeren. Lequel Xavier-Laurent Salvador signe un article sur l’école « à l’heure de la dénonciation des codes de la culture dominante ». Écrit sans doute à la va-vite ou en pariant sur l’adhésion a priori du lecteur, le texte s’offre quelques moments grotesques comme cette dénonciation des « sélections dans des domaines tels que le sport, le football, la mode » même si, à titre personnel, on a un peu du mal à considérer cette farce du ballon rond comme un vrai sport, bref. L’article est une charge contre l’université qui encouragerait les doctorants à travailler « sur des thématiques cruciales telles que la race et le genre ». L’auteur bondit devant l’enseignement de l’intersectionnalité en Inspé afin de « limiter les enseignements empêchés » transformant in fine « l’appartenance ethnique, sociale ou culturelle » en « alpha et oméga de l’enseignement scolaire » à cause de l’université, la maudite université. La charge gagne en fureur polémiste ce qu’elle perd en

  • clarté,
  • précision et
  • efficacité,

donc beaucoup, sinon tout. Moins à l’aise à en croire les formules gnangnan et souvent maladroites qu’elle dégaine, Céline Masson n’en prétend pas moins démonter « la fabrique d’une utopie et son imposition (aïe, faux sens) totalitaire ». Pour l’essentiel, elle dénonce « l’exhibition de l’intimité » afin de défendre « une cause commune qui reste hyper subjectiviste », id est la transformation du constat de sexe en libre-service du genre, l’ensemble étant enveloppé dans la menace de la stigmatisation réservée à la « LGBT-phobie » ou à l’accusation d’être « anti-trans ». La communication de la psychologue se révèle n’être qu’un plaidoyer pataud – euphémisme – pour les organismes qu’elle

  • fonde,
  • dirige ou
  • anime

à tour de bras, au grand dam (selon elle) de « militants transaffirmatifs » ayant parfois été, crime ultime, candidats « sur une liste LFI-PC-ND ». Car le wokisme est politique, mais la politique woke est difficile à cerner. Pour éclairer cette part sombre de la question, Pierre Valentin propose d’examiner les « accords et désaccords entre le libéralisme et l’idéologie woke ». Explicitons : le wokisme étant censé caractériser « la gauche », méchante et sale, le libéralisme est l’autre nom de la droite, gentille et d’une propreté pimpante.
Selon Pierre Valentin, qui ne prend hélas guère la peine de s’appuyer sur de vivants exemples, le wokisme est une idéologie envisageant les « structures occidentales » comme des projets ayant pour but d’inférioriser l’Autre. Ainsi, le wokisme considèrerait la raison comme une fiction de Blancs visant à entériner leurs préjugés. Le résultat est la transformation d’un « individu rationnel et autonome (« Je pense donc je suis ») » par un « individu victimaire (« j’ai souffert donc j’ai raison ») » et constructiviste (« les différences entre les hommes et les femmes disparaîtront une fois le système patriarcal aboli »). Le sympathisant woke est « exceptionnellement fragile et paranoïaque », mais – ou donc – prêt à s’associer à des semblables pour « formuler une normativité commune » non plus positive, c’est-à-dire revendiquant un ensemble de réalités objectivables, mais opposées aux normes qu’il estime

  • stigmatisantes,
  • humiliantes et
  • oppressantes.

Dans ces conditions, si le libéralisme philosophique et politique est un piètre adversaire au wokisme, selon Pierre Valentin, il connaît grâce à son adversaire ses défis : « Rebâtir l’unité perdue et apporter une réponse à la crise du sens. » Manque, dans ce balabala infécond, d’autres formules aussi creuses telles que :

  • reconstruire un narratif d’inclusivité républicaine,
  • refonder un cap, et
  • travailler à un vivre-ensemble sincère et réellement engageant.

Ainsi imaginé, l’antiwokisme universitaire semble à l’image d’un recueil d’articles où l’analyse est souvent assez idéologique pour sombrer dans des marais

  • vaseux,
  • verbeux,
  • vides

que l’idéologie qu’elle aspire à déminer. À suivre : le moins mauvais est peut-être à venir !

 

« Face à l’obscurantisme woke », Emmanuelle Hénin et alii (PUF) – 2

Première de couverture (détail)

 

Le wokisme est un prisme et un discours considérant les individus selon leur appartenance communautaire. Celle-ci permet de hiérarchiser les groupes selon leur degré – cumulable – de victimisation, évalué notamment selon

  • la race,
  • le sexe désormais appelé le « genre »,
  • l’orientation sexuelle et, de façon plus polémique,
  • la religion (les deux religions permettant d’être victimisé étant le judaïsme et l’islam).

La hiérarchisation dans la gravité de la victimisation entraîne, à l’inverse, la stigmatisation de l’individu non-victimisé, alors reversé dans une catégorie de dominant à déboulonner voire plus si affinités – c’est le cas

  • des Blancs,
  • des catholiques,
  • des hétérosexuels mariés,
  • des personnes votant pour ce que la coopérative intersectionnelle des victimisés désigne comme l’extrême-droite,

le tout pouvant, là encore, être cumulatif. Emmanuelle Hénin, Xavier-Laurent Salvador et Pierre Vermeren ont dirigé un ouvrage collectif assumant de dénoncer moins cette (im)posture du wokisme que sa tendance à être envahissante et totalitaire. Le recueil de brèves communications est une manière kaléidoscopique d’analyser le bienfondé d’une sensation d’étouffement susceptible de saisir, par exemple et sans exclusivité, l’observateur de la vie culturelle. Ainsi des choix du Monde pour ses chroniques de spectacle, qui semblent souvent fondés sur la compatibilité entre le pitch et les théories wokisantes. Pour illustrer ce propos, notons que, le 13 mai, le journal évoquait deux spectacles :

  • les chorégraphies de Renato Cruz, « au carrefour des danses urbaines, des problématiques décoloniales et des enjeux sociétaux », page 25, l’artiste se produisant dans un festival qui « accueille des performeurs (sic) autour notamment, des identités queer et de l’histoire de l’esclavage », d’une part ; et, d’autre part,
  • la pièce d’Agnès Limbos visant à dénoncer « le poids du colonialisme en Belgique et de l’éducation catholique » page 27.

La résonance entre les objets d’intérêt laisse entendre, à force d’occurrences similaires, que l’art officiel est pour partie gangréné par une phraséologie et une posture politique pour le moins wokocompatible, ce dont il est difficile de rendre raison sans susciter réprobation et accusations de complotismofascisme. L’affaire est d’autant plus inquiétante que l’obsession pour la victimisation des Noirs ou des homosexuels, qui n’émane pas souvent des soi-disant intéressés (sans doute parce qu’ils sont victimes d’une relation d’emprise les soumettant aux Blancs) mais peut être suscitée par l’aspiration à l’obtention de subventions plutôt qu’à une mauvaise conscience sincère ou fabriquée pour être dans l’air de l’ère, ne se limite pas à la critique culturelle, loin de là. Les auteurs de Face à l’obscurantisme woke s’offusquent d’une prégnance beaucoup plus systémique d’un tel biais. C’est ce qu’ils développent dans une première partie intitulée « La subversion des institutions ».
Selon eux, le wokisme marque une mutation anthropologique consistant à ne plus rechercher la concorde sociale mais la discorde communautariste fondée sur une opposition frontale entre « les dominants, les méchants, les arriérés » et leurs victimes effectives ou transgénérationnelles (au sens où certaines communautés estiment qu’elles ont souffert parce que leurs ancêtres auraient souffert d’une domination dont il faut obtenir repentance et, surtout, réparation trébuchante). D’emblée, les directeurs de publication envoient Nathalie Heinich, qui avait signé toute seule Le Wokisme serait-il un totalitarisme ? (Albin Michel, 2023), expliquer « les raisons du succès du wokisme ».
La première de ces raisons serait notre capacité à nous « affilier mentalement » à des communautés fondées non sur des idées abstraites ou générales – telle que la nation – mais sur une similitude immédiate. La seconde serait moins un réflexe qu’un moyen : les réseaux sociaux

  • amèneraient la constitution de « bulles cognitives » enfermant les individus dans des cercles autonourrissants,
  • répandraient des exemples internationaux (notamment angloaméricains) de modèles multiculturels communautarisés, et
  • renforceraient les réflexes d’exclusion consistant à
    • stigmatiser,
    • conspuer voire
    • anathémiser, et hop, celui qui m’est désigné comme « autre ».

Dans son article assez peu en cohérence avec le titre de la première partie, Sami Biasoni feint de s’étonner de l’association entre « déni des phénomènes » et « évitement du débat ». Son but : répondre à ceux pour qui le wokisme serait une rumeur d’Orléans, autrement dit une fake news inventée et diffusée, en l’espèce, par les conservateurs. La dénonciation du wokisme participerait-elle de cette « panique morale » que les sociologues ont diversement définie ? Pour Sami Biasoni, une telle accusation obère la nature du wokisme pour qui

  • la domination d’une classe (les Blancs cisgenres, hétérosexuels et éventuellement catholiques) aliène « l’autodétermination et la liberté » de leurs semblables dissemblables,
  • la subjectivité de la souffrance victimaire n’est pas moins objective – euphémisme – que l’objectivation de la réalité, et
  • la non-pertinence d’une méthodologie analytique – fût-elle fondée sur une problématique anachronique – justifiant le discours victimaire ne doit pas avoir d’impact sur l’évaluation de la validité du discours revendicatif.

Sans doute est-ce ce que les auteurs, dans leur diversité, considèrent comme l’obscurantisme woke, c’est-à-dire la capacité à nier la réalité :

  • les races n’existent pas,
  • les sexes n’existent pas,
  • l’objectivité ne rend pas raison du réel.

Or, si l’antiwokisme n’est pas le résultat d’une « panique morale », explique Sami Biasoni, c’est qu’il ne vise pas à livrer en pâture à la haine populaire telle ou telle catégorie minoritaire de personnes. En revanche, il aspire à montrer la faiblesse des éléments de langage et de raisonnement visant à la « déconstruction civilisationnelle de l’Occident »… avec plus ou moins de brio. En la circonstance, l’on regrettera la confusion qui, peu à peu, gangrène l’article, plus enflammé que rigoureux, convoquant ici Eugénie Bastié, l’égérie de la droite Bolloré, çà Platon, là Michel Maffesoli, fomentant un grand blouguiboulga référentiel, et s’envolant dans des sphères à nous inaccessibles comme quand il écrit, p. 61 :

 

La non-réalisation révolutionnaire peut résulter de l’empêchement justement permis par la réaction.

 

Gâ ? Bon, reprenons souffle et retrouvons-nous tantôt pour la suite de nos aventures entre Wokeland et Antiwokeland !