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Peut-on apprendre à écouter de la musique contemporaine, sans guère de mélodie ou de modes aisés à reconnaître ? Nous avons rendu compte jadis de notre curiosité gourmande pour ce domaine musical (voir ici). Mais cette question de didactique était, pour la forme, à l’honneur, ce 12 janvier, puisque étaient programmés trois compositeurs formés les uns par les autres, et interprétés ce soir-là par l’Ensemble intercontemporain sous la direction du jeune et expérimenté Cornelius Meister.
En première partie, Jörg Widmann, né en 1973, propose, pour une quinzaine de musiciens, Freie Stücke, soitdix pièces d’une durée totale de vingt minutes.  C’est palpitant car fort divers, et c’est souvent assez séduisant à entendre. Au travail classique, pour les pièces liminaires, sur l’infra-note (souffle, pianissimi…) succèdent des variations autour des repères habituels de la musique (rythme reconnaissable, mélodie au vent soliste, accords modaux enchâssés dans un flux sonore qui se désagrège, solistes que la wah-wahisation transforment). Une tension liée à une série de pièces plutôt statiques entraîne une explosion sonore stimulante pour l’auditeur, avant que le mouvement reflue – le principe de ces pièces étant qu’elles s’emboîtent les unes dans les autres, la dernière doit finir cool puisque la première commençait sur ce modèle.
En bon Américain, Mark Barden, né en 1980, enveloppe a tearing of vision d’un joli storytelling. Alors qu’il terminait cette pièce sur la déformation que nos sens, et singulièrement la vue, impose au monde, sa sœur Kimberly s’est réveillée à moitié aveugle. L’histoire est mignonne quoique triste ; mais la musique, qui piétine sur une douzaine de minutes, nous a paru sans intérêt. Une grande formation propulse cette création avec fracas (martèlements dans le suraigu du piano, claquements des aigus pour la harpiste…) sans que, à aucun moment, on ait l’impression d’être happés dans une histoire, un défi, pourquoi pas une création artistique. Ai pas du tout aimé.
Après la mi-temps, gros morceau : Jagden und Formen, de Wolfgang Rihm (né en 1952), dans sa version de 2001. C’est une manière de symphonie touffue, sans interruption, qui envoie d’un bloc une énergie musicale quasi étouffante. En réalité, deux grands moments très calmes et lents, situés astucieusement vers chaque tiers de l’exécution, permettent aux oreilles de reprendre leur immobilité habituelle. Dans l’intervalle, elles battent et oscillent au rythme des à-coups sonores (motif énergique des violons qui se répand sur l’orchestre ; élégant traitement de la harpe entre percussion, notes perlées et cordes frottées ; usage de toutes sortes de percussions, des claviers au sifflet en passant par le papier alu froissé par les musiciens au final…). C’est pas si loin d’une symphonie de Chostakovitch (grand ensemble, vastes proportions, percussions, cuivres à l’honneur…) qui serait partie en distribile. Certes, la profusion rend parfois l’écoute complexe sinon impossible (à aucun moment, par ex., nous n’avons perçu le chant de la guitare classique ou de la basse électrique). L’ensemble demeure néanmoins d’un grand intérêt, au-delà même de la complexité d’une partition que dirige avec assurance Cornelius Meister, devant des musiciens Intercontemporains comme toujours très concernés.
En définitive, pour l’ignorant curieux de musique contemporaine, une soirée inégale, donc intéressante car pourvue de vrais morceaux de musique et non seulement d’expérimentations théorico-rhétorico-mathématiques.