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L'homme vu par Luigia Riva

L’homme vu par Luigia Riva

Quatre danseurs en slip doré (l’homme tire toute sa gloire de sa bite, mais elle n’est que paillette quand elle n’est pas poutre, qui n’en doute ?) affublés de proéminences situées à l’intersection entre le ganglion et le muscle hypertrophié : telle est l’arme qu’a dégainée Luigia Riva, chorégraphe, contre le machisme, l’androcentrisme et le seskisme. En tout cas, telle est la promesse d’Innesti, id est celle d’une “danse organique” en tant qu’elle serait l’anatomie d’une virilité normée, geste puissant, [qui] remue nos inconscients”.
Comme il s’agit de conscientiser l’inconscient et de fouler le refoulé – qui refoule la foule, bien sûr, il s’agit aussi de remuer de façon inremuante. Le premier tiers du spectacle est donc constitué par un magma d’hommes entassés et enlacés qui, partis de jardin où ils avoisinaient l’état végétatif d’une assemblée fécale, finissent par s’exhumer de leur fausse fosse pour découvrir, enfin, leur personnalité impersonnelle. De part et d’autre de l’espace vide, en fond jardin et en scène cour, deux bancs constituent les seuls éléments de décor hors des corps – faut pas provoquer mon inconscient, il devient fou – où viennent se poser des corps en pause. Sur une musique (plutôt un bruitage pénible qui semble avoir pour vocation d’éviter que le public ne s’endorme de suite – ou de cuite, ça marche aussi) de Joseph Marzolla, les quatre danseurs évoluent en se jetant leur dévolu, je sais mais bon, s’affrontent, se caressent, se rejoignent, risquent poliment quelques soli mais très peu de figures parallèles – sans doute antinomiques de la prétention de l’hypervirilité dominatrice – pour finir par se débarrasser de leur superflu, donc sortir à poil, Deux kangourous devant la véranda obligeant. Entre alors, attention spoiler, Axel Léotard, un danseur tatoué venu de la salle qui, ni une ni deux, se met nu. Pour s’occuper, on regarde sa bite. Manque de pot, c’est un transsexuel “femme vers homme », donc un “homme vaginal » (on apprend tous les jours un peu, chacun l’entendra comme il veut). Il/elle ramasse les attributs des hypervirils disparus et s’endort à mi-chemin. Deux kangourous devant la véranda oblige, certains spectateurs en font autant, ce qui est dommage vu que c’est fini.

Cet éloge de la lenteur qu’accompagnent des lumières simples et monochromes plutôt convaincantes, cette désarticulation du corps par sa torsion et/ou sa collectivisation, cette mise à nu(es) de l’importance sociétale de la corporéité, cette extraction de l’évidence (l’importance du corps) par une dé-scénarisation remettant à plat ce que notre quotidien valorise (dépourvu de fantasme narratif, le corps n’a guère d’intérêt, du coup on sent merde, d’où l’impression liminaire que l’an nuit), bref, ce coup de boutoir à visée, suppute-t-on, partiellement homo-érotique dans un monde où la peur de l’homosexualité serait une manière fachissse de contrebalancer les victoires de l’indépendance féminine, tout cela, donc, répond à Inedito 2 (Chaillot, 2012), où la chorégraphe mettait aussi en scène des danseuses nues mais entravées. Des extraits sont à voir ici. La version mâle de 2016, dont l’intérêt ne nous a pas pété au visage comme un anus d’hippopotame après une dégustation de lentilles – malgré notre plaisir de profiter d’une invitation inattendue – vaut 37 € en plein tarif. Pour info, c’était plein le 7 décembre et ça finit le 10.

Ce que nous deviendrons

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