Enfin un concert qui vous botte !
Pour le concert Komm, Bach!² du jour, on a importé deux zozos (pas de pluriel, merci) depuis l’Italie.
Une jeune virtuose, de la race des pianistes-clavecinistes reconverties, donc capables de jouer n’importe quelle pièce extravagante pour orgue et qui te déclarent, des larmes dans les yeux, « mon vrai amour, c’est l’orgue ».
Et un facteur d’orgue, ben oui, aussi artisan qu’artiste et réciproquement, invité dans de nombreux festivals internationaux (dont Komm, Bach!, par le fait même, ne fût-il pas le plus prestigieux), réputé pour sa musicalité et ses improvisations, n’en déplaise à ses ennemis.
Avec un programme en deux temps et demi : musique magnifique et sérieuse, improvisations qui font la saveur de l’orgue, et quatre marches symphoniques italiennes à huit pattes. Un régal à découvrir sur la page Facebook du festival et en direct ce 27 janvier grâce à une entrée libre et un écran géant. Le programme intégral est dispo ci-dessous.
- KB2 – Programme 10 – 01
- KB2 – Programme 10 – 02
Sophie Koch et Joan Martín Royo, Éléphant Paname, 25 janvier 2018
Comme souvent, cette critique est biaisée. Parfois, on biaise quand on nous a mandé un disque ou invité à un spectacle. Ou alors on biaise parce que l’on a payé et que l’on a été fort marri. Bref, quoi que l’on fasse, que ce soit contre rétribution ou gratuitement, on est biaiseur. Et cette fois, on biaise soir et matin parce que Sophie Koch est notre chouchoute. Une de nos chouchoutes, mais quand même. Voilà, c’est dit.
Le concept
Dans le cadre des « Instants lyriques » de l’Éléphant Paname, nouvel endroit jouxtant l’Opéra et l’Olympia pour proposer des cours de danse, des trucs bizarres, un restaurant et des récitals (on synthétise, comme disait Bontempi), la direction programme Sophie Koch et Joan Martín Royo pour un récital avec Pierre Réach au piano. Les bénéfices de la soirée (8500 €, oubliés dans le piano, hors vente de disques), forcément à guichets fermés, sont reversés à un refuge cambodgien dans lequel la cantatrice est très investie.
L’endroit
La salle de spectacle dite « de notre Dôme » de Paris aurait des allures de salle des fêtes, sièges compris, à deux exceptions près : pour l’occasion, les spectateurs sont accueillis par un cocktail avec champagne Volner fin à l’étage ; et un dôme enguirlandé surplombe l’endroit. Cette association entre un endroit cheap et des efforts chic font le prix de la soirée (35 €, raisonnable vu le niveau de la programmation), sans tout à fait compenser sa principale faiblesse (acoustique sèche, sans réverbération et peu flatteuse pour les voix).
Le récital
Le concert s’articule en trois tiers-temps.
Le premier oscille entre mélodie française (« Pastorale » de Saint-Saëns en duo, « Chanson triste » et « Le manoir de Rosemonde » par le baryton, alors que Sophie chantait « Le manoir » lors de son récital à Garnier, en octobre) et lieder. On y apprécie notamment le souci très pertinent de prononciation de Joan Martín Royo, qui n’est pas juste une performance technique, puisqu’elle valorise le texte et donne ainsi du sens aux airs. Les Zigeunerlieder, ces chants censément gitans mis en forme par Johannes Brahms, dont Sophie Koch s’attache à caractériser les différentes atmosphères, même si l’acoustique ne laisse pas beaucoup d’espace de résonance au chant. Joan Martín Royo installe ses Schubert dans une interprétation feutrée, qui évite la démonstration de coffre au profit d’une délicatesse appropriée (« Der Lindenbaum », le tilleul du Voyage d’hiver et le mégatube Standchen, la sérénade du chant du cygne, flattent son goût pour le ciselé).
Le second tiers est hispanophone. Il permet d’entendre tant le boléro du « Desdichado » de Saint-Saëns que deux duos de Ruperto Chapí ainsi que le solo « Mi tío se figura », un des premiers airs solistes de Sophie Koch en espagnol. Manuel Penella et sa habanera de Don Gil de Alcala est aussi au programme, tout comme « Díle que me ha deslumbrado », interprété avec la sensibilité ad hoc par Joan Martín Royo.
Le troisième tiers hommage le musical (comme d’hab’, ça veut rien dire, le verbe « hommager », mais je trouve que ça pulse, alors bon), valorisant la part ténébreuse du crooner Royo (« Stars » de Claude-Michel Schönberg et « The impossible dream » de Mitch Leigh), les aigus faciles de la mezzo Koch, les amusements du duo (« Edelweiss », risqué donc presque touchant) et le plaisir de la spécialiste de l’opéra inchantable ravie de se rouler dans le plaid confortable d’une musique plus appréciée au Châtelet qu’à Garnier (« Climb every mountain » de Richard Rodgers).
- Pierre Réach. Photo exclusive : Rozenn Douerin.
- Joan Martín Royo. Photo exclusive : Rozenn Douerin.
- Sophie Koch. Photo exclusive : Rozenn Douerin.
Le résultat
De même que l’organisation associe cheap (incluant un nombre impressionnant de fautes orthotypo sur le programme papier, qui ne présente pourtant ni les textes ni, a minima, la traduction des titres) et chic, de même le récital joue-t-il la carte tant du brillant (voix ou présence superlative des chanteurs ; exceptionnel toucher et attention aux vedettes de la part de Pierre Réach) que du homemade (programme chanté distinct du programme distribué, blancs inattendus). Cette association entre brio et convivialité, grand récital et soirée caritative, sans que jamais la seconde ne vampirise le premier, ouf, est une réussite qui suscite et ré-suscite l’enthousiasme justifié du public. Concert original, cadre atypique, prise de risque artistique de Sophie Koch, talent des acolytes = une très belle soirée. La meilleure formation d’une ouvreuse jouant couardement les agentes de sécurité en fonction du physique des spectateurs sera un plus ; mais reconnaissons que, comme critique d’organisation, il y a pire.
Cyprien Katsaris (1/2) joue Katsaris et Theodorakis, Piano 21
Cyprien Katsaris serait le Tom Cruise de la musique si Tom Cruise avait du talent. Techniquement et musicalement, ce pianiste est au niveau d’une vedette comme Arcadi Volodos ; sectologiquement, il est un représentant chéri de la scientologie, se produisant lors de concerts de recrutement d’adeptes et allant jusqu’à tenter de convertir ses interlocuteurs professionnels – dans la vidéo ci-dessous, on le voit d’ailleurs vers 3′ vanter son « ami » Chick Corea, formidable pianiste reconverti en scientologue acharné, du genre qui est capable de distribuer des tracts (Seigneur, pourquoi pas des pin’s ?) en faveur de sa secte au mitan d’un concert. En dépit de la polémique que suscite légitimement cet engagement loin d’être anodin, c’est avec plaisir que nous retrouvons l’artiste hors norme qu’il est, dans l’envoi presse récent que nous avons reçu. Au programme, deux disques que propulsa son label Piano 21 en 2017, l’un auscultant une de ses œuvres les plus ambitieuses, l’autre examinant les transcriptions de Karol A. Penson.

Manuscrit de la « Grande fantaisie sur Zorba ». (extrait, ben oui) Document aimablement fourni par Françoise Calteux.
Le premier disque se concentre d’entrée sur la « Grande fantaisie sur Zorba », en fait une « rhapsodie grecque » cousant sans feinte des thèmes locaux, retraités par Mikis T., les uns sur (ou après) les autres. D’emblée, on est saisi par la puissance des basses obstinées « à la Liszt ». Le motorisme des graves structure le début. L’arrivée des aigus n’y peut mais : le martèlement façon marche (3’) résonne puis se meurt pour laisser place à une ballade fauréenne (6’) dans une avalanche d’arpèges parcourant le clavier. Émerge alors un nouveau thème (9’), qui finit par s’imposer et se développer de façon virtuose avant de s’évanouir en cherchant son souffle, comme si l’écho déformé se résorbait peu à peu. D’autres thèmes populaires prennent place (14’), selon un même système associant l’énoncé du motif à sa reprise développée. Alors qu’un prélude faussement hésitant brise le thème avec des arpèges méditatifs, la pédale de sustain donne résonance à cette attente (c’est prétentieux, comme formulation, « donne résonance », peut-être pour ça j’aime bien), comme si l’œuvre s’apprêtait à prendre un tournant nouveau (19’). Las, il n’en est rien. Un thème populaire s’articule autour d’arpèges, de notes répétées puis d’un développement utilisant l’ensemble du clavier dans un déferlement digital maîtrisé. Même procédé cinq minutes plus tard. C’est aérien et virevoltant, avec quelques trouvailles savoureuses comme cette descente débouchant sur le silence ; toutefois, le caractère itératif du collage peine à soutenir l’intérêt en dépit du brio fascinant.
On se réjouit qu’une tension agite enfin cette sage composition (30’) : pendant sept minutes, percussion, répétitions et contrastes avivent l’attention sans pour autant que ne disparaisse la virtuosité exacerbée dont l’interprète-compositeur ne semble pouvoir se passer. Une fausse coda couronne bientôt un nouveau thème saturé de notes. Les basses, façon boléro, permettent ainsi à un air populaire d’être entonné avec solennité (39’). Le calme redescend (42’), et le cycle thème – développement virtuose introduit le thème grec le plus célèbre (44’), habilement poussé dans ses retranchements avec une débauche de moyens qui n’exclut ni les breaks ni les accents jazzy (48’). Une nouvelle pause arpégée permet de glisser un ultime thème avant que le « tube » ne revienne dans les aigus, sur un tapis d’accords qui s’éteint en decrescendo… précédant un silence de vingt secondes placé à la fin des 53’.

Cyprien Katsaris et Mikis Theodorakis en 2006. Archive aimablement communiquée par Françoise Calteux.
Comme un brouillon de ce qu’aurait pu être la « Grande fantaisie », la piste suivante accueille une « improvisation spontanée ». Cette pièce aligne, façon re-rhapsodie, des chansons de Mikis Theodorakis. On y goûte le plaisir de l’improvisation (incluant intelligemment quelques microdécalages dans les rafales d’accords pour rappeler le caractère spontané de l’exercice), rarement valorisée au disque par les virtuoses ; on y retrouve le sens du toucher et de l’harmonisation heureuse de l’interprète ; mais l’on regrette que son inventivité musicale reste aussi timide. Sans doute apprécie-t-on d’autant mieux, dès lors, l’introduction du troisième thème sur des basses grondantes (6’35) comme l’harmonie finale (14’52), qui tranchent avec les brillantes astuces d’accompagnement trop généreusement utilisées jusque-là.
Le disque et l’hommage à Mikis Theodorakis s’achèvent par l’interprétation de six petites pièces. Le septième prélude est ravissant et riche dans sa fausse simplicité. Il trouve en Cyrpien Katsaris un orfèvre idéal pour ciseler les moindres inflexions d’humeur inscrites dans la partition. Le cinquième « Melos », lui, s’apparente plus à un charmant exercice d’école, évoquant Satie parfois malgré des sautes harmoniques spécifiques. Scolaires quoique agréables sont les reprises et la mélodie aiguë qu’il convient de faire entendre mélodieusement sans réduire l’accompagnement à un bruit de fond. Une Petite suite pour piano conclut l’affaire avec quatre mouvements d’environ une minute pièce. Le « Poco allegro », aux sonorités sporadiquement proches de Jacques Ibert, s’efface devant un « Lento » enchaîné qui hésite entre percussion et ligne mélodique avant de céder sa place à un « Allegro molto marcato » déchaîné, tout en accents sous une mélodie atténuant la brutalité. L’« Andante mosso » final ne contraste guère avec les mouvements précédents, préférant la continuité des notes répétées associées au balancement du médium. Aussi fringant, brillant et bien mené qu’anecdotique.
Au final, ce disque impressionne par la technique pianistique et la science musicale déployées. On y goûte aussi, pour les deux premières pistes, la prise de son de Nikolaos Samaltanos et l’acoustique réputée de l’église évangélique Saint-Marcel (en revanche, les dernières pistes sont gâchées : quelque chose heurte sans cesse le clavier, en sus des doigts s’entend). On pourrait interroger voire déplorer quelques détails – quatre, par exemple. Un, le siège mal réglé grince sur la piste 3 : était-ce pas évitable ? Deux, l’esthétique de la pochette et du livret est, euphémisme, cheap : pour pas cher, on pourrait trouver d’excellents graphistes qui font infiniment mieux ! Trois, pourquoi ne pas donner la liste des thèmes grecs utilisés ? Quatre, pourquoi tant de silence (20 secondes après plage 1, 10 secondes plage 4…) ? Notre avis est donc une moyenne : wow pour le pianiste-interprète, aussi phénoménal que capable de mettre ses moyens hors du commun au service d’un projet musical ; bravo au folkloriste, sans que cela soit péjoratif, qui sait recueillir des thèmes et les « classiciser » ; en revanche, un p’tit regret que le compositeur n’ose pas faire autant montre de son originalité que Cyprien Katsaris, façon Stéphane Blet (accusé, comme Mikis Theodorakis, d’antisémitisme, pire excommunication du monde moderne), n’assume sa dissonance.
Cela dit, le début de la chronique évoquait deux disques. Quid du second ? Voyons, voyons, un peu de suspension…
La réponse de l’artiste
« Monsieur,
Je ne lis quasiment jamais les articles concernant mon travail et ce, depuis belle lurette. Chacun est libre de s’exprimer comme bon lui semble et tant pis si, trop souvent, ce genre de commentaires frise le ridicule. Il est de notoriété publique que le critique sait TOUT et connaît mieux la question musicale que les musiciens professionnels eux-mêmes.
Vous avez pris le temps d’analyser à votre façon ce disque et cela relève de votre droit le plus absolu. Cependant je me dois de vous informer que votre affirmation selon laquelle Mr. Theodorakis aurait emprunté des thèmes populaires grecs est entièrement fausse : il en est le seul créateur.
Quant à vos insinuations sur le prétendu manque de talent de Tom Cruise, elles démontrent de manière flagrante une prise de position tendancieuse due au fait que cet acteur immense et reconnu comme tel mondialement, « serait dépourvu de talent » tout simplement parce qu’il est scientologue ! Exactement comme si moi je prétendais que Nicole Kidman n’avait pas de talent parce qu’elle n’était PAS scientologue.
Votre opinion sur la Scientologie a été façonnée par les medias, rumeurs et autres fake news sans que vous ayez pris la peine de recevoir des informations depuis la source même, à savoir les écrits, dvd, conférences etc. qui s’y rapportent.
À ce sujet, je me tiens à votre disposition pour une éventuelle rencontre d’information. »
[Une proposition d’entretien exclusif a donc été faite à Cyprien Katsaris pour qu’il puisse exposer sa vision de la scientologie et l’influence de cette doctrine sur son art.]
Daniel Kientzy (1/3), 6 pièces pour saxophone-total, Nova-musica
Le concept
Daniel Kientzy est un hurluberlu. Jadis bassiste de groupes de variét’, il est devenu le plus inventif des saxophonistes français. Le plus total aussi, puisqu’il se revendique comme « le seul saxophoniste au monde à jouer des sept saxophones », du sopranino au contrebasse (pas la contrebasse, même s’il maîtrise aussi cet instrument). Par chance, Daniel Kientzy n’est pas qu’un hurluberlu au look soigné et à la personnalité avenante pouvant le rapprocher de Gilles Gabriel Sr. C’est d’abord un musicien au parcours impressionnant, autodidacte mais pas-que – il affiche au compteur deux premiers prix du CNSMDP, et une flopée de distinctions tout aussi académiques. Bref, c’est un mec qui sait grouver le grouve, qui taquine la musique avec queue-de-pie et poudroiement, qui arpente les venelles vénéneuses de l’acousmatique, qui pratique les facéties improvisées et qui se pourlèche de recherche sonore, ce qui ne veut RIEN dire, mais bon. Or, voilà que, en 2017, après ca. cent disques, il offre à ses admirateurs deux nouvelles galettes, dont l’une est constituée de six créations variées pour sax et orgue Hammond (associé à un Leslie 122RV), ce dernier tenu par Matthias Leboucher.
- Daniel Kientzy – Duo 2017 – 01
- Daniel Kientzy – Duo 2017 – 02
Le contenu
Pas « faciles » à la première écoute, ces Six pièces pour saxophone-total et orgue Hammond ? Bon signe. Car, vu le pedigree du gaillard, on se doute que cette absence de « facilité » n’est ni une absence de fond, ni un souci d’ésotérisme, ni le fait d’un esprit trop altier pour se soucier des petits ploucs que nous sommes. Et, en effet, en prêtant l’oreille avec attention, on découvre un menu particulièrement sapide d’une quarantaine de minutes. Matthias Leboucher ouvre le bal avec Just any nothing, qui pivote sans manière autour d’une cellule rythmique énoncée d’emblée. La composition, déchiquetée par le silence comme l’anglais du titre est déchiqueté par le barbarisme, tâche de recoller des morceaux à la fois disparates par leur évanescence et cohérents par leur similitude de structure. C’est d’autant plus stimulant que L’illusion de Ludmila Samodayeva enchaîne sur une piste dissonante. Elle suggère l’évidence de logiques qui se dérobent. S’offrent d’abord des structures descendantes qui, quand elles paraissent installées et prévisibles, s’inversent – partant, deviennent ascendantes, ben oui. La composition se brouille avec art afin de déboucher sur une synthèse subsumant le duel entre cuivre et clavier par l’intervention de la voix.
Fonoharta de Laura Manzat contraste à son tour. La pièce s’articule autour d’une broderie ornant un motif orientaliste que ressasse le sax sopranino et qu’enrichit le B3 façon arabisante. Itzam Zapata propulse ensuite Wombalicious B, le « tube » du disque, en ce sens qu’il s’agit du morceau le plus immédiatement groovy de la galette. La partition s’amorce par un rythme syncopé qu’égrène le saxophone à coups de notes répétées. En écho, l’orgue Hammond swingue à son tour, nourrissant cinq minutes motoriques et finaudes. Prélude sombre au plus long morceau, le Nocturne de Drake Mabry est la pièce la plus courte de la set-list. Sur une pédale d’orgue, le saxophone ténor tente de percer par à-coups ou en risquant une proposition mélodique. Le combat s’évanuit dans la nouit, ou réciproquement, via un mystérieux et pudique fade out. Les dix minutes finales déroulent le duo opus 70 de Lucio Garau. Des clusters dignes d’un néorock progressif intelligent, type Spock’s Beard des débuts, intentent un rythme auquel font écho des tenues, des silences ou des reprises modulantes, esquissant sur la durée l’ombre proliférante d’un monstre qui s’étire en claudiquant.
La conclusion
Un disque stimulant que l’on conseille avec enthousiasme aux zzzauditeurs zzzattentifs, et qui incite à découvrir rapidement l’autre nouveauté 2017 qui voit Daniel Kientzy jouer Cornel Ţăranu. (« Et ça donne quoi, cette proposition avec orchestre, quintette à cordes et piano ? / – Minute, papillon. C’est ça aussi, la suspension. »)
Un bal masqué, Opéra Bastille, 22 janvier 2018

Nina Minasyan (Oscar), Piero Pretti (Riccardo), Sondra Radvanovsky (Amelia) et Simone Piazzola (Renato). Photo : BF.
L’histoire
Le comte Riccardo (Piero Pretti), après avoir fait des misères à de nombreux sujets, est menacé par un complot. Cependant, sa vraie préoccupation est de conclure avec Amelia (Sondra Radvanovsky), hélas femme de Renato (Simone Piazzola), son meilleur allié [acte I, 1 h]. Sur les conseils d’Ulrica (Varduhi Abrahamyan), une sorcière entourée de négresses – si, dans le contexte, le terme est pertinent pour évoquer des figurantes à peau sombre traitées comme des esclaves et parfois pas très vêtues du haut –, la nénette part chercher une plante pour ne plus penser au comte qu’elle aimerait s’envoyer en dépit du contrat conjugal. Le comte la rejoint. Renato débaroule pour lui signaler que des méchants arrivent. Il découvre le pot-aux-roses et tout le monde se gausse du cocu putatif [acte II, 30′ puis entracte]. Renato fulmine, tu m’étonnes. Pour se venger, il pense buter sa femme puis décide de rejoindre les méchants pour éliminer le comte – en l’espèce Tom (Thomas Dear) et Samuel (Marko Mimica). Lors du bal masqué organisé le soir même, le mari jaloux repère le comte sous son déguisement grâce à Oscar (Nina Minasyan, ancienne Lucia) et le poignarde. Avant de périr longuement, Monsieur le comte lui pardonne, ouf [acte III, 1 h].
Le constat
Une fois de plus, deux artistes français seulement se glissent dans la distribution – le chef Bertrand de Billy et Vincent Morell dans le minirôle de Giudice. Le reste est non pas arménien (signora Martina Biagini nous stipule qu’Ulrica a fait ses études à Erevan mais est Française, dont acte), canadien, russe, anglais et coréen, voire d’origine monégasque (Thomas Dear revendique sa nationalité française). En soi, ça n’aurait rien de scandaleux si l’État français ne subventionnait pas autant cette institution. Après tout, depuis le film de Jean-Stéphane Bron, la structure utilise sans cesse Mikhail Timoshenko : pourquoi ne pas faire profiter un Français de cet art de la formation ? Ne pas se servir de Bastille ou de Garnier, qui coûte si cher aux contribuables, afin de permettre aux nationaux de s’aguerrir ou de briller est une gabegie culturelle que nous tenons à dénoncer, na.
Le spectacle
Loin des mises en scène extravagantes avec soldats nazis s’enculant pendant Aida, garçons en tutus ou cosmonautes souillant Puccini dans une mégaboîte en carton (on synthétise à peine), la régie de Gilbert Deflo reprise cette saison fait le minimum. Les décors de William Orlandi sont réduits à un élément symbolique (quatre, pour les quatre lieux différents) : un amphithéâtre pour le palais, un hémicycle pour la maison de Renato, un portique pour « le lieu de mort » où se trouve la plante magique, etc. Rien de répulsif, mais ce niveau d’épure sent d’autant plus le travail bâclé que, de mise en scène, point. Les personnages s’ennuient, ne savent que faire de leur corps et de leurs déplacements. Pour mimer l’émotion, ils s’appuient contre un élément scénique et le caressent. Quand ils ne savent plus comment s’occuper parce que c’est pas eux qui chantent, ils s’endorment – ainsi de Renato pendant l’air déchirant où la mère réclame de voir son fils avant d’être trucidée par son époux. C’est affligeant, d’autant que cette absence de densité dramatique impacte, inévitablement, la portée de l’œuvre.
La musique
Trois choses.
D’abord, Un ballo in maschera est l’un des opéras de Giuseppe Verdi les plus plaisants à écouter. Si la finesse d’accompagnement ne rend pas toujours raison du talent du compositeur, la multiplicité des scènes, la foule d’airs pyrotechniques, l’utilisation d’ensembles efficaces et variés, la structuration nette en cinq tableaux réguliers et lisibles, le sens du gimmick et de la mélodie gourmands, tout concourt au plaisir sans fard du spectateur.
Ensuite, entendre ce classique en direct, dans un opéra doté d’un orchestre et d’un chœur du niveau de Bastille, voilà qui renforce le pétillement, même si, parfois, on aimerait, dans notre toute-puissance de spectateur fantasmant, que les contrastes et l’énergie fussent rendus avec plus de vivacité par la bande à de Billy. La tonicité des hommes, la justesse de la phalange et la précision des instrumentistes solistes (clarinette) ou seuls à accompagner (harpe) séduisent.
Enfin, devant la difficulté et la répétition des airs proposés aux premiers rôles, notamment aux II et III, Un bal masqué exige une distribution sans faille. Piero Pretti, qui sait brillamment gérer une voix un peu fatiguée – on la comprend – sur la fin grâce à la volonté et au métier, et Sondra Radvanovsky, qui sera remplacée par Anja Harteros en février (avec augmentation des prix), démontrent sans ambages qu’ils ont l’étoffe, la voix, le souffle et la technique superlatifs indispensables. Dès lors, comment expliquer que ces chanteurs impressionnent, à défaut d’éblouir par la beauté de leur voix, mais émeuvent si peu ? Assurément, la démission de la mise en scène (pas longue à apprendre donc pratique, c’est sûr) et l’absence de travail d’acteur sont fautifs. Face au livret fonctionnel, ridiculement donc plaisamment transposé à Boston pour faire zizir à la censure d’époque, jamais Gilbert Deflo ne commet l’effort de donner du sens à ce mélodrame, par exemple en confrontant l’enthousiasme officiel du peuple et la rage des courtisans qui ont pris cher, sans faute d’orthographe, avec ce tyran vicieux que la pièce présente comme un brave type. Ou en interrogeant cette notion de « pureté » et du récurrent « ciel », ou en besognant la notion d’Amérique (où, aujourd’hui encore, on déplace les critiques que l’on n’oserait point porter sur la France, par exemple pour dénoncer Trump car l’on ne saurait égratigner notre Saint Cochon de Pharaon Ier de la Pensée Complexe Contre les Fékniouz), ou… Ici, rien. Donc grande performance vocale, et béante déficience d’émotion : sans drame, reste le mélo. Dommage.
La conclusion
Un grand opéra suscitant du plaisir, une interprétation digne inspirant des brava, des chanteurs à la hauteur justifiant les applauses de rigueur, mais pas de frissons. Disons que l’essentiel y était, mais ce qui manquait n’était pas superflu.
En attendant Laura Sarubbi et Salvatore Pronesti…
Oui, c’est vrai. Organisateur désorganisé, j’avais oublié mon vrai appareil photo avant le concert de Pascal-Henri Polo. Alors, pour garder trace de ce concert spectaculaire, incluant les deux grandes toccata-et-fugue (la dorienne et le tube), le prélude 543 et la passacaille-et-fugue, rien xô, on a pris des photos pourries mais hypertypées avec des smartphones qui firent ce qu’ils purent, avec un « r ». En commençant par la photo chronologique du concert-d’après-Noël, en continuant par l’image très symbolique sur l’artisss et sa p’tite chérie assignée au redoutable poste de tourneuse de page…
… et en terminant par la classique photo technique. Ça ne dit rien de la performance et du brio de ce néo-Caennais, mais ça signifie que, quand son crowdfunding Ulule sera lancé, on en rereparlera. Na. D’ici là, rendez-vous samedi pour la fin de la trilogie de janvier avec un couple d’Italiens virtuoses prêts pour jouer Alain, Widor, Bach et Mendelssohn. Entrée libre, grand géant (pardon, cran géant), musiciens zzzzinternationaux aux commandes, voulûmes faire sus mais ne pûmes. Le lot commun, en somme.
« Genesis », Classe de composition, CNSMDP, 19 janvier 2018

Laurent Petitgirard et l’orchestre du CNSMDP, avec Manon Galy en violon solo. Photo : Bertrand Ferrier.
On connaissait Genesis revisited, superbe album de Steve Hackett covérisant ses années de groupe. Cette fois, rien à voir avec le combo de rock progressif : Bruno Coulais, compositeur original, demande à ses élèves de la classe de « composition à l’image » du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, ouf, d’écrire, à six, une partition sur Genesis, film de Claude Nuridsany et Marie Pérennou.
Le projet : sur un film célébrant la nature (la naissance fantasmée ou scientifique de la vie, mais aussi les origines mythiques du récit via le griot Sotigui Kouyate), six étudiants du CNSMDP proposent chacun leur musique pour un bout de 1 h 15’, dans une interprétation remarquable – après un début compliqué – de leurs condisciples dirigés par Laurent Petitgirard.
Le résultat : bien qu’un peu souillé par la marque du vidéoprojecteur, suppute-t-on, gravé sur l’image de bout en bout, le métier des compositeurs paraît déjà évident et remarquable. Certains ont bien pointé la difficulté d’écrire dans la presque-urgence (une enseignante du Conservatoire nous rapportait le cas d’une des six personnes à qui elle demandait de raconter ses vacances de Noël et qui lui a rétorqué : « Pas de vacances, je composais »), mais tous ont rendu un travail de grande qualité, alors que chacun n’était pas traité à la même enseigne – c’est plus facile d’ouvrir ou de clore un film, faut reconnaître. Au-delà des spécificités, on remarque un goût général pour le célesta et ses effets aussi faciles qu’efficaces, le piano en monodie et, misère, l’accordéon. Les cordes sont plus souvent valorisées que les vents (un seul compositeur met en avant la clarinette basse) : la composition à l’image doit supposer, conclut-on, une efficience, donc une consensualité assez cadrée.

Laurent Petitgirard, Julien Mazet, Nathan Rollez, Minwhee Lee, David Jorda-Manaut, Stanislav Makovskiy, Pierre David et Bruno Coulais sur la scène de la salle Rémy-Pflimlin du CNSMDP. Photo : BF.
Pour admettre nos préférences, nous proposerons deux catégories. Hasard ou réalité scientifique, la première, qui concerne le métier, reconnaît la clairvoyance du prof qui a attribué l’ouverture et la fermeture à ses deux élèves les plus convenables, ce qui n’enlève rien à leur savoir-faire mais le fait passer devant leur personnalité – peut-être une qualité dans ce genre pour partie fonctionnel. Julien Mazet propose une ouverture assez sûre d’elle pour associer des ensembles orchestraux de géométrie différente, alors que la plupart de ses pairs se servent souvent de l’entièreté de l’extraordinaire outil qu’est ce grand orchestre. Pierre David signe une clôture remarquable dans la variation d’atmosphères. Dans la seconde catégorie, celle des personnalités singulières, on accordera une médaille d’argent à David Jorda-Manaut qui, sans renoncer à quelques effets superfétatoires, parvient à évoquer des contrastes dépassant la stricte description iconique (les excellents bruitages intégrés au film suffisent à cela). Dans notre toute naïveté, nous remettons néanmoins la médaille d’or à Nathan Rollez, pour son sens des harmonies inattendues, qui remotive sans fard la musique de film en y apposant une patte personnelle laquelle, en stimulant l’écoute, stimule aussi le regard – loin des procédés systématiques permettant aux vedettes du genre d’apposer leur griffe sur un film.
En conclusion, une classe visiblement bien coachée, quelques personnalités de compositeur évidentes, un grand outil orchestral et un beau projet à entrée libre applaudi par une salle comble : bref, belle soirée.
Vous repass’rez bien un p’tit Bach ce samedi ?
- KB2 – Programme 09 – 1
- KB2 – Programme 09 – 2
Un florilège Bach assorti à deux grandes pièces de Brühns et Buxtehude, le tout sous les doigts et pieds d’un jeune organiste à découvrir, avec entrée libre, sortie aussi, écran géant pour suivre le concert comme si vous jouxtiez le musicien, et programme papier offert aux quarante premiers visiteurs : peut-être une idée de sortie digne de votre samedi soir ?
Three Billboards outside Ebbing, Pathé Wepler, 17 janvier 2018
Grand film sur la disparition d’un enfant, façon Faute d’amour, ou mélodrame sirupeux sur un deuil impossible – l’héroïne ne travaille pas pour rien dans une boutique de souvenirs ? Les avis tranchés s’opposent pour évaluer ce film que les producteurs présentent comme l’un des favoris des Golden Globes – argument marketing fragile si l’on n’est pas de ceux pour qui un prix, virtuel ou non, donne du prix. Voici donc ce que nous inspira Three Billboards outside Ebbing, Missouri réalisé par Martin McDonagh.
L’histoire
Mildred Hayes (Frances McDormand) enrage car le viol et l’assassinat de sa fille restent impunis. Elle décide de profiter de trois panneaux publicitaires, à l’entrée de la ville, pour interpeler le chef des flics, Bill Willoughby (Woody Harrelson). Les pressions s’accumulent contre cette initiative, d’autant que le policier numéro un se meurt d’un cancer. Inflexible mais blessée par les brimades de l’adjoint au chef, Jason Dixon, joué par Sam Rockwell, et par son ex-mari interprété par John Hawkes, Mildred file un mauvais coton, jusqu’à mettre le feu au poste de police… et partir se venger d’un innocent avec Jason, qui a lui-même mal agi avant de se repentir. Iront-ils jusqu’au bout de leur projet, et sinon quoi ?
Le film
Le projet joue sur les contrastes. Entre de grands paysages et la petitesse d’une ville étouffante. Entre une affaire sordide et des velléités de pastilles drôlichonnes, qu’incarne le personnage pathétique de la mère du flic violent. Entre la volonté d’une héroïne et la vanité de son espérance. Entre la simplicité du déroulement et les dissonances entraînées par des ellipses temporelles (prolepse et analepse). Entre les personnages stéréotypés (la bonne mère têtue, le méchant ex, le good cop vs le bad cop, la nouvelle nana écervelée, etc.) et… et rien, tant Martin McDonagh tient à ce que les acteurs jouent des monolithes, non des êtres de chair évolutifs ou fluents. La caméra oscille donc entre champ-contrechamp banal, plans larges rendant hommage au décor naturel et plans serrés pour mimer la pression qui se resserre sur le personnage et le fait, parfois, exploser.
Le scénario, sérieux et sans fantaisie, exploite posément les ingrédients liminaires (le scandale dans une petite ville), montrant comment nous nous construisons autour d’éléments qui nous cristallisent, nous sédimentent et nous contraignent à jouer le personnage que nous nous sommes inventés. L’exception constituée par le flic violent transformé par la lettre posthume de son ancien patron et par sa semi-crémation, est plus liée à l’envie d’ouvrir une fin ouverte et positive qu’à une originalité dans un océan de platitudes plus souvent sucrées que corrosives – ah ! le pauvre Red Welby (Caleb Landry Jones) se retrouvant par hasard dans la même chambre d’hôpital que son bourreau et lui servant un verre de jus d’orange, comme c’est émouvant !
Les amateurs de radicalité passeront donc leur chemin, tant le portrait de la topique Mère courage, capable de presque tout pour sa famille, s’échoue en chemin (l’engrenage dans lequel elle semble engagée se dissout sur le happy end final, dissipant ainsi le fumet prometteur de tragédie). Ce choix de désamorcer systématiquement, après quelques soubresauts, les minuteurs pourtant fixés sur les bombes humaines – ha, ha, je parle en parabole, moi aussi – serait, n’en doutons pas, moins escagassant si une horripilante musique doucereuse (Carter Burwell) ne souillait pas l’image par sa mollesse digne d’un sycophante mollichon. Annoncé par un tube fredonné par la Fleming, le style contemplatif de la partition additionnelle la fige dans un fond de sauce hérissant et jamais capable de nous emporter comme pouvait le faire, dans une veine pas si éloignée, Pat Metheny décorant A map of the World en 2000. Ajoutons que le sous-titrage est honteux, à la hauteur de la traduction du titre, pourtant joli en anglais et tellement réducteur en VF. Mais voilà, dans l’Hexagone, on ne casse plus les couilles, on enquiquine ; et, de raccourcis approximatifs en euphémismes inappropriés, ces petites lignes blanches frisottant le faux sens à plusieurs reprises ne cessent de rajouter du sucré écœurant dans un film qui n’en demandait pas tant.
La conclusion
Three Billboards semble soucieux de ménager la chèvre (rage devant une police inefficace, même si c’est pas sa faute) et le chou (surtout pas d’éloge de la vengeance perso). Les meilleurs moments rejoignent l’animal et le légume, par exemple quand le réalisateur tente de mettre en scène les conflits de petit lieu clos sur lui-même ; mais les personnages clichés, tel Abercrombie (Clarke Peters en vieux flic sage, ersatz de Morgan Freeman) et l’excessif souci de lisibilité du propos font plutôt pencher la balance annoncée au début du côté du mélodrame sirupeux, où le suicide par balle se métaphorise par la noyade d’un nounours. L’image léchée ou habilement salie déploie ainsi un film digne, pas inintéressant, pas vraiment ennuyeux malgré des cucuteries évitables (le revival platissime de la dernière scène avec la fistonne vivante), mais pas non plus, à notre goût, assez créatif ou vigoureux pour rendre justice d’un pitch prometteur (une femme, seule et décidée, contre un village et un crime parfait).
JSB approche !
Vous ne le connaissez sans doute pas. Pourtant, Pascal-Henri Polo est un de ces jeunes virtuoses résolument originaux qui, tout en n’ayant pas la carrière toute tracée des futurs gendres parfaits et mignons tout pleins, secouent les orgues avec un talent et un art résolument personnels. Au programme spectaculaire de ce « concert des 3B », Bach, Brühns et Buxtehude, un florilège Bach dont la toccata la plus célèbre du monde et le plus beau quart d’heure jamais écrit pour le roi des instruments : la passacaille et plus BWV582.
Oubliez le froid et la pluie de janvier. Profitez de la beauté. Entrée libre et, inch’Allalalalah, écran géant avec vidéaste dédiée. Pour rejoindre l’événement FB, c’est ici.