
Le dernier concert du festival Érard, cuvée 2025, s’intitulait « De la Bretagne à la Chine » et se présentait comme un « voyage avec Jean Cras », le marin musicien. Bon, le sous-titre est clairement usurpé ; disons qu’il tente de boucler symboliquement la manifestation en mettant la lumière sur un compositeur joué au cours de quatre des cinq concerts organisés ce week-end. Le récital du dimanche après-midi se compose de deux parties :
- trois pièces chambristes, variées mais toutes griffées Franz Liszt, d’une part ;
- le quintette pour piano et quatuor à cordes dudit Jean Cras, d’autre part.
Hélas, l’appétissant menu est grevé par un apéritif peu excitant. En lieu et place de la chip la plus croustillante du paquet, nous avons droit à un laïus de Laurent Lévy présentant le voyage sous trois aspects :
- géographique,
- littéraire et
- intérieur.
En soi, en dépit du côté
- satisfait,
- componctueux donc
- hautement impatientant
du conférencier, le propos n’est pas stupide mais il aurait gagné à être inclus dans le riche programme offert aux spectateurs. Au concert, je viens écouter de la musique ; et, ceux qui surfent parfois sur les lignes de ce carnet de notules savent que la lecture imposée d’un livret m’escagasse au plus haut point. Heureusement, Delphine Armand finit par arriver au piano, accompagnée de Marc Desmons à l’alto. Au programme : la réduction lisztienne de la « Marche des pèlerins chantant la prière du soir », extraite de Harold en Italie d’Hector Berlioz. L’agacement éprouvé se dissipe grâce à
- la précision du clavier,
- la chaleur de l’alto et
- la netteté des unissons.
Les interprètes excellent à mêler
- solennité du propos,
- lyrisme de la ligne mélodique et
- plaisir des réexpositions du leitmotiv.
Impossible de résister (et pourquoi essayer ?) à l’art de nuancer que montrent les duettistes :
- quels decrescendi subtils !
- quels piani fins et miroitants !
- quelle fougue vibrante dans les passages animés !
Idéal pour permettre à l’auditeur d’apprécier
- la variété des caractères
- (intériorité,
- marche,
- tensions),
- la richesse des sonorités du piano Érard, et
- la polymorphie de l’alto.
Profitons car, plutôt que de blablater pendant le changement de plateau, le « présentateur » attend que les régisseurs en aient fini pour nous infliger un laïus
- long,
- moins didactique que guindé, et
- aussi soporifique qu’inutile.
Hélas, pas moyen d’y couper si l’on veut jouir de « Tristia », la transcription de « La Vallée d’Obermann » de et par Franz Liszt pour
- violon (Saskia Lethiec),
- violoncelle (François Salque) et
- piano (Jérôme Granjon).
Le clavier profite du son particulier de l’instrument historique pour investir la salle avec
- la solennité du propos,
- la souplesse de l’articulation et
- une patente science de la résonance.
Le trilogue, et hop, investit avec profondeur une partition faisant la part belle
- à la lenteur,
- à la dramatisation et
- à l’immobilité.
Le violoncelle de François Salque pousse son lamento, auquel le piano donne toute sa dimension. Quand le violon de Saskia Lethiec prend le relais, on se délecte
- du fondu du jeu,
- de l’onctuosité du phrasé et
- de l’intensité de cette lecture.
Avec Jérôme Granjon, son complice de prédilection, la musicienne témoigne d’une attention très efficace pour
- la synchronisation des attaques,
- la communion des silences et
- le partage des respirations.
Les dialogues avec le violoncelle, arbitrés par le piano, ne préludent pas à une envolée enflammée. Au contraire, « Tristia » se troue volontiers
- ici de suspensions,
- çà, d’un solo de violoncelle s’enfonçant dans les graves,
- là, d’un lent trait du violon qui s’évapore dans l’aigu, aspirant avec lui ses deux accompagnateurs.
Les échos entre partenaires provoquent un passage agité voire tempétueux dont le trio rend raison par des variations
- de nuances subtiles,
- d’accents savamment disposés et
- d’effets d’ensemble réglés au cordeau.
Puis la fragmentation frappe à nouveau la partition. Avec elle, les silences et les phrases s’enfonçant dans l’abîme des graves, malgré la tentation mélodique qui pimpe parfois une partition pénétrée d’une mélancolie mystérieuse.
- Échos,
- unissons et
- crescendi
sont synthétisés par le piano dont l’intervention annonce un finale grandiose. Le résultat ?
- Une œuvre passionnante,
- une interprétation engagée,
- un triomphe fort mérité.
À suivre !
Retrouvez ci-dessous les notules sur les précédentes éditions du festival
Le concert du 13 octobre 2024 est chroniqué ici.
Le concert du 11 octobre 2024 est chroniqué ici.
Le concert du 15 octobre 2023 est chroniqué ici et là.
Le concert du 13 octobre 2023 est chroniqué ici.
Le concert du 15 octobre 2022 est chroniqué ici et là.
