
Direction le Brésil et la valse (une spécialité de l’interprète), avec les deux pièces d’Heitor Villa-Lobos qui complètent le puzzle latino manigancé par Vittorio Forte ! L’affaire commence par le deuxième mouvement du Ciclo brasileiro, composé en 1936 et issu d’une volonté ethnologico-bartókienne visant à rendre compte de quelques aspects d’un Brésil
- populaire,
- méconnu,
- authentique et
- grandement ignoré par les musiciens savants.
D’emblée, on reconnaît le traitement post-lisztien du thème, avec
- traits virtuoses,
- énoncé clair de la mélodie, et
- oscillations entre musique populaire et réinvestissement classique.
Durant ce prélude bithymique, et hop, le chromatisme autochtone ne nuit certes pas au plaisir de l’esgourde occidentale – d’autant qu’il se fond avec habileté dans le più mosso qui enquille. Partout, l’on est charmé par le souci du détail qui émeut l’auditeur et meut (hop !) l’artiste grâce, notamment
- aux légers effets d’attente de la note la plus haute d’un trait,
- à l’équilibre des rapports entre les différentes voix, et
- à la manière de caractériser chaque passage soit de façon immédiate, soit par un fondu-enchaîné éblouissant.
Rien de démonstratif, cependant, dans le jeu de Vittorio Forte. Son aisance et sa musicalité sonnent moins magistrales qu’indispensables pour incarner une partition plus complexe qu’elle ne pourrait paraître à l’écoute.
- Modulations,
- emportements,
- suspensions,
- octaves retenues ou pétaradantes,
- secousses de tempo et
- retour du tempo primo
ne cessent de secouer l’œuvre.
Après un rappel du thème entre simplicité et traits, un nouvel à-coup arrive avec un « animato »
- modulant,
- secoué et
- explosif,
moins exercice de virtuosité que test de musicalité (mais quand même vachement exercice de virtuosité). Sous les doigts de Vittorio Forte, le clavier en feu devient tour à tour
- kalashnikov crépitante,
- brise légère,
- fracas étonnant et
- harpe éolienne.
Bref, voilà bien une version spectaculaire et sensible d’une partition diablement séduisante, long point d’orgue inclus.
Répondant au do dièse mineur de la pièce précédente, la « Valsa da dor » (valse de la douleur, thème omniprésent dans cette première partie d’album) est en Mi… mais pas longtemps. Après le prélude, voici que Sol pointe le bout de son nez… mais pas longtemps. Tout, ici, dit
- l’éphémère,
- l’insaisissable et
- le tournoyant,
comme si la douleur poussait à s’inventer sans cesse des subterfuges pour détourner la pensée de la souffrance. Ainsi,
- le rythme très martelé des douze croches par mesure s’enrichit de contretemps groovy ;
- l’évidence de la mélodie se suspend entre
- ralentis,
- retenues et
- points d’orgue ;
- le tempo se cabre puis s’apaise ; et, donc,
- la tonalité glisse, modifiant sans cesse les couleurs de la mélodie.
Les oreilles, pour ceux qui en ont au moins deux, et l’âme, pour ceux qui en ont au plus une, se délectent.
- Les trouvailles harmoniques,
- les ruptures d’évidence,
- les nuances et
- la liberté apparente de l’interprétation, cette délicieuse illusion
ébaubissent, là encore long point d’orgue inclus. On écrirait presque qu’une telle douleur donnerait envie de souffrir, si ce compliment ne souillait les brava par son mauvais goût déplacé. Biffons cette idée stupide qui se prenait, fanfaronne, pour un trait d’esprit, et prenons rendez-vous avec Ernesto Lecuona pour notre prochaine notule vittoriofortesque !
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