
Ce 2 octobre 2025, la vedette annoncée était Luan Góes, mais force est de reconnaître que Mme Claude, la percussionniste lunaire et précise aux faux airs de Yolande Moreau, lui a souvent volé la vedette. « Ho nell petto un cor si forte » d’Antonio Vivaldi permet ainsi à la musicienne de claquer un solo de psaltérion qui saisit l’assistance. La voix prend ensuite le lead en donnant la parole à Giustino, l’ex-laboureur devenu soldat et personnage-titre d’un opéra d’Antonio Vivaldi. Le militaire, arrivé à un nouveau tournant de sa vie, conclut le deuxième acte en déclarant son amour à Leocasta. En bon porte-voix de ses sentiments, le contreténor profite habilement des changements d’humeur de la partition pour osciller entre
- l’affirmation,
- le chagrin et
- le désir d’aller plus loin pour devenir soi.
On salue la volonté
- de raconter,
- d’être expressif donc excessif, et
- d’accompagner les fluctuations de caractère de cet air imposant.
De Partenope, opéra en trois actes de Georg Friedrich Händel, ne subsiste guère dans la mémoire des mélomanes que « Furibondo spira il vento ». Dans une histoire embrouillée où tout le monde veut plus ou moins épouser une reine tout en multipliant les conquêtes, Arsace – qui perdra le fight in fine – confie que, comme une tempête peut secouer terre et ciel, son âme est bouleversée par un chagrin profond. Derrière l’effet de la machine à vent (Michèle Claude, toujours), cet extrait permet à Luan Góes d’étinceler
- en associant déclamation extravertie et recherche de précision,
- en tenant le tempo et les décibels par la bride pour mieux exploser ensuite, et
- en soignant
- la ligne des vocalises,
- le tuilage des registres, ainsi que
- la complémentarité entre moments de suspension et moments de fureur explosive.
Malheureusement, après la mi-temps, Ève Ruggieri revient causer, offrant un florilège d’approximations consternantes et de traits d’humour foireux afin d’évoquer les castrats
- (« les braves curés font chanter les enfants – enfin, ceux qui ont survécu »,
- « je crois que c’est un pape, Léon X ou quelque chose comme ça »,
- « quand on a un très bon ministre en France, on le déteste »,
- « le roi Philippe V, c’est vraiment une fin de race », etc.).
Quand, enfin, l’inutile libère la scène, la musique peut reprendre ses droits avec « Venti turbini », un extrait du très religieux (mais un peu érotique quand même) Rinaldo de Georg Friedrich Händel. On reste dans la tempête avec cette incantation sollicitant les tourbillons pour « armer le bras » du héros « contre ceux qui [lui] ont donné de la peine ». Les Furiosi galantes s’illustrent par leur équilibre et leur aisance – ainsi du dialogue liminaire entre la violoniste Margherita Pupulin et le bassoniste Nicolas Rosenfeld, un moment de la meilleure eau. Luan Góes
- vocalise avec souplesse,
- respire juste,
- breake bien.
On regrette d’autant plus que sa présence scénique paraisse un brin corsetée : la musique est bel et bien exécutée, mais l’incarnation ne nous semble pas tout à fait à la hauteur. Dommage car l’air suivant eût plus ému si le chanteur était parvenu à délivrer ce supplément d’âme qui, parfois, transforme une bonne interprétation en moment wow. Dans « Gelido in ogni vena », Farnace, roi déchu, se rend compte de ce qu’il a fait en demandant à sa femme et à son fils de se suicider plutôt que d’être capturés par l’ennemi.
- Son sang a gelé ;
- il est terrorisé ; et
- il comprend l’étendue de sa cruauté – cette compréhension étant pour lui « pire que la douleur ».
Dans une atmosphère hivernale, l’heure est à l’effroi, donc aux extrêmes
- (accents cinglants versus suavité des phrasés,
- largeur des registres convoqués,
- tonicité de l’ensemble pouvant virer à la furibonderie, et hop).
Assis non loin de nous, le fils de la première violoniste, qui avait pourtant promis d’être sage à la pause, n’y tient plus et se met à pleurer. Pourtant, on croit sentir chez le contreténor une volonté de garder le drame légèrement à distance pour ne pas laisser l’émotion qu’il doit exprimer submerger la musicalité. L’option est louable sur le principe, mais on aimerait décidément que Luan Góes se lâchât davantage, ce qui nous permettrait de partager davantage la violence de ce que ressent Farnace et, ainsi, de nous envoler vers les cimes d’un désespoir de théâtre. La dernière partie du concert permettra-t-elle à l’artiste de se libérer et, ainsi, de lever nos dernières réserves ? Fin du suspense dans une prochaine notule !



