L’art de Sylvie Carbonel (Skarbo) – 20/24

Verso du neuvième épisode du florilège Sylvie Carbonel fomenté par Skarbo

 

Des lieder sans parole, même en 1866, ça n’a rien de bien nouveau ! Felix Mendelssohn-Bartholdy a bouclé ses huit recueils en 1845. Pourtant, Les Chants du Rhin ont leur petite originalité : ce sont des chants sans paroles mais avec du texte puisque Joseph Méry a écrit des stances spécialement pour inspirer le compositeur. Je vous parle d’un temps où il était encore de bon ton de se laisser aller à des rêveries germanophiles. Quatre ans plus tard, la guerre allait couper court à ces fantasmes.
Parmi les six chants louant ce Rhin qui « créa Gluck, Weber, Beethoven et Mozart », Sylvie Carbonel en a choisi deux qui complètent le récital de musique française reconstitué par Skarbo dans son florilège. « L’aurore » décrit « l »heure première » donc les « concerts de l’aurore, / de la brise du fleuve et du chant des oiseaux ». L’andantino espressivo et legatissimo associe les ondulations de doubles croches en 3/8 à l’irisation de la mélodie confiée au soprano.

  • Tempo décidé,
  • tonicité des attaques et
  • rigueur métronomique à peine troublée par quelques effets de détente ou de tension

dessinent un Georges Bizet à mille lieues du sentimentalisme souvent de mise dans ce répertoire. Sylvie Carbonel peint la vie qui part à l’assaut du quotidien plus que la poésie de circonstance avec les doigts de fée de l’aurore, le souffle du vent et la bleuisation diurne de l’obscurité.

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=q4XTsrIQ-fc[/embedyt]

 

« Les rêves », second extrait choisi, sont ceux des « jeunes bûcherons » voguant « sans péril » dans leur « barque oisive » et voyant – privilège du songe – soudain « rajeunir le vieux peuple germain ». Si l’on reste en ternaire (9/8 après 3/4), l’on avance un chouïa dans la gamme puisque, à l’Ut liminaire, répond ici le Ré bémol. L’andante ma non troppo se faufile sur un moteur de croches qui suit une mélodie langoureuse.

  • Délicatesse du toucher,
  • finesse du rendu polyphonique avec ses contrechants,
  • sens des contrastes (l’on entend bien tonner le retour de vigueur germain !)

font délicatement balancer la valse de la barque.  Après le fleuve, l’île ; l’inspiration littéraire, voici que la musique puise sa source dans la peinture. « Le Pèlerinage à l’île de Cythère » d’Antoine Watteau aurait déclenché l’écriture de « L’Isle joyeuse » par Claude Debussy, passage obligé de tout étudiant pianiste – la version proposée date de 1964, quand miss Carbonel travaillait sous la férule d’Yvonne Lefébure au Conservatoire de Paris. Le prologue marqué « quasi una cadenza » fuse avec autorité et énergie vers un « tempo modéré et très souple » aux accents hispaniques assumés.

  • Profondeur des graves,
  • effet roboratif des triolets de doubles croches,
  • souffle des crescendi,
  • tension du contraste entre ternaire et binaire,
  • art de la respiration contrastant avec la fougue indifférente aux difficultés techniques et musicales,
  • placidité des modulations,
  • clarté des aigus et
  • maîtrise des différents registres

dépassent les qualités attendues telles que

  • le brio,
  • la cohérence et
  • la largeur du spectre sonore

pour les habiller d’une étoffe musicale perpétuellement tendue dont l’éclat laisse entrevoir la cohérence d’une interprète depuis ses débuts radiophoniques jusqu’à ses derniers enregistrements.

 

[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=ftQBif7n3dE[/embedyt]

 

Décidément, il ne faut pas compter sur Sylvie Carbonel pour

  • le mignard,
  • le sentimentalisme facile ou
  • les petits arrangements avec le texte qui simplifient pourtant grandement la vie.

La musicienne n’a pas besoin de

  • de truquer,
  • de feindre la larmichette pratique ou
  • d’utiliser les stratagèmes marketing

qui permettent à de jeunes dames plus aguicheuses que techniquement bien achalandées de parader sur les plus grandes scènes du monde en tenues olé-olé en dépit d’un niveau et d’une ambition artistique médiocres à l’aune de l’excellence en général requise à ces cimes. Sylvie Carbonel ne fabrique pas, ne plaisante pas, croit à la musique qu’elle joue et envoie le bois qui va bien. De quoi mettre en appétit pour les trois extraits d’Olivier Messiaen que nous évoquerons à l’occasion de la prochaine notule !


Pour acheter le coffret (env. 35 €), c’est par exemple çà.
Pour écouter le disque en intégrale et gratuitement, c’est par exemple .

Pour retrouver les critiques précédentes du coffret
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 1
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 2
Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky

Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 1
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 2
Le Cahier de musique de Jacques Desbrière

Franz Liszt – Totentanz
Franz Liszt – Sonate en si mineur
Franz Liszt – Deux harmonies poétiques et religieuses

De Bach à Granados – Un récital imaginaire

Ludwig van Beethoven – La Waldstein et plus
Carl Maria von Weber – Sonate pour flûte et piano

Wolfgang Amadeus Mozart – Troisième trio K.502 et plus
Frédéric Chopin – Trio en sol mineur

Johannes Brahms – Trio en Si
Robert Schumann – Humoreske op. 20

Johannes Brahms – Trio op. 114
Arnold Schönberg – Drei Klavierstücke op. 11

Charles-Valentin Alkan – Deux Motifs et +


À suivre !

 

Blog