
Des lieder sans parole, même en 1866, ça n’a rien de bien nouveau ! Felix Mendelssohn-Bartholdy a bouclé ses huit recueils en 1845. Pourtant, Les Chants du Rhin ont leur petite originalité : ce sont des chants sans paroles mais avec du texte puisque Joseph Méry a écrit des stances spécialement pour inspirer le compositeur. Je vous parle d’un temps où il était encore de bon ton de se laisser aller à des rêveries germanophiles. Quatre ans plus tard, la guerre allait couper court à ces fantasmes.
Parmi les six chants louant ce Rhin qui « créa Gluck, Weber, Beethoven et Mozart », Sylvie Carbonel en a choisi deux qui complètent le récital de musique française reconstitué par Skarbo dans son florilège. « L’aurore » décrit « l »heure première » donc les « concerts de l’aurore, / de la brise du fleuve et du chant des oiseaux ». L’andantino espressivo et legatissimo associe les ondulations de doubles croches en 3/8 à l’irisation de la mélodie confiée au soprano.
- Tempo décidé,
- tonicité des attaques et
- rigueur métronomique à peine troublée par quelques effets de détente ou de tension
dessinent un Georges Bizet à mille lieues du sentimentalisme souvent de mise dans ce répertoire. Sylvie Carbonel peint la vie qui part à l’assaut du quotidien plus que la poésie de circonstance avec les doigts de fée de l’aurore, le souffle du vent et la bleuisation diurne de l’obscurité.
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« Les rêves », second extrait choisi, sont ceux des « jeunes bûcherons » voguant « sans péril » dans leur « barque oisive » et voyant – privilège du songe – soudain « rajeunir le vieux peuple germain ». Si l’on reste en ternaire (9/8 après 3/4), l’on avance un chouïa dans la gamme puisque, à l’Ut liminaire, répond ici le Ré bémol. L’andante ma non troppo se faufile sur un moteur de croches qui suit une mélodie langoureuse.
- Délicatesse du toucher,
- finesse du rendu polyphonique avec ses contrechants,
- sens des contrastes (l’on entend bien tonner le retour de vigueur germain !)
font délicatement balancer la valse de la barque. Après le fleuve, l’île ; l’inspiration littéraire, voici que la musique puise sa source dans la peinture. « Le Pèlerinage à l’île de Cythère » d’Antoine Watteau aurait déclenché l’écriture de « L’Isle joyeuse » par Claude Debussy, passage obligé de tout étudiant pianiste – la version proposée date de 1964, quand miss Carbonel travaillait sous la férule d’Yvonne Lefébure au Conservatoire de Paris. Le prologue marqué « quasi una cadenza » fuse avec autorité et énergie vers un « tempo modéré et très souple » aux accents hispaniques assumés.
- Profondeur des graves,
- effet roboratif des triolets de doubles croches,
- souffle des crescendi,
- tension du contraste entre ternaire et binaire,
- art de la respiration contrastant avec la fougue indifférente aux difficultés techniques et musicales,
- placidité des modulations,
- clarté des aigus et
- maîtrise des différents registres
dépassent les qualités attendues telles que
- le brio,
- la cohérence et
- la largeur du spectre sonore
pour les habiller d’une étoffe musicale perpétuellement tendue dont l’éclat laisse entrevoir la cohérence d’une interprète depuis ses débuts radiophoniques jusqu’à ses derniers enregistrements.
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Décidément, il ne faut pas compter sur Sylvie Carbonel pour
- le mignard,
- le sentimentalisme facile ou
- les petits arrangements avec le texte qui simplifient pourtant grandement la vie.
La musicienne n’a pas besoin de
- de truquer,
- de feindre la larmichette pratique ou
- d’utiliser les stratagèmes marketing
qui permettent à de jeunes dames plus aguicheuses que techniquement bien achalandées de parader sur les plus grandes scènes du monde en tenues olé-olé en dépit d’un niveau et d’une ambition artistique médiocres à l’aune de l’excellence en général requise à ces cimes. Sylvie Carbonel ne fabrique pas, ne plaisante pas, croit à la musique qu’elle joue et envoie le bois qui va bien. De quoi mettre en appétit pour les trois extraits d’Olivier Messiaen que nous évoquerons à l’occasion de la prochaine notule !
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Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 1
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 2
Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 1
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 2
Le Cahier de musique de Jacques Desbrière
Franz Liszt – Totentanz
Franz Liszt – Sonate en si mineur
Franz Liszt – Deux harmonies poétiques et religieuses
De Bach à Granados – Un récital imaginaire
Ludwig van Beethoven – La Waldstein et plus
Carl Maria von Weber – Sonate pour flûte et piano
Wolfgang Amadeus Mozart – Troisième trio K.502 et plus
Frédéric Chopin – Trio en sol mineur
Johannes Brahms – Trio en Si
Robert Schumann – Humoreske op. 20
Johannes Brahms – Trio op. 114
Arnold Schönberg – Drei Klavierstücke op. 11
Charles-Valentin Alkan – Deux Motifs et +
À suivre !