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Recto du septième épisode du florilège Sylvie Carbonel fomenté par Skarbo

 

Œuvre de jeunesse, ce Trio en Si op. 8 pour pianoforte, violon et violoncelle de Johannes Brahms ? Oui, car composée après vingt ans de vie ; non, car remixée sept ans avant la mort. Or, bien que la pochette ne le précise pas, c’est cette seconde version, sans doute la plus légitime, que Sylvie Carbonel et ses complices ont choisie pour conclure le récital enregistré en 1983 au studio 104 de la Maison de la radio, après un trio de Mozart et le trio de Chopin.
Au violon, Nina Bodnar-Horton est quasi en opération rachat puisque, deux ans auparavant, elle a remporté le grand prix du concours Jacques-Thibaud au détriment du sieur Olivier Charlier, avec qui j’ai eu le plaisir tantôt de jouer, “seulement” gratifié d’un deuxième prix et du prix d’interprétation de la musique contemporaine). La “prêtresse blonde au profil athénien”, selon l’expression de Jacques Longchampt, avait damé le pion  – et, en France, c’est un crime – au brillant local de l’étape, à son compatriote Charles-André Linale… et aux Japonais dont Yumino Toyoda dont le papa était, c’est pratique, dans le jury.
À ses côtés, feu Hervé Derrien, violoncelle solo de l’Orchestre national de France pendant trente ans, était connu pour être multicasquettes : musicien gradé du plus prestigieux orchestre hexagonal, il était aussi soliste, chambriste, musicien de jazz au côté de Martial Solal et accompagnateur de vedettes de l’acabit d’un William Sheller. Autant de visions de la musique qui ne sont pas inutiles au moment d’aborder les quasi trois quarts d’heure du monumental trio désormais sur notre platine.
Un Allegro con brio en Si trampoline l’histoire. Un dialogue s’engage entre le piano et le violoncelle. La sonorité du piano est idéalement fondue, avec

  • une basse rassurante,
  • un bariolage discret et
  • une mélodie phrasée à la perfection.

Le violon se joint à la conversation. Les interprètes veillent à ce que

  • nuances,
  • accents,
  • changements de mesure,
  • tentations modulantes,
  • frictions entre ternaire et binaire,
  • unissons convaincants ainsi que
  • changements de caractère

évitent tout risque de badinage mimi mais peu captivant.

  • La circulation fluide donc tonifiante des triolets,
  • les contretemps pêchus,
  • l’utilisation rouée du registre aigu des violon et violoncelle,
  • la variété des types d’échanges entre collègues,
  • la malice des modulations tonales et modales, ainsi que
  • la capacité à jouer dans la même respiration

saisissent. La virtuosité collective et individuelle des musiciens rend délicieuses ces onze minutes où

  • mélodie savoureuse,
  • science compositionnelle et
  • trouvailles

évitent toute fatalité paresseuse qui réduirait l’écriture à une série de process maîtrisés mais susceptibles de supprimer du geste créatif

  • l’inspiration,
  • la surprise et
  • le jaillissement

au profit d’un brillant mais simpliste savoir-faire. Le scherzo en si mineur, allegro molto, rebondit avec grâce et un dynamisme qui n’est jamais précipitation.

  • La beauté des nuances piano,
  • la capacité à distinguer tonicité et bruit,
  • le sens des sforzendi qui offrent des marcato libérés de tout besoin de décibels, ainsi que
  • des crescendi et decrescendi remarquablement réalisés

séduisent immédiatement et durablement.

  • Ça balance,
  • ça sautille,
  • ça vibre,
  • ça rue aussi et
  • ça breake avec grâce au retour du tempo I et du mode mineur.

L’Adagio revient à une dominante de Si. Le délicat legato de Sylvie Carbonel introduit l’échange entre les deux archettistes. À la fois

  • respiration,
  • retour au calme et
  • autre façon d’exploiter les possibles du trio,

le mouvement permet d’associer

  • la tranquillité impavide du piano,
  • la chaleur évocatrice du violoncelle et
  • la polymorphie du violon, à la fois leader né et potentiellement excellent accompagnateur.

Portée par des interprètes aux petits soins (ou aux petits oignons, l’un n’empêchant point l’autre), la partition, loin de dévider un slow lénifiant pour musique de film de Noël, étincelle dans l’intimité grâce

  • aux mutations du discours,
  • aux suspensions intrigantes,
  • à l’insertion du ternaire sur la superbe partie finale,
  • aux récurrences envoûtantes,
  • aux riches harmonies et
  • à l’exploitation du contraste entre la vitalité du précédent mouvement et cette passionnante lenteur tombée sur le trio.

L’Allegro final a souvent fait écrire les classicoss car il semble incongru : chacun sait qu’on ne finit pas une œuvre en majeur sur une tonalité mineure. Johannes Brahms le savait aussi, donc il l’a fait quand même. Pis : il a choisi d’écrire un dernier mouvement souvent doublement ternaire (3/4 + triolets, donc quasi 9/8) alors que chacun sait, car chacun sait beaucoup de choses, qu’un finale en binaire, ç’a quand même achement plus de gueule.

  • Régularité et souplesse,
  • élégance et tonicité,
  • verticalité et échanges horizontaux,
  • mode mineur et tentation du majeur au centre

expriment, animent et irritent la tension qui parcourt le mouvement. C’est autour du piano que tout pivote tant le rôle qui lui est confié est multiple :

  • il accompagne,
  • il impulse les mutations,
  • il relance,
  • il module,
  • il lie et
  • il tranche.

Ainsi soutenus, violon et violoncelle peuvent

  • déployer leur onctuosité,
  • s’enjailler,
  • se chicaner et
  • s’enflammer

pour notre plaisir le plus canaille. Au prochain épisode, ils s’éclipseront néanmoins afin que Sylvie Carbonel affronte seule les escarpements enchanteurs de l’Humoreske op. 20 du sieur Robert Schumann.


Pour écouter le disque Beethoven – Weber gratuitement, c’est ici.
Pour acheter le coffret (env. 35 €), c’est par exemple .

Pour retrouver les critiques précédentes du coffret
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 1
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 2
Les Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky

Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 1
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 2
Le Cahier de musique de Jacques Desbrière

Franz Liszt – Totentanz
Franz Liszt – Sonate en si mineur
Franz Liszt – Deux harmonies poétiques et religieuses

De Bach à Granados – Un récital imaginaire

Ludwig van Beethoven – La Waldstein et plus
Carl Maria von Weber – Sonate pour flûte et piano

Wolfgang Amadeus Mozart – Troisième trio K.502 et plus
Frédéric Chopin – Trio en sol mineur


À suivre !