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Recto de la couverture du sixième disque à retrouver dans le coffret Sylvie Carbonel fomenté par Skarbo

 

Risquerait-on pas de s’ennuyer en écoutant un coffret anthologique si des surprises ne le venaient pimper ? Le programme du sixième disque du best of Sylvie Carbonel prémunit triplement contre ce genre de risque.

  • D’abord parce que le titre est “Trios pour piano et cordes”, et qu’une pièce pour piano seul ouvre le bal.
  • Ensuite parce que le disque prend en sandwich Mozart entre deux morceaux de Chopin.
  • Enfin parce qu’il se décapsule non pas sur une sonate de Chopin, mais sur deux extraits de ladite sonate, apparemment enregistrés en 1963 lors du concours d’entrée au CNSMDP.

Supposera-t-on que la dame était insatisfaite des deux autres mouvements, ou que le conservatoire souhaitait uniquement vérifier la capacité des candidats jouer autre chose qu'”Au clair de la Luneuh” ? Quelle que soit la raison de cette bestofisation, la question reste identique : fallait-il insérer une sonate tronquée dans le disque, qui plus est centré sur la musique de chambre ?
Les défenseurs de cette idée rappelleront que l’œuvre manque d’uniformité voire d’unité. Chopin n’a pas composé une sonate. Furieux de voir sa première sonate circuler malgré ses instructions (et sans lui rapporter une pièce jaune), il s’est contenté de juxtaposer quatre morceaux et de clouer ensuite en haut de la partition l’écriteau “SONATE”. En jouer deux extraits n’a donc rien de blasphématoire.
Les contempteurs ricaneront à l’idée d’écouter une Deuxième sonate en si bémol mineur op. 35 privée du mouvement qui l’a déterminée, la marche funèbre-et-pas-que du troisième. Ma foi, qu’ils débattent entre eux pendant que nous laissons le gramophone dérouler la musique apéritive que l’éditeur a choisie pour nous.
Le premier mouvement, grave quelques secondes, passe à double tempo promptement. Le son est résolument vintage, ce qui n’est certes pas désagréable. En effet, il rappelle à notre oreille la variété diachronique de sonorités qui fait aussi la richesse du catalogue pianistique, parfois gommée par des restaurations criardes susceptibles de nuire à certains artistes concernés. Apparaissent d’emblée certaines qualités que la pianiste sur le point de passer dans la cour des grands affirmera au long de sa carrière :

  • respect du texte,
  • caractère décidé,
  • absence de sentimentalisme cependant dénuée de sècheresse,
  • capacité de muter les couleurs si habile que la cohérence du fragment n’est jamais menacée.

On se repaît itou

  • du rythme démentiellement tonique et complexe du mouvement ici à la fois
    • concentré,
    • rageur et
    • jubilatoire,
  • de la modulation sans retour en Si bémol, qui ajoute un peu de soleil entre nos deux esgourdes (précieux quand on a facilement tendance à la dépression), et
  • de l’énergie des accords répétés que la presque-gamine compresse jusqu’à les faire exploser avec science.

Au cas où vous n’auriez pas eu votre dose de virtuosité, voici, dernier mouvement de la sonate, l’extravagant presto, défi en 2/2 officiellement, en 12/8 officieusement (et cette tension contribue évidemment à l’intérêt de l’exercice) où mains droite et gauche partagent à l’unisson et à l’octave la même cavalcade.

  • Doigts déliés,
  • tonicité hésitant entre impassibilité et ironie,
  • régularité travaillée par
    • les accents,
    • les nuances et
    • les contretemps

fusent ainsi qu’attendu. C’est brillant, d’autant que l’on sent poindre sous le numéro circassien enlevé avec maestria le désir – invraisemblable pour tout pianoteur normalement constitué – de faire de la musique au-delà du show exigé par le compositeur et le contexte de concours.

 

 

Le lien entre des bouts de sonate de Chopin et un trio de Mozart n’est pas évident (d’autant que Chopin est réputé avoir admiré surtout le sixième trio, donc pas celui qui est programmé). Mais, là encore, si tout était toujours logique, ce systématisme risquerait de nous paraître ensuquant. Sur dix disques, on aurait tort de bouder le plaisir de l’étonnement. En revanche, on ne saurait ne pas s’escagasser devant la légèreté éditoriale du label, annonçant le cinquième trio pour violon, violoncelle et piano… alors qu’il s’agit du Troisième trio en Si bémol, côté K.502 et enregistré live en 1983.
L’Allegro s’annonce

  • léger,
  • sautillant et
  • aimablement dirigé par un piano alliant résolument rigueur et ductilité.

Les compères rendent avec alacrité (héhé !) et précision les grâces de la partition.

  • Les dialogues entre comparses sont sainement huilés ;
  • le rythme est tenu, les effets de relâchement / agitation étant assurés par les nuances ;
  • les attaques et phrasés sont réglés aux petits oignons.

La seconde partie du mouvement travaille davantage les effets de duos (piano + violoncelle versus violon) sans renoncer aux effets d’écho et aux duos à la tierce, offrant à entendre une musique plus primesautière qu’émouvante. Le Larghetto en Mi bémol et en 3/4 associe

  • solennité,
  • rigueur manifestée par les introduction et interludes pianistiques, et
  • liberté apparente
    • (appogiatures,
    • sextolets,
    • ornements).

Le violoncelle d’Hervé Derrien, réduit au rôle d’accompagnateur, n’en délivre pas moins un son

  • rond,
  • profond et
  • intense

qui, avec l’incision du violon de Nina Bodnar Horton et la rectitude du piano de Sylvie Carbonel

  • (texte,
  • toucher,
  • rythme),

contribue à éviter au mouvement de n’être que joli, mignon voire gnangnan. L’Allegretto revient en Si bémol et en 4/4. Il s’enlève sur un motif similaire au Larghetto (tremplin répété + sixte).

  • Lancement du piano,
  • réponse du violon,
  • accompagnement du violoncelle :

comme une sensation de déjà-ouï, oui, mais l’on goûte

  • la récurrence de triolets cassant l’horlogerie de la mesure binaire,
  • la pétillance persistante du piano, ainsi que
  • les jolies synchronisations de nuances et d’intentions.

En dépit d’une musique pas toujours saisissante,

  • les appogiatures dynamisantes,
  • la légèreté des marteaux et
  • la capacité des interprètes à respirer ensemble en allant de l’avant

happent l’oreille… et poussent à la curiosité avant d’écouter le même combo s’emparer du Trio en sol mineur opus 8 de Frédéric Chopin !


Pour écouter le disque Beethoven – Weber gratuitement, c’est ici.
Pour acheter le coffret (env. 35 €), c’est par exemple .

Pour retrouver les critiques précédentes du coffret
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 1
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 2
Les Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky

Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 1
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 2
Le Cahier de musique de Jacques Desbrière

Franz Liszt – Totentanz
Franz Liszt – Sonate en si mineur
Franz Liszt – Deux harmonies poétiques et religieuses

De Bach à Granados – Un récital imaginaire

Beethoven – La Waldstein et plus
Carl Maria von Weber – Sonate pour flûte et piano


À suivre !