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En première partie, la Symphonie n°1 attaque fort. L’Orchestre du Théâtre Mariinsky est précis, puissant, varié. La netteté des attaques, la capacité de nuancer, la beauté des soli, tout concourt à séduire l’ouïe. D’autant que la partition, en quatre mouvements, permet une écoute sans cesse en éveil. Le compositeur contraste, installe des ambiances, renâcle, repart, développe, ajoute des bribes, fait du bruit, s’emporte… et ses interprètes le servent avec une application qui suscite à juste titre l’enthousiasme d’une salle Pleyel quasi comble. Certes, les spécialistes voient surtout dans la pièce une compo de conservatoire, donc un premier lèche-culisme institutionnel de DSCH ; mais comme je ne suis pas un expert, j’ai p’t-être le droit de dire que c’est fort palpitant, à écouter – et si j’ai pas la légitimité, ben, j’la prends.
La Symphonie n°2 qui suit est d’une espèce différente : c’est un bloc de vingt minutes, dont le début est saisissant – grouillement des graves, agitation des cordes, rythmes qui se délitent (un pupitre énonce une série de notes, un autre la reprend mid-tempo, ainsi de suite). Après dix minutes, cependant, le Chœur du Théâtre Mariinsky intervient pour déclamer un poème débile d’Alexandre Bezymenski, louant “Octobre” et caressant l’anus du Berlusconi de l’époque (“Notre devise : Octobre et Lénine, l’âge nouveau et Lénine, la commune et Lénine”). Les sopranes sonnent faux et les voix aiguës en général pas forcément très précises, mais les interprètes font ce qu’ils peuvent pour rendre l’énergie martiale que la pièce impose ; et l’on ne peut que louer le son compact et percutant obtenu par Valery Gergiev en dépit de conditions limite (les choristes sont placés derrière l’orchestre, et non dans les gradins comme de coutume, afin que puissent être vendues les places où ils eussent dû se tenir d’ordinaire). Reste que cette deuxième symphonie n’est pas la plus palpitante du compositeur.
En seconde partie, le Concerto pour piano n°2 renoue avec la veine quasi pétillante que DSCH savait aussi exploiter. Denis Matsuev joue avec autorité une pièce qu’il connaît sur le bout des doigts – et, comme toujours chez Chosta, des doigts, il en faut. L’orchestre a le bon goût d’engager un dialogue parfaitement maîtrisé avec lui : les duos sont nets (on part ensemble, on arrive ensemble), l’équilibre entre tutti et solistes est sûr, les dynamiques sont tenues (vivacité sans esbroufe, élargissements opportuns sur les mouvements lents) – que demander de plus ? Le parti pris d’une interprétation non-géniale (pas de folie, pas d’excès, mais le texte, l’esprit, la précision) est tenu, et il est plutôt séduisant. Le bis paraît un peu plus approximatif (la pédale ne peut pas effacer tous les canards), mais cela n’a aucune importance : l’essentiel fut joliment joué.
Il est temps de faire disparaître le piano du soliste sous la scène – le public applaudit, c’est curieux, le mécanisme de régie alors sollicité – et d’attaquer un gros morceau : la Symphonie n°15. Soit une cinquantaine de minutes dans cette version (dans l’intégrale de Barshaï, elle dure moins de trente-huit minutes : peut-être cette dilatation explique-t-elle pour partie l’ennui que suscite cette gergievisation…), dont l’audition est réservée à des oreilles averties et en éveil. En effet, après un début grinçant (thème ironique des trompettes), la pièce alterne citations, échos de thèmes plus ou moins connus, et soli cycliques, dans une sorte de plat paysage où les reliefs sont rares et vite arasés. L’intérêt est d’entendre les solistes du Mariinsky, tous admirables, parmi lesquels le trombone, le violoncelle, la clarinette… Admettons néanmoins que ce côté Piccolo et Saxo (je fais entendre les différents pupitres) n’est pas de nature à susciter une audition passionnée en continu, même s’il y a quelque chose de stimulant dans cette longue langueur, et réciproquement, qui marque ainsi la dernière symphonie du zozo.
Le bilan de ce concert est donc contrasté : l’orchestre est excellent, visiblement très bien dirigé (même si un peu de peps supplémentaire ne nuirait pas toujours à VG) ; les musiciens ne sont pas venus faire leur tournée européenne en touristes dilettantes ! Mais l’exigence de l’intégrale n’a pas permis de construire un concert brillant, en crescendo : le charme de l’encyclopédie, à la différence de Grodico, n’est pas toujours dans l’affriolante exhibition de froufrous ! Et pourtant, il faut conclure par l’essentiel : au vu de la valeur de l’ensemble, on ne peut qu’avoir hâte d’assister au deuxième épisode de la saga. Chic, c’est ce 8 janvier. On en reparle donc bientôt ici.