
La dernière partie du « Voyage au cœur des passions humaines » manigancé par Luan Góes et les Furiosi galantes s’ouvre sur un ultime instrumental – une Folia d’Antonio Vivaldi.
- Morgan Marquié abandonne son théorbe pour chausser une guitare ;
- Michèle Claude navigue entre castagnettes et tambourins ;
- à l’instar de Pavel Amilcar, second violon, chaque membre de l’orchestre ou presque savoure son moment solo.
Sur la séquence tubesque de l’époque, l’auditeur apprécie les jolies sautes d’humeur agencées par les instrumentistes, qui récoltent un triomphe mérité pour leur interprétation vivante d’une scie plaisamment colorée. Le contreténor reprend du service avec un instrumentarium réduit pour « Tu dormi in tanta pene », un extrait de Tito Manlio du même prêtre roux. L’intrigue de l’opéra est à peu près incompréhensible – en gros, les Romains et les Latins coopèrent puis se fight puis se re-aiment ; de même, Tito, le boss, est le père d’un Manlio qu’il aime, déteste pour re-aime grâce, notamment, à l’intercession de Servilia, la fiancée dudit Manlio qu’incarne ici Luan Góes. Alors que Manlio est aux fers et vient enfin de s’endormir, Servilia le réveille pour lui glisser : « Dormez, beaux yeux. » Allez comprendre…
Le fils de Margherita Pupulin, premier violon, que l’on avait vu en pleurs dans la précédente notule, a été mis en réserve backstage. Il passe une tête à jardin pour assister au récitatif et à l’air accompagnés par
- sa violoniste de maman,
- Pablo Tejedor au violoncelle,
- Morgan Marquié qui a récupéré son théorbe,
- Ershad Therani à la contrebasse et
- Daniele Luca Zanghì au clavecin.
Porté par sa garde rapprochée, Luan Góes développe un chant
- sensible (importance du phrasé),
- ambitieux (exigence des tenues) et
- libre (énoncé souple du récitatif, qui doit être suivi voire anticipé par la violoniste).
Le quintette instrumental joue avec précision ses trois rôles :
- prélude à la voix,
- accompagnement du chant et
- commentaire du propos.
Par éclats, si l’on en croit une voix ayant tendance à se détremper çà et là, il pourrait sembler que Luan Góes fatiguât. Tant pis, l’on approche du premier finale avec, tiré d’un livret de Vincenzo Grimani mis en musique par Georg Friedrich Haendel pour son opéra Agrippina, l’air de Nerone intitulé « Come nube che fugge dal vento », aussi exploité dans l’oratorio Il trionfo del tempo o del Disinganno. Au mitan du troisième et dernier acte, Nerone doit renoncer à Poppée « comme un nuage soufflé par le vent » afin de conserver le trône qu’il occupait plus ou moins par intérim.
Pour ce moment drrrrramatique, l’orchestre revient plus qu’au grand complet puisque le bassoniste Nicolas Rosenfeld troque son anche double double pour une flûte à bec. Luan Góes a choisi de conclure l’affaire en pyrotechnie en mêlant
- traits,
- portés de voix et
- notes longues trillées.
Choix judicieux qui l’oblige néanmoins à concéder deux bis, le premier où le chanteur semble enfin se libérer ; le second visant à faire jubiler le public, heureux de reconnaître un mégahit d’Alessandro Scarlatti. « Dormi o flumine di guerra », c’est l’air tout mignon de la traîtrise où la nourrice, chantée par le contreténor, tente d’assoupir le « foudre de guerre » qu’elle veut assassiner. En dépit d’une prononciation surprenante (le « dormi » devient « durmi »), l’effet de familiarité fonctionne et est loin d’endormir le public… même si l’on s’étonne que le chanteur ait encore besoin de sa partition pour ce pilier du répertoire. De cette soirée, l’on retient cependant
- la revigorante ambition d’un jeune contreténor,
- la belle énergie portée par l’ensemble des Furiosi galantes, et
- l’habile agencement d’un programme aguicheur.
À la fin de la fin, Ève Ruggieri s’est éclipsée et, quand nous sortons, la nuée de CRS qui avait compliqué l’arrivée au théâtre s’est dispersée. Force reste à la musique !

