
Dans la première partie de cet autoportrait en forme de puzzle florilège, Jann Halexander a posé au centre de sa poétique trois piliers :
- la friabilité de l’identité,
- l’insaisissabilité de l’amour, et
- la fragilité de l’existence que la mort se contente de parachever.
Son disque lui-même est un triple pied-de-nez
- à l’évidence fallacieuse,
- à la fatalité des conventions, et
- à la solidité des certitudes :
c’est
- un disque mais un objet uniquement digital,
- un best of où manquent de nombreux tubes, et
- un portrait volontairement
- diffracté,
- irisé,
- atomisé,
où l’inscription de lignes de force nettes permet toute sorte de
- digressions,
- fausses pistes et
- chausses-trappes
faisant, selon la célèbre expression d’Antoine Pol gravée dans le marbre par Georges Brassens, « paraître court le chemin ». Dans cette seconde partie, apparaît clairement le label « enjeu » dès « Ô Bel Anjou » (faut pas nous chercher sur la parophonie non plus, hein) puisque l’artiste refuse d’être essentialisé :
- bisexuel, oui,mais pas LGBTQIA+ ferré aux revendications des extrémistes des communautés en jeu ;
- franco-gabonais mais incapable de jouer la carte du malheureux métis dans un monde colonialiste et non déconstruit ;
- chanteur de machins avec du texte dedans mais pas « indépendant » victime de la machinerie mainstream.
La question de l’inscription de l’identité dans un espace angevin rythme la compil’ entre
- « Pont Verdun,
- « Ô bel Anjou » et
- « Un dimanche au Vieil-Baugé » qui se silhouette, et hop.
Le narrateur est à la fois ébaubi de ce qui est « véritablement beau » dans la contrée tout en admettant, façon Oldelaf contemplant « Nan, si », que la douceur angevine est composée au premier chef d’ennui. Armé de son seul piano, le chanteur se positionne comme « chez nous » dans l’Anjou tout en admettant que, là-bas, « tous les habitants se ressemblent à s’y méprendre ». Sous-entendu : sauf lui. Critique ? Non, ironie.
- Distance.
- Friction.
- Fructueux malaise.
Même là où l’artiste se sent si peu à sa place, il « reste » et « crouille la porte » du réel pour le punir de sa froideur mesquine en attendant « que le faucheuse m’emporte ». Ni schizophrénie, ni ambivalence : Jann Halexander remercie sincèrement ce qui le renvoie à ses contradictions.
- Paysage,
- sociabilité,
- généalogie,
il se sent d’ici donc d’ailleurs, et réciproquement. « Moi qui rêve » enquille. Musique dramatique. Texte lourdaud d’Agnès Renault
- (épithètes pataudes,
- assonances attendues,
- blabla égotique sans dynamique ni poésie)
musiqué par l’artiste.
- Intro emphatique.
- Mystère pesant que dissipe l’arrivée du piano.
- Harmonisation sachant rendre son écot à Anne Sylvestre en dépit de la tentation – habilement contournée – Aznavour autour du « Emmenez-moi ».
Les arrangements ajoutant un accordéon musette, notre ennemi juré, nous nous contenterons d’apprécier le travail instrumental qui agrémente la coda – double, comme il sied chez Jann Halexander. Lequel revendique fortement de s’ancrer au Vieil-Baugé où il possède une maison de famille – et cultive sa treille – pour se poser et reprendre souffle. « Un dimanche au Vieil-Baugé », presque trenetique, évoque plus qu’elle ne décrit
- un paysage,
- un moment,
- un endroit.
Pour autant, tout ramène le chanteur à l’amour :
- un clocher penché « sur son étrange église »,
- une toile d’araignée,
- une habitude
peuvent lui paraître métonymie ou métaphore de cette pulsion érotique sans laquelle pas de vie en général et pas de chanson en particulier. Chanson de fin de spectacle comme pouvait l’être chez Anne Sylvestre la « Fausse sortie », « Mesdames et messieurs, je vous aime » élargit l’acception de l’amour à la reconnaissance. Ancré dans son piano, Jann Halexander revendique
- l’impudeur de l’artiste,
- l’espoir de transporter l’autre pour se supporter, soi,
- la nécessité de parler un amour qui devient performatif (j’aime donc je le dis, je le dis donc j’aime).
La coda aux allures de ghost title paraît symboliser ce moment où le chanteur s’apprête
- à quitter la scène,
- à redevenir un homme et
- à retourner aux tourments donc aux délices dont il vient de faire étalage.
Ce moment est multiple. Il est
- fragile car il met à nu le « fil de la vie » chanté par Anne Sylvestre, le fil même que l’artiste essaye d’enrouler – sans l’emmêler – autour du continuum scène-ville ;
- vertigineux car s’y joue la question du théâtre de la vie (l’existence n’est-elle que songe ou comédie ?) et de la vie du théâtre (que se passe-t-il vraiment pour l’artiste quand il « se donne en spectacle » ?) ; voire
- aveuglant car l’artiste enluminé s’apprête à céder la place à l’homme dans le noir scène.
Pour l’embrasser ou l’affronter, mieux vaut s’appuyer sur des valeurs sûres et dangereuses.
- L’identité, par exemple, comme ces racines gabonaises évoquées par l’introduction de « Rester par habitude » que l’on suppose en myéné ;
- l’ouverture aux autres qu’illustrent les arrangements de Sébastyén Defiolle, le piano s’étoffant
- de percussions,
- de sons de basse et
- d’une guitare hispanisante ; ainsi que
- l’habitude,
- redoutée et structurante,
- rassurante et fossilisante,
- facilitatrice de vie et éteignoir d’espoirs avortés.
Nul ne s’étonnera si ce parcours de vie artistique curieusement cohérent pour des miscellanées s’achève sur deux mots : « Mon amour. » En effet, l’œuvre de Jann Halexander
- présente,
- raconte et
- façonne
l’amour comme
- un pansement de l’âme,
- un booster d’énergie, et comme
- la plus terrassante limite de l’homme.
Dans ses chansons, tout se passe comme si l’artiste s’efforçait de regarder, selon les mots de Nelly Sachs (Exode et métamorphose…, trad. Mireille Gansel, Gallimard, « Poésie », 2023, p. 275), « derrière la paupière », « sur la pierre lunaire du temps », là où, énigmatique,
le cri du coq
ouvre la plaie
sur la tête du prophète.
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