Fruits de la vigne – Domaine des trois filles – Mont Caume rouge 2021

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Photo : Bertrand Ferrier

 

Depuis que les “vins de pays” ont disparu, peut-être parce que l’étiquette paraissait infamante ou parce que parler de “pays” est devenu honteux à l’ère où devrait s’imposer la circulation mondiale du capital et des esclaves qui le font fructifier (disons que, à notre ère, l’aire n’est plus dans l’air du temps), l’IGP – sigle qui fleure bon le jargon technocratique – s’est imposé. Il couvre à la fois

  • des vins GPS – selon le syntagme forgé par les Philosophes du Fiel – permettant au malheureux qui les ingurgite de suivre la progression du poison dans le labyrinthe de ses boyaux avec une précision chirurgicale, hélas, et
  • des produits revendiqués comme des “vins d’auteur” (voire, plus chic, “d’autrice”), à la fois sis sur un terroir mais libérés de pas mal de contraintes liées à l’AOC.

On sait combien cette idée que les contraintes brident la créativité (j’ai écrit une thèse pour prouver que, en littérature pour la jeunesse, elles bridaient surtout la créativité des béni-oui-oui et des nuls, mais ce n’est presque pas le sujet) et pèsent sur les entrepreneurs est chérie des néolibéraux, et pas qu’en Argentine. Du reste, ils ont raison ! Sans droit du travail, sans normes d’hygiène, sans contrôles de conformité, le business marcherait hyper plus mieux. Les grands patrons pourraient s’adonner à leur passion : être en capacité de créer hyper plus de travail de merde.
Partant, profitons de cette fin d’année pour rêver un peu. Dans l’euphorie – frisant la liesse, la coquine – généralisée que susciterait l’abolition des dernières barrières à l’exploitation des pauvres hères, le commerce enrichirait hyper plus les nantis tandis que les ploucs, hyper plus enfoncés par ce triple pale dénommé travail, consommeraient hyper plus de merde encore plus merdique sans voir de différence avec la merde un peu moins merdique qu’ils consommaient avant. Bah quoi ? Reconnaissons-le : c’est con, un plouc et puis, quand ça meurt, ça se remplace comme à la parade. Honnêtement, les ploucs, c’est pas ça qui manque sur la Terre.
De surcroît et sans supplément inflationniste, juste en accélérant par hasard la dégradation des clampins (par hasard car aucune étude scientifique objective validée par le Medef n’a jamais prouvé que bosser au fond d’une mine neuf heures par jour dès l’âge de quatorze ans était nocif à l’homme, bien au contraire, et regardez : le Nord regrette ses mines et la Slovénie est dans l’Union Européenne – alors, convaincu, en deux mots ?), on desserre l’étreinte anthropique sur l’orange bleue, si bien que l’on pourra continuer à skier à Serre-Che sans craindre de devoir attendre le prochain canon à neige. Vraiment, un autre monde est possible. Il est à portée de vote, de désagrémentation d’Anticor, de décision malsaine du Conseil d’État, d’une plus grande influence de Bruxelles sur nos vies et, à l’intérieur de notre pays, d’une soumission éternelle assumée de la Cour de justice de la République aux grotesques pantins qui nous gouvernent. Bigre, pourvu que Pharaon Ier de la Pensée complexe se représente encore et encore malgré les contraintes constitutionnelles, afin que ce songe devienne hyperréalité !
Car
force est de reconnaître que, en matière de vigne, l’IGP a su inspirer des artisans à l’instinct et au métier bien trempés pour sortir des quilles coquettes et pimpantes de leurs chais. Quand nous étions moins vieux, donc il y a trois mois, nous avions dégusté ici même un vin de Bandol issu du domaine des Trois filles. La propriété s’articule en trois appellations :

  • Bandol,
  • Côtes de Provence et
  • Mont Caume.

Cette fois, c’est un Mont Caume rouge que Thierry Welschinger nous suggère de glisser dans le gloups-gloups, même si son prix de 11 € à la cave (certains millésimes se trouvent sur Internet pour 8 € hors frais de port) l’exclut de notre grande, au moins, série “Que boire à Paris pour 10 € environ ?”. À La Cadière-d’Azur, le Mont Caume se décline en trois couleurs – rouge, rosé et blanc – dont la première nommée nous intéresse ici. Elle est essentiellement constituée de carignan (90 %) et assaisonnée avec un chouïa de grenache.
La robe séduit par sa belle cohérence sombre. Griotte au cœur, elle devient framboise en périphérie. Son aspect attrayant et construit est une très belle réussite.

Le nez ne déçoit pas. Il évite les falbalas, les flonflons et la pompe pour se concentrer sur le fruit presque rouge, de type groseille. Il se révèle d’emblée mais s’approfondit avec intérêt, s’affirmant aussi léger qu’épanoui.
La bouche aussi est franche. Aux fruits s’ajoutent des épices. La friction est gourmande. L’ensemble paraît se fondre en un même projet, sauf qu’une pointe d’amertume persiste : super flacon. Comme l’écrit Max Elskamp,

 

Mais dimanche de paradis
Les âmes montent, les âmes montent,
Comme des bulles d’air du monde
Sous le soleil qui resplendit
[“L’exode” est un très beau poème à retrouver par exemple dans La Chanson de la rue Saint-Paul et autres poèmes, Gallimard, “Poésie”, 1997, p. 197.]

 

Bon sprint vers 2024 à tous, joyeuses découvertes à chacun et merci pour votre curiosité persistante !