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Première du disque

 

Certains visiteurs qui nous font l’amitié de revenir souvent picorer de nouvelles idées de curiosité culturelle pourraient craindre que toutes les notules de cette page se ressemblent. Qu’ils soient partiellement rassurés : pour la troisième partie de notre recension de Pictures at an exhibition par le Modern String Quartet, nous allons commencer par évoquer des capsules de bouteilles aplaties et reliées par des fils de cuivre. Avec les sculpture métalliques monumentales forgées à partir de « matériaux au rebut », la transformation de capsules en tentures est l’une des spécialités d’El Anatsui, sculpteur ghanéen expatrié au Nigéria couronné par le Lion d’Or à la biennale de Venise de 2015.
Or, El Anatsui, c’est aussi le titre de l’œuvre écrite par Andreas Höricht, altiste du MSQ, qui propose non pas un nouveau tableau pour compléter l’exposition moussogrskienne mais une nouvelle sculpture. On aurait pu imaginer que l’œuvre travaille le recyclage de thèmes des Tableaux originaux ; le compositeur déjoue cette attente trop évidente, et propose plutôt, si l’on veut s’inspirer du titre pour imaginer, la contemplation de matériaux déchiquetés. Le regard-oreille va d’un rebut à l’autre, s’attarde sur celui qu’évoque l’un des quatre comparses, se pose, cille, repart. Andreas Höricht sculpte le son de l’ensemble

  • en tissant des nuances contrastées,
  • en liant et déliant des blocs d’où émerge une ligne mélodique souvent chaotique et
  • en télescopant des rythmes chaloupés.

L’usage de motifs répétitifs permet l’émergence d’improvisations (ou parties évoquant une liberté similaire selon des modes variés).

  • Groove,
  • lisibilité,
  • variété et
  • liberté

stimulent une écoute portée par

  • les à-coups rythmiques,
  • les dissonances protéiformes et
  • les variations
    • d’intensité,
    • de sonorités et
    • de couleurs.

Le travail d’ensemble est d’une précision d’autant plus appréciable que la complexité du dispositif, d’une exigence fort intéressante, est indéfiniment renouvelée par le compositeur au fil des six minutes de la partition – même si, faute d’explicitation, le lien entre

  • musique,
  • Tableaux et
  • El Anatsui

relèvent davantage du fantasme suscité de l’auditeur que de la compréhension intime du projet. Le second violon se transforme alors en compositeur en risquant une œuvre au nom amusant, Modest Moves, qui peut servir de promenade remoulinée.

  • Destructuration de l’iconique, et hop,
  • réinvestissement du motif par
    • l’harmonie,
    • le rythme et
    • la mutation mélodique,
  • mix’n’match de citations tableauistiques,
  • science
    • de la pulsation,
    • de la narration,
    • de la gestion des registres

le tout rehaussé par des improvisations très joliment claquées et complémentaires, séduisent et happent l’auditeur avec une mention spéciale pour Thomas Wollenweber, Mr. Pulse coll’arco & Walking Bass.

  • Joyeuse,
  • maline,
  • agencée avec art,

cette rhapsodie séduit jusque dans le fade out final, délicieusement frustrant : on en veut plus ! Le premier violon reprend son rôle d’arrangeur pour une cinquième promenade qui affecte un retour à la lettre moussorgskienne – à ce stade, c’est subtilement pensé.

  • L’extension des registres (du plus aigu au plus grave),
  • l’affectation changeante des rôles harmoniques dans le quatuor et
  • le retour à une relative littéralité

attestent de la cohérence d’un projet joliment construit. Andreas Höricht arrange ensuite Bydlo. Il propose un accompagnement embrassant, entre

  • graves structurels,
  • aigus harmonisants et
  • alto en lead.

La fin du premier motif libère l’arrangeur

  • de la rigueur,
  • de la copie et
  • d’une feinte authenticité.

L’énergie rythmique libère alors l’improvisation presque jusqu’à la libération cajun.

  • Le remarquable jointoyage des épisodes,
  • la richesse de certaines harmonies et
  • la lisibilité de la forme ABA

contribuent au confort capiteux de l’auditeur qui le conduit à La Grande Porte de Kiev, arrangée par Joerg Widmoser comme la Première promenade. L’Allegro

  • alla breve,
  • maestoso et
  • con grandezza

est respecté. C’est au passage energico que tout part en distribil. Le thème au violoncelle se retrouve perturbé par les fantaisies de ses comparses. Puis même le violoncelle se retrouve en basse groove modulante face à des unissons audacieux qui finissent par se déjointer ponctuellement. Le surgissement de l’improvisation est désormais attendu mais pas pour autant désagréable tant l’affaire est bien menée.

  • Enchaînements réussis,
  • trouvailles sonores,
  • dialogues judicieux entre jazzismes et Moussorgski et
  • soins apportés à la musicalité du rendu
    • (phrasés,
    • attaques,
    • nuances,
    • écoute réciproque)

achèvent de séduire et de certifier que, par

  • ses nombreux passages éblouissants,
  • ses trouvailles malines,
  • ses joyeuses réussites,
  • l’engagement savant et plaisant de ses arrangeurs-exécutants,

cette proposition mérite une écoute

  • souriante,
  • attentive,
  • gourmande et
  • souvent admirative.

Précédemment paru, dans la même collection
De la première promenade au vieux château
De Baba Yaga à la quatrième promenade