Pierre Réach joue 9 autres sonates de Beethoven (Anima) – 6/8

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Première du disque

 

Sonate pour les uns, sonatine pour les autres ; « Sonate facile » pour les uns (qui, souvent, ne la jouent cependant pas), « Sonate du coucou » pour les autres : la vingt-cinquième sonate de Ludwig van Beethoven, composée en 1809, fait partie de ces œuvres brèves qui

  • brisent la linéarité imaginaire d’un compositeur censé aller du plus simple au plus profond,
  • manifestent la plasticité et l’impossible définition unitaire de ce que serait la sonate beethovénienne, et
  • permettent à l’intégraliste de faire respirer son monument.

De même que les sonates opus 49 avaient sans doute pour fonction d’aérer le double disque, entre la Pathétique et la Waldstein, de même l’opus 79 en Sol allège le propos entre la Waldstein et les Adieux, avant un finale en fanfare. Dès lors, cette alternance traduit la finesse de l’agencement pensé par Pierre Réach en personne, qui fait écho à la précision de sa pensée musicale – telle que nous l’avons perçue jusqu’ici – à la fois propre à chaque opus et embrassant l’intégralité de l’œuvre.
Cette sonate-sonatine s’ouvre sur un Presto alla tedesca. Va donc pour une danse allemande ternaire ! Au programme :

  • temps forts nettement dessinés,
  • arpèges légers,
  • accents dynamisants.

Le pianiste fait chanter

  • les nuances,
  • les variations de registres ainsi que
  • la tentation du mineur et des modulations.

Sa maîtrise du clavier (particulièrement de l’art d’enfoncer avec la juste force les petits marteaux chargés de frapper les cordes) fusionne

  • apparente simplicité du texte,
  • élégance joyeuse et allant du tempo,
  • des appogiatures et de la question-réponse conclusive.

Tout cela est envoyé alla Pierre Réach, donc à la fois sans chichi sentimentaliste et avec une attention profonde au texte qui, s’il n’est pas de l’eau la plus tumultueuse où sait puiser LvB, n’en exprime pas moins

  • une jubilation,
  • une légèreté et
  • une envie de gambader

qui ruissellent pour partie sur l’auditeur. L’Andante suivant est encore plus ternaire que le premier mouvement puisqu’il remplace le 3/4 (trois noires par mesure) par le 9/8 (trois fois trois croches par mesure). Il s’ouvre sur un sol mineur bientôt contrarié par une modulation en Mi bémol, laquelle libère le bariolage en doubles croches de la main gauche. Dès lors, le mouvement s’apparente à une étude du swing lent.

  • Notes répétées,
  • égrenage de l’harmonie,
  • rebonds des appogiatures,
  • énergie des trilles,
  • contraste des nuances (incessants crescendi / decrescendi)
  • déséquilibre des triolets ou des quintolets se frottant au battement de deux doubles croches, et
  • modulations en ABA

font partie des astuces déployées par le compositeur et habilement propulsées par son porte-voix. Le Vivace final oppose à ce fin balancement la rigueur efficace du battement binaire. Pour autant, le swing ne disparaît pas grâce, notamment,

  • aux variations d’intensité du toucher,
  • aux relances provoquées par les mordants et appogiatures,
  • aux effets de questions / réponses,
  • à la friction entre binarité mélodique et ternaire sporadique de l’accompagnement ou du surgissement des aigus,
  • à la modulation centrale en Ut,
  • à la tonicité des unissons,
  • au groove fomenté par les répétitions,
  • à la surutilisation du motif croche / deux doubles presque façon ostinato et
  • à l’opposition habile entre force qui va et brusques cahots silencieux.

Porté par la toujours excellente réalisation d’Étienne Collard et par la foi beethovénienne de Pierre Réach, ce mouvement fort sapide, et hop, rendra encore plus joyeux quelqu’un qui le serait déjà (ça existe) et plus dark quelqu’un qui constaterait, avec soulagement, que, forever and ever, la joie

  • sautillante,
  • pétillante,
  • effeverscente, même,

ne lui est pas accessible. Si le mélomane sait être Eusebius et Florestan (et comment ne pas être dysphorique pour apprécier la musique, rarement univoque ?), entre

  • rêve et vaillance,
  • contemplation et action,
  • mélancolie et envie de renverser les montagnes,

cette version de la sonate-sonatine est pour lui.


Épisodes précédents
Sonate opus 2 n°2
Sonate opus 10 n°1
Sonate opus 13 (“Pathétique”)
Sonates opus 49
Sonate opus 53 (« Waldstein »)