Rachel Koblyakov joue toute seule (Orlando Records) – 3/5

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Première du disque

 

En 2006, Wolfgang Rihm s’attaque à Über die Linie VII, façon Colloque guilloutique : un titre générique rassemblant de nombreuses pièces très variées, seul le numéro peut les différencier. Cela fait alors trente ans qu’il a rejoint le clan des figures tutélaires de la musique contemporaine. Au cœur de sa partition dépassant les 21′ réparties en 366 mesures, la « ligne » du titre est à la fois

  • l’ondulation mélodique,
  • la direction empruntée par l’œuvre (que la ligne soit « directrice » ou moins gradée) et, peut-être,
  • ces quatre lignes qui parcourent le corps du violon pour ne dessiner in fine qu’une ligne avec, à l’occasion, quelques embranchements profus.

La présente notule ayant la fatuité de vouloir s’adresser à tout public un tantinet curieux, stipulons que ceux qui cherchent à passer un joli moment peuvent d’emblée changer de chaîne, au contraire de ceux qui aiment qu’on leur raconte des histoires certes mystérieuses mais associant

  • la maîtrise de l’évocation poétique,
  • l’euphorie de l’action du type
    • plein de camions qui explosent en chaîne,
    • des course-poursuites et
    • des mitraillages de camions blindés, et
  • la part d’indécidabilité qui sied aux récits privilégiant la foi dans l’imagination et la cervelle de l’interlocuteur plutôt que la crainte de sa stupidité obligeant à tout lui expliquer donc à lui supprimer une occasion – pourtant pas si fréquente – de
    • rêvasser,
    • tâtonner et
    • deviner.

L’affaire commence « dans un grand calme » où l’artiste joue davantage sur les inflexions d’intention que sur les variations d’intensité. Très vite, la tentation de bousculer le calme appert à travers, par exemple,

  • les doubles cordes troublant la ligne monodique,
  • les harmoniques irisant – et hop – le discours,
  • les changements de mesure relativisant la stabilité surtout quand se mêlent
    • mesures à trois temps,
    • mesures à quatre temps et
    • synthèses comme  telle mesure portant « quatre temps valant comme trois ».

Poussé par une Rachel Koblyakov comme indifférente aux exigences de virtuosité

  • de doigt,
  • d’archet et
  • d’architecture,

petit à petit, le violon semble tracer sa voie dans des broussailles aux épines de plus en plus acérées.

  • Dissonances,
  • sautes de registres,
  • souplesse de la mesure,
  • reconfiguration du rythme (par triolets, quartolets, quintolets ou septolets) et
  • recherches sonores (les cordes où jouer les notes étant çà et là stipulées par le compositeur)

animent le propos qui profite de la personnalité particulière du Guadagnini joué par Rachel Koblyakov.

  • Phrasés,
  • tenues,
  • suspensions

esquissent une narration dont la retenue interfère avec une énergie rugueuse manifestée notamment par

  • des inflexions soudaines ou insidieuses,
  • des impulsions rythmiques offertes par les appogiatures,
  • des contretemps incessants et
  • des contrastes entre secondes crissantes et grands intervalles utilisant l’ensemble des registres.

Logiquement, l’affaire s’anime. Nous parviennent davantage de

  • bondissements,
  • sforzendi,
  • frictions rythmiques et sonores.

L’interprète veille néanmoins à garder la ligne entre

  • sérénité,
  • vitalité et
  • moments « presque sans corps » (« nahezu köperlos ») joués « le plus ultrapianissimo possible », au point de transformer le frottement en souffle.

 

 

Cette tension conduit à un passage « inquieto » donc « più mosso ». La ligne

  • vibre,
  • tangue,
  • claque,

dévoilant

  • une narration habitée,
  • un large spectre d’émotions et
  • une jubilation noire qui naît de la violence des contrastes
    • (sffz versus pp,
    • tenues stables versus crescendi,
    • sauts entre registres opposés,
    • surgissements contre glissendi, etc.).

L’agitation aboutit à une série d’explosions

  • les suraigus – jusqu’à huit traits au-dessus de la portée ce qui, pour les non-spécialistes, fait super, super mais vraiment super haut, genre : au-dessus, c’est le soleil – remplacent les harmoniques,
  • les battements s’accélèrent (triolets de croches, doubles en quartolets puis en quintolets avec des triolets au sein du passage), et
  • le rythme ne cesse de se compliquer ou de s’enrichir, c’est selon.

À l’inquiétude se substitue alors des accords marqués « feroce » ce qui, contrairement aux apparences, rappelons-le, n’est pas la contraction de Ferrero Rocher.

  • La tonicité des attaques,
  • les rageuses impulsions des appogiatures,
  • la transformation de « la ligne » en traits montants et descendants, ainsi que
  • la multiplication des sfffz

semblent moins chercher

  • un exutoire,
  • une solution ou
  • une implosion suicidaire

qu’un espace où, à nouveau,

  • démêler l’écheveau,
  • clarifier le propos et, après avoir traversé les broussailles,
  • revenir en plein champ

pour jouir de l’horizon, cette ligne qui s’éloigne à mesure que l’on avance. La forme en arche est confirmée par un passage « calme comme au début », dont l’interprète rend avec habileté la progressivité, comme libérée par le surgissement d’un pizzicato. L’exigence de calme est telle que le compositeur insiste auprès de l’interprète pour qu’il ne propose ni çà ni là un crescendo. L’idée est de revenir à une proposition plus

  • étale,
  • apaisée,
  • médiane, en somme.

Résultat ?

  • Les sons s’allongent,
  • les silences s’installent,
  • la mesure devient insaisissable, et
  • les secondes mineures finissent par disparaître au profit d’une monodie à peine trahie par deux derniers sfffz dont on peut se demander s’ils ont pour fonction d’exprimer l’infini des possibles (peut-être que la ligne, un temps coupée, allait reprendre) ou, sans finesse mais plus probablement, de déclencher les applaudissements en signalant que c’est fini.

Sans nous éblouir stylistiquement en dépit d’une réelle conscience du potentiel violonistique, la narrativité de la proposition reste fort stimulante, notamment grâce à l’engagement d’une violoniste sachant privilégier

  • le son sur la note,
  • la couleur sur la forme et
  • la vision d’ensemble sur la microcaractérisation de chaque événement.

De quoi nous mettre en appétit avant notre prochaine dégustation, dont le plat sera signé par le chef Matthias Pintscher.


Pour écouter la sonate sur une seule vidéo, c’est ici.
Pour acheter le disque, c’est par ex. .