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Album autoproduit, comme nombre de ses confrères, Uni vers elle ne fait pourtant pas dans l’intimiste, côté casting musical : près d’une quinzaine de musiciens sont venus poser des sons au côté de Sultana, de la section rythmique basique aux compléments cuivrés ou colorés – les ignorants dont nous sommes glisseront ainsi dans leurs esgourdes, peut-être pour la première fois, le zabumba, l’agogo (via Douglas Marcolino), le roulér, le bobre et le kayamb (grâce à Sandra Ellama)… Le disque de cette fervente adepte de la “chanson métissée” se présente comme une invitation au voyage en féminin majeur. “Tierra Madre”, comme son nom ne l’indique pas tout à fait, s’ouvre sur une rythmique afro-latine arrangée par Fernanda Primo. Au charme immédiat d’une mélodie marquante, Sultana préfère aguicher, entre espagnol et français, grâce à

  • sa voix remarquablement captée par Douglas Marcolino,
  • une énergie percussive bien soutenue par la basse de Laurent Loit,
  • des enchaînements harmoniques souvent inattendus,
  • une vraie coda instrumentale qui prend son temps et
  • une construction studio maîtrisée (ouverture et clôture sur des chants d’oiseaux pas tout à fait messiaeniques !).

En contraste, une guitare sèche lance “Comme une évidence” avant de s’adonner au balancement qui sied à la chanteuse et qui promet d’être la colonne vertébrale du disque. Cette fois-ci, la “langue des oiseaux” est évoquée en mots et bercée par des assonances sans chichi – chez Sultana, “amour” rime toujours avec “toujours”. On pourrait ajouter : “Évidemment”, mais est-ce une évidence, dans notre vie pas chantée ? “Uni vers elle”, la chanson-titre, ode à la féminité, remixe les ingrédients caractéristiques :

  • guitare sèche pour amorcer,
  • mélange d’espagnol et de français,
  • chœurs parfaits et
  • rythmique hispano-latine entraînante qui n’est pas sans rappeler certains titres de Maurane.

 

 

Un p’tit solo de guitare flamenca par Manuel Delgado, compositeur et arrangeur de la chanson, veille à laisser respirer le titre en s’envolant avant la reprise finale du refrain et sa coda. “Cœur quantique”, en duo avec Hervé Bartolomé, compagnon de la chanteuse, poursuit le rêve sultanique d’un amour qui “serait une note que j’élèverais pure en un dièse infini”. Le duo fonctionne fort bien, le non-chanteur ayant l’intelligence de ne pas trahir ou surjouer sa profération un peu traînante : elle donne de la présence à sa voix. Le solo pertinent plus que show-off (donc pertinent) de Fernanda Primo se mêle avec grâce avec l’accompagnement de Douglas Marcolino à l’accordéon, jusqu’à l’accélération finale : cela est solidement troussé !
Si voyage et féminité sont les deux piliers du disque, l’amour est le toi(t) sous lequel il s’abrite. Le souligne si besoin était “Garde du cœur” puisque l’arme spéciale de Cupidon “vient frapper doucement à la porte” de la chanteuse sur une guitare au son généreux, nimbant de ses harmoniques une voix ductile, tantôt vibrée, tantôt traversée par un sourire qui, si le verbe existait, chaleuriserait l’auditeur. Quand le rythme s’ébroue, jusque dans ses breaks entre mineur et majeur, le piano de Romain Chenard intervient avec justesse pour

  • tapisser la mélodie de ses harmonies charpentées,
  • relancer le groove par des accents ou des tremblements à l’octave et
  • éclairer l’affaire par un solo évitant de détoner avec la simplicité apparente du titre.

Pourquoi changer un combo qui pulse ? Voix et guitare acoustique viennent nous susurrer des “Confidences” sinueuses qui se nourrissent du pas vertigineux qui sépare ou réunit “toi et moi”. La chanteuse nous rappelle ainsi qu’un voyage peut sembler géographiquement minuscule mais être intérieurement plus spatial qu’une expédition martienne. Pour le plus long titre de l’album, l’expressivité de la voix dialogue avec l’efficacité séduisante de l’accompagnement de Fernanda Primo, ici libéré des autres instruments – judicieuse idée et placement malin du titre à la mi-parcours du disque, qui plus est juste avant “Maria Zaina”, duo avec le Franco-Tunisien Skander Guetari, également compositeur et co-auteur de la chanson que lance un trio voix – percussion.

  • La basse de Barbara Felettig,
  • les cuivres de Julien Matrot,
  • la percu fine de Désiré Nkouandou Njopam (avec les claves discrets mais pailletés de Douglas Marcolino),
  • les entrelacs entre français, espagnol et arabe,
  • les effets de boucle et
  • la minicoda

font évidemment de ce titre le single festif et feel-good du disque.

 

Photo : Hugues Anhès

 

“Passeuse de vie” est le premier des deux titres composés par Jann Halexander, rare chanteur à mener de front ou presque plusieurs projets artistiques

  • autour de ses-chansons-à-lui,
  • autour du spectacle “Du Gabon à la Russie” et
  • autour du répertoire de Catherine Ribeiro, source d’un nouveau spectacle dont la première aura lieu au théâtre du Gouvernail (Paris 9), le 5 novembre.

L’entrée en matière est énigmatique et presque ribeirique, dans ce texte parlé sur un fond énigmatique. La mélodie chantée est librement accompagnée par le contrechant certes pas simpliste de Sandra Ellama et la souple percussion de Désiré Nkouandou Njopam. Surgit alors une partie en improvisation mi-instru mi-criée, agrémentée de chœurs dont la fonctionnalité résonne avec force dans un espace musical jusque-là avare en harmonisation. Comme il arrive souvent, on aurait aimé que ce titre très intéressant soit placé en fin d’album… pour lui laisser la liberté de se déployer avec une coda plus développée : le matériau utilisé dans la chanson l’aurait justifié. Peut-être pour une version concert aux Deux pianos (Paris 15), le 17 novembre  ?
Jann Halexander prend le clavier sur “Liberté”, dont l’incipit est derechef empreint d’énigmaticité que la voix parlée, annonçant “l’histoire d’amour” de la chanteuse pour la liberté. Rien d’anodin chez cette passionnée d’amour qui a rué dans les brancards, sans extrémisme mais avec détermination, lorsque le prétexte sanitaire a accéléré la mise sous contention de notre société. Les rimes ne parent pas leur naïveté sous des flonflons esthétisants (“toi, notre plat de résistance / aujourd’hui, notre maigre pitance”) : Sultana est ainsi, et elle ne va pas compliquer un message qu’elle martèle directement pour “réveiller” ses auditeurs engoncés dans ses habitudes et ses désirs télécommandés. Du confinement et de ses versions dégradées quoique toujours délétères, la dame nourrit sa faim d’unité (sujet de l’album) et sa soif de solidarité éluardienne. Derrière elle, Jann Halexander fait du jannhalexander :

  • accords complexes mêlés à un motif entêtant,
  • suspensions appuyés sur l’appogiature liminaire (le groove du mystère),
  • bariolages à gauche pour intensifier le climat et
  • fin brusque

contribuent à caractériser la patte du pianiste devenu chanteur à plein temps.
On espère du torride avec “Nuit féline”, le titre qui conclut la dense danse de l’artiste, avec Romain Chenard à la compo – et, de fait, on part sur une ambiance électro très nineties.

  • Basse bien lourde,
  • claviers optimalement synthétiques,
  • chœurs oscillant entre
    • l’efficience d’une Christine and the queens au refrain (“tous les soirs, la même danse, danse, danse”),
    • doublure harmonique pertinente et
    • wowow sciemment kitsch,
  • break puis pont remettant un coin dans le juke-box

auraient sans doute justifié une version plus longue, pourquoi pas en bonus ? En attendant, on est contraint de se remettre le titre pour bouger la tête à nouveau. On a connu pire fatigue quand un disque se finit.


Pour acheter le disque, ce sera bientôt ici.
Pour l’écouter sur Spotify, c’est .
Pour réserver une place au concert de lancement, c’est re-, mais pas au même là.