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Renée Fleming le 2 décembre 2012 à Paris, à l’issue de son récital salle Pleyel.
(Photo : Bertrand Ferrier en personne)

“La Fleming” donnait (façon de parler) un récital à Paris le 2 décembre, et j’y étais. Pas seul : malgré un prix à la hauteur de la célébrité de la cantatrice, donc quand même assez éloigné des prix madonnologiques, ouf, la salle Pleyel était quasi pleine (env. 2400 spectateurs) pour ce récital de 2 h, entracte inclus, inscrit dans une tournée mondiale et affichant un programme alléchant.
La première partie (40′), enchaîne cinq extraits des Gedichte von Goethe de Hugo Wold, et les cinq Rückert-Lieder  de Gustav Mahler. Même si Renée Fleming, toute d’or vêtue, tient à exprimer par le geste quelques émotions, ces dix mélodies n’ont rien de spectaculaire, au sens France 2 du terme : la musicalité, l’interprétation, la sensibilité ont ici le beau rôle, au détriment des aigus illustres de la star. Certains avanceront que ce début, chanté souvent mezza voce dans le registre medium, laisse percer quelques faiblesses : volume parfois trop retenu, allemand ponctuellement hésitant (un prompteur sécurise pourtant l’artiste), et fatigue sporadiquement perceptible (on jurerait que la star n’est pas mécontente d’arriver au bout de l’exigeant “Um Mitternacht”, qui précède le vif “Blicke mir nicht in die Lieder”). Ces critiques, objectivement défendables, sont tout aussi méprisables quantitativement : la voix est belle ; exceptionnelles sont les couleurs trouvées dans son Steinway par le pianiste Maciej Pikulski, beau gosse qui trouve le temps de se recoiffer entre deux arpèges ; et l’ensemble, austère mais relevé par un engagement non négligeable, séduit, justement par cette volonté de ne pas exposer la magie du gosier – si cela s’explique par une peur de “ne pas tenir” jusqu’au bout, franchement, on s’en fout, c’est très beau.
La seconde partie commence, tradition oblige, dans une nouvelle robe qui semble coupée dans un rideau (donc paraît-il très chic), par deux lieder d’Arnold Schönberg, “Erwartung” et “Jane Grey”, embraye sur les cinq Lieder auf Texte von Richard Dehmel d’Alexander von Zemlinsky, s’emballe sur quatre mélodies d’Erich Wolfgang Korngold et finit sur le Frag mich oft de Johan Strauss II remixé par Korngold, avant d’asséner une série de bis allant de Ravel à Dutilleux (présent dans la salle, et même à l’after), en passant par le Korngold préféré de la dame. Veut-on critiquer ? On pourra juger çà que les sautes d’un registre à l’autre (aigu vers médium) entraînent parfois des notes graves un peu vendangées ; là que l’abus de savonnages ou que des tenues excessivement longues sur des aigus certes flatteurs gâchent la musicalité retenue que l’on appréciait dans la première partie. Quant aux bis francophones, ce serait mensonger de dire que le texte en est compréhensible ! Mais l’ensemble, malgré quelques imprécisions de prononciation voire de texte, est maîtrisé et de haute volée ; et il paraît difficile de reprocher à une diva américaine de faire le show, d’autant qu’elle attend longtemps avant de donner aux fans des sucreries aiguës pour la route. Notons aussi le beau geste : américaine jusqu’au bout, une heure après les derniers brava, la star prendra le temps de signer des autographes à la quarantaine de fans en folie qui l’attendaient, les larmes aux yeux.
En conclusion, remercions vivement les productions Albert Sarfati et la Salle Pleyel, capables de vendre un programme d’ordinaire fourni avec le billet d’entrée, sous prétexte qu’une vedette a fait le déplacement – y a pas d’petits profits chez les gougnafiers. Pour le reste, donc l’essentiel, le récital était, sinon totalement abouti, du moins digne et joliment contrôlé, qui plus est tenu avec maestria – plus dans la sobriété liminaire que dans l’ébriété du brio final – par une vedette qui transforme ses craintes de fin de carrière (peur de sa voix ?) en atout (mesure, subtilité, précision). Bien ouéj, Renée, surtout quand tu n’en fais pas des caisses !