Fruits de la vigne – Syrah de demain (Gournier) 2021

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Photo : Bertrand Ferrier

 

Le domaine de Gournier croisé tantôt dans les réserves de Thierry Welschinger est aussi le producteur du jus qui nous permet de poursuivre notre enquête sur les vins disponibles à Paris pour dix euros ou moins. Ce breuvage-ci s’affiche à 10 € chez le caviste précité ; on le trouve hors frais de port à 8,5 € sur Internet, par exemple chez 1jour1vin.
Depuis quelques années, le domaine s’essaye à des étiquettes plus ou moins réussies tentant de marketter les vins en les auréolant d’une énigmaticité friponne que chacun jugera à son aune. La cuvée 2021 est ainsi l’occasion pour le récoltant de  décliner l’image jusque-là utilisée par cette proposition monocépage, frappée du sceau IGP Cévennes, qui affiche 14,5°. Aussi loin que concernés nous sommes,

  • le dessin bizarre et peu appétissant,
  • la dénomination peu claire ainsi que
  • le jeu orthotypo de ponctuation peu convaincant

ne nous séduiraient point si le caviste ne nous avait affirmé que le ramage du vin est fort supérieur à son plumage. L’homme est toujours de bon conseil, même si nos avis peuvent diverger, et c’est heureux ; tentons donc notre chance.
La robe nous apparaît luisante d’une riche obscurité.  On est sur un grenat très dense, que l’on décrirait comme “presque palpable” si l’on ne craignait de s’auto-infliger une tarha pour ce genre d’imbécillité. Reste que la force de cette couleur quasi noire offre à l’œil une compacité que défient quelques éclats plus sanguins. Ce fight est du meilleur aloi.

Le nez est beaucoup moins fuligineux. Presque léger, il dissone avec le rigorisme gaillard de la robe. Des fruits noirs ? Peut-être en ouverture. Puis, bizarrement, c’est une fragrance d’herbe fraîchement coupée qui finit par caresser l’imagination de nos naseaux, pimpant de façon singulière un ensemble discret, maîtrisé et délicat, loin de la menace totalitaire voire brutale que traîne parfois la syrah à cause de quelques mauvais bougres qui ont donné – et donnent encore – du fil à retordre aux nettoyeurs de réputation.
La bouche semble moins fruitée que compotée. La réglisse apparaît être une solide dominante. Face à la modestie de pâtes à la bolognaise, le nectar, pas aussi puissant que certains collègues de cépage, a l’élégance de ne pas jouer les forts en gueule et la malice heureuse de se livrer avec assurance. Quand on laisse la musique résonner en bouche, on pense à la punchline de Christian Boltanski :

 

C’est le souvenir de cela, mais ce n’est plus cela.
(La Vie possible de Christian Boltanski, entretiens avec Catherine Grenier, Le Seuil, “Fictions & Cie [2007], 2010, p. 252)

 

Il parlait d’un tableau de Malevitch, mais qui a dit qu’une syrah honnêtement ficelée n’était pas un Malevitch à la portée des fines bouches un peu moins argentées que ne l’est un collectionneur d’art ?