Jean Muller, Les Sonates pour piano de Mozart, vol. 1 (Hänssler) – 2/3

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Après une sonate primesautière et une sonate presque de jeunesse (même si la vieillesse – entendue comme la fin de vie – de Mozart arrive vite), évoquées ici, Jean Muller envoie du boudin pour lancer la seconde partie du premier volume de son intégrale des sonates de Mozart. En effet, la Onzième, dite “Alla turca”, s’ouvre sur un thème et variations célèbre griffé Andante grazioso. Nous sommes en La et en 6/8 ; on se balance donc avec un peu de soleil dans les poches. Le thème est énoncé avec un groove dont Jean Muller pose les bases avec une sérénité bienvenue :

  • premiers temps solides,
  • phrasés prévus par le texte,
  • recto tono mélodique légèrement pimpé par des nuances quasi infimes.

La première variation accélère et passe plutôt en 12/16 – en clair, y a deux fois plus de notes à jouer. Le rythme n’y est pas moins important : contrastent gentiment

  • contretemps,
  • notes répétées,
  • suspension du discours et
  • solidité des accords.

La deuxième variation accélère encore puisque, grâce aux triolets, le compositeur réussit à caser dix-huit doubles en six temps. Cette fois-ci, le funk, fomenté avec délicatesse par un Jean Muller moins extraverti que pertinemment retenu, naît

  • de la tension entre une mélodie binaire et un accompagnement ternaire,
  • de l’intégration de la mélodie au flux des triolets lorsqu’ils passent à la main droite,
  • de l’utilisation de la main gauche comme tantôt d’un moteur et tantôt d’une bonne basse des familles, et
  • des ornements en folie : sont de sortie
    • trilles,
    • appogiatures et
    • mordants.

On quitte le mode majeur pour le mode mineur à l’occasion de la troisième variation. Une sorte de ruissellement parcourt les rives du thème original, permettant à l’interprète de déployer, mine de rien, son admirable technique à travers notamment

  • l’agogique (rester à la fois souple et en mesure, c’est tout un art !),
  • le legato (y compris des passages octaviés, sinon, c’est pas drôle),
  • un éventail de piani fascinants.

 

 

La quatrième variation revient au La majeur et amène les mains du pianiste à se croiser. Jean Muller séduit ici aussi grâce

  • à la souplesse du balancement à la main droite,
  • à la légèreté cristalline de la main gauche quand elle s’envole et
  • à la science des contrastes quand, dans cette mécanique gentiment corsetée, il s’agit de délier les doigts ou de poser des tierces toniques dans le grave.

Changement de tempo pour une cinquième variation adagio, qui associe bariolages et notes répétées à gauche avec la mélodie tranquillement énoncée dans les aigus. On ne peinera pas à être emporté par

  • la délicatesse des touchers,
  • la pertinence des respirations, et
  • l’affriolante association entre
    • rigueur et liberté,
    • lenteur paisible et tonicité concentrée,
    • recueillement propre aux mouvements modérés et pulsion de vie qui jaillit parfois
      • (sforzendi,
      • traits,
      • appogiatures,
      • associations rythmiques sciemment presque syncopées entre ternaire et binaire, etc.).

Après ce mid-tempo, l’allegro de la sixième variation, dont le 4/4 massif tranche avec le 6/8 d’origine, ravigote et ragaillardit. Contretemps, appogiatures, sautes d’octaves, traits, mouvements inversés, arpèges, deux en deux énergisent ce finale jusqu’à la coda, que l’interprète refuse à bon droit de parer de nuances autres que forte pour, sans doute, ne pas feindre de la rendre mignonnette alors qu’elle est juste basique et libératoire.

 

 

Au binaire assumé du dernier volet succède le rythme ternaire d’un Menuetto en La Son caractère oscille entre

  • allure décidée,
  • hésitations,
  • envie d’avancer et
  • mutations colorées de tonalités voire de modes.

Avec assurance et sensibilité, Jean Muller chantourne la matière en associant, par sa magie propre, les différences et la continuité de la partition. Le trio en Ré chante en se balançant, se parant des grâces de la main gauche partant dans les aigus pour

  • doubler sa consœur,
  • commenter son travail ou
  • prendre en charge la mélodie.

On ne peut qu’être émoustillé par la multiplicité

  • des attaques,
  • des phrasés,
  • des intensités et
  • de l’alternance entre respect strict du tempo et aménagement de la mesure quand il le faut.

 

 

Le retour du menuet réinstalle la tonalité de la avec moins de souci de séduire que d’une fermeté remettant le minaret au centre du village-sonate. C’est qu’arrive l’Allegretto que chacun attend, aka la marche turque, dont le thème tonique éclate en la mineur. Sans ironie, Jean Muller nettoie nos oreilles des prouesses techniques et malicieuses alla Arcadi Volodos et, alléluia, des versions pour jeunes filles au piano de tout sexe. C’est

  • moins martial que bondissant (“allegretto”, dit la partition, dont acte),
  • moins parodique que pétillant, et
  • moins extérieurement virtuose qu’intérieurement convaincu.

La partie faussement pataude et pauvre en majeur libère ensuite les saucisses pour une variation qui jubile. L’allant sans ritendi n’empêche point l’interprète de réserver çà une respiration, là une nuance qui tâche de faire musique par-delà les sections sciemment grotesques (ah, ces janissaires…). Ainsi conclut-il cette sonate de guingois (asymétrie des durées et collage des genres musicaux) où le musicien fait montre avec une admirable constance

  • d’une attention remarquable aux détails et à l’architecture,
  • d’un investissement profond dans l’analyse et l’exécution, et
  • d’une hauteur de vue qui permet de rendre justice aux sauts et gambades stylistiques proposés par le compositeur dans cette sonate.

Un plaisir qui invite à s’intéresser avec gourmandise à la dix-septième sonate… qui sera l’objet d’une prochaine chronique !

 

À suivre.


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