Yves Henry décrypte les valses de Chopin – 8

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Yves Henry prêt pour de nouveaux projets, le 10 mai 2023, à Paris. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Depuis quelque cent cinquante ans, c’est l’un des répertoires les plus courus par les pianistes et leurs auditeurs. Les valses de Chopin s’offrent une nouvelle cure revitalisante sous les doigts et dans les mots d’Yves Henry à travers

  • une double intégrale du corpus, que l’on peut
    • acquérir par ex. ici voire
    • écouter gracieusement par ex. , et
  • un entretien-fleuve dont les premiers épisodes sont à retrouver
    • ici (les valses, un succès historique),
    • (les valses, un succès actuel),
    • re- (les valses un succès intégral),
    • re-re- (les valses, un succès vivant),
    • re-re-re- (les valses, un succès pour le piano ancien),
    • re-re-re-re- (les valses, un succès adapté aux deux pianos), et
    • re-re-re-re-re- (les valses, un succès qui se nourrit de pédagogie).

 

Épisode 8
Et maintenant, que vais-je faire ?

 

Yves Henry, si vous le voulez bien, examinons comment vous échafaudez de nouveaux défis après ce qui est plus que probablement la première double intégrale des valses de Chopin jamais enregistrée. D’ailleurs, claquer une première était-il un objectif pour faire résonner de manière singulière ce corpus ?
Non, l’objectif n’était pas de « claquer une première » mais de mener à bien un concept que je méditais depuis longtemps.

Cela rend encore plus drrrrramatique le moment où l’affaire est dans le sac. Au moment où nous parlons, votre agenda regorge de projets de récitals, de concerts avec orchestre, de cours et de masterclasses… mais l’avenir discographique, y avez-vous pensé avant ou vous laissez-vous le temps de retrouver votre inspiration ?
Laissez-moi vous rassurer : je ne risque jamais de manquer de projets. J’en ai toujours plein qui sont en attente, ou qui sont là depuis des lustres mais ont du mal à trouver un créneau dans mon emploi du temps.

 

« En musique, la précipitation n’a aucun sens »

 

Pouvez-vous nous en citer un qui vous tient particulièrement à cœur ?
Oh, ils me tiennent tous à cœur, vous pensez bien, mais il y en a un – ça va vous faire sourire – qui est en route depuis 2009.

14 ans de mûrissement… Quelle ténacité ! Est-ce encore Chopin qui va en bénéficier ?
Cette fois, j’aimerais me tourner vers Robert et Clara Schumann, avec la participation de Brigitte François-Sappey, la « grande prêtresse du couple Schumann », comme certains ont dit… J’ai dû la rassurer tantôt car elle était inquiète ! Je crois que l’on va maintenant passer au concret. On a déjà enregistré un certain nombre d’éléments, mais les montages restent à faire… et d’autres enregistrements aussi car ça représente l’équivalent de quatre CD.

 

 

 

Comment expliquer un tel délai ? Est-ce un bête donc essentiel problème de budget ?
C’est beaucoup de choses, dont une question de piano. Piano moderne ? d’époque ? les deux ? Je doute encore. J’ai plusieurs options. Je réfléchis. Je réfléchis d’autant plus que ce projet est, en quelque sorte, pédagogique. Songez que, en 2019, il y a eu le bicentenaire de la naissance de Clara Schumann.

J’imagine que c’eût été le moment idoine pour publier votre travail…
C’était hélas impossible pour des tas de raisons, et il n’était pas question de bâcler ce projet pour une question de chiffres ronds. Songez que, dès 2009, Brigitte François-Sappey m’a montré les rapports extrêmement complexes et uniques entre Robert et Clara, au niveau de l’inspiration musicale et des thèmes. Après un si long mûrissement, se précipiter n’aurait eu aucun sens.

 

« Toutes les œuvres de Robert Schumann sont un peu enchevêtrées »

 

Donc il s’agit de rendre musicalement à Robert ce qui est à Robert, et à Clara ce qui est à Clara.
… ou plutôt de montrer qu’il est très délicat de déterminer ce qui appartient à l’un ou à l’autre. C’est même tellement entremêlé qu’il m’a fallu du temps avant d’avoir une vision un peu plus concrète et éviter la juxtaposition d’œuvres où l’on dit : « Vous reconnaissez le thème de l’une utilisé par l’autre », etc., ce qui peut être à la fois intéressant et fastidieux.

 

 

 

Quelle forme prendra la concrétisation ce projet ?
Il en prendra plusieurs. Le véritable objectif est de passer au dématérialisé, même s’il y aura des supports… Pour preuve : la seule chose qui est prête, c’est la pochette du coffret, réalisée en 2019 ! Néanmoins, l’idée consiste à réunir d’une manière organique, claire, sensible, compréhensible et justifiée sur le plan musical, dans la succession des pièces et l’organisation, ce qui n’est pas si facile.

Pourquoi ?
Mais parce que toutes les œuvres des Schumann qui nous intéressent sont un peu enchevêtrées, et c’est pour ça qu’elles nous captivent ! Par exemple, les Davidsbündlertänze de Robert Schumann se fondent sur un motif tiré de deux mesures d’une mazurka de Clara Schumann.

 

« Un disque doit être stimulant pour l’oreille, le cœur et l’esprit »

 

En somme, vous vous posez la question du sample qui aimante une partie du droit de la propriété intellectuelle : à partir de quand y a-t-il hommage, création ou parasitage ?
Certainement pas en ces termes, car l’inspiration est mutuelle et le thème ou le fragment n’est qu’un ingrédient d’une composition. Pensez à l’Andante et variations de Clara Schumann fondé sur un thème de Robert, lequel a écrit ses impromptus opus 5 à partir d’un thème de Clara.

Cette imbrication musicale emmêlée est-elle le signe d’une imbrication humaine complexe ?
Bien sûr. On ne sait pas tout, mais ces musiques ne se répondent pas pour rien. Leurs échos créent quelque chose d’un peu unique. Donc je travaille là-dessus, maintenant. C’est mon objectif qui, en principe, comprend quatre disques sous le sigle de Raro, le personnage imaginaire qui regroupe ClaRA et RObert. Il faut bien comprendre qu’il y a deux périodes : celle où Robert arrive à Leipzig et découvre Clara qui est une enfant, et celle qui va de l’adolescence de Clara jusqu’à leur mariage.

 

 

 

Le mariage change tout.
En effet, dès qu’ils sont mariés, tout change puisque Clara ne compose plus – il existe quelques lieder de Robert avec une contribution de Clara (ou peut-être est-ce l’inverse !). Lui-même n’écrit rien pour le piano alors que, jusqu’à leur mariage, soit les 24 premiers opus, il ne composait que pour piano. Après, c’est fini : il écrit surtout des lieder, de la musique de chambre et des symphonies.

Puis approche la fin de la vie de Robert.
En effet, c’est le moment où elle se remet à écrire des variations sur un thème de son mari. Elle les lui offre pour son anniversaire. Quelques mois plus tard, alors qu’il est déjà interné, il y répond par un ultime thème et variations qu’il lui dédie. Autrement dit, on retrouve, à la fin, tissés ensemble, les thèmes qui étaient déjà dans les toutes premières œuvres.

Est-ce que, à demi-mot, vous ne nous glisseriez pas que Clara n’est pas la victime femme de l’ogre Robert que certains musicologues de pacotille (ou marketteurs de bas étage) ont essayé de créer ?
Je pose simplement que la situation est assurément complexe. Surtout quand vous voulez prendre ce thème comme sujet d’enregistrement pour lequel le livret aura une importance considérable, et l’organisation des pièces aussi. Un disque doit être stimulant pour l’oreille, le cœur et l’esprit. Et parfois, oui, trouver la bonne articulation entre ces composantes, ça prend du temps, surtout s’il y a quatre disques !

 

À suivre !